Metsles voiles au lieu de mettre le voile Leur sociĂ©tĂ© est frigide, moi je t’aime Ils arrachent ton portable dans le RER, ils galĂšrent ! Posent leurs Nike crados sur les siĂšges Ils

Les chants polyphoniques pyrĂ©nĂ©ens du moins ceux de ma connaissance, interprĂ©tĂ©s en BĂ©arn s’expriment soit en Français, soit en BĂ©arnais-Gascon-Occitan ces nuances devraient faire l’objet d’un article ultĂ©rieur. Plusieurs facteurs peuvent expliquer leur transmission et aussi leur dĂ©veloppement depuis quelques dĂ©cennies. Dans les annĂ©es 60, pour notre part, la connaissance de ces chants puis leur pratique rĂ©guliĂšre rĂ©sulte des Ă©changes constants avec les gĂ©nĂ©rations plus ĂągĂ©es, au cafĂ© du village principalement, mais aussi lors de cĂ©rĂ©monies ou de fĂȘtes familiales, sans compter les rĂ©unions autour des buvettes lors d’un marchĂ©, d’une foire, d’un match de rugby. Ces gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes avaient elles aussi appris de leurs parents et grands-parents et reçu en plus l’apport de textes extĂ©rieurs Ă  la rĂ©gion, ramenĂ©s en BĂ©arn au retour de dĂ©placements, professionnels ou non, dans l’hexagone conscription, guerre, hivernage, estivage, migration des chevriers vers Paris, migration des chĂątreurs de cochons vers le Sud de la France et mĂȘme vers l’Espagne et le Portugal. Dans la pĂ©riode moderne interviennent deux Ă©lĂ©ments favorisant la propagation de ces chansons, anciennes ou nouvelles. Tout d’abord le dĂ©veloppement des techniques d’enregistrement cassettes et disques vinyle puis CD puis DVD puis Internet. Ensuite le foisonnement de festivals, concerts et diverses reprĂ©sentations, allant de pair avec la multiplication des groupes de chant et l’introduction d’instruments musicaux. Pour mettre un peu d’ordre dans mes feuilles et cahiers de chants, je me lance dans une classification de ces chants, mais en me contentant des textes en Français car il existe dĂ©jĂ  de nombreux livrets de chansons en Occitan. Les listes Ă  venir proviennent du rĂ©pertoire du groupe de Saint-PĂ©e parfois des chants interprĂ©tĂ©s rĂ©guliĂšrement dans notre jeunesse, parfois de façon plus Ă©phĂ©mĂšre. J’exclus les chansons de variĂ©tĂ©, qu’il nous arrivait de pratiquer, car leurs textes se retrouvent facilement ailleurs Brassens, FerrĂ©, Vian, Leclerc 
 Je me restreints aux titres des chansons et au premier couplet pour chacune d’elles, ainsi qu’au refrain s’il existe. Ne figurent que des textes dont je connais l’air musical. Les paroles complĂštes sont bien sĂ»r Ă  la disposition de toute demande. Je dĂ©gage trois catĂ©gories notĂ©es 1 2 3 dans ce qui suit 1 chants traditionnels de rencontres, d’amours ça se termine mal bien souvent !, de berger et de bergĂšre. 2 chants de chasse, de guerre Ă©poque napolĂ©onienne en gĂ©nĂ©ral, d’engagement. 3 chants festifs chansons Ă  boire, paillardes on eut notre Ă©poque, rugbystiques. Du fait du nombre Ă©levĂ© de contributions, je regroupe l’ensemble en deux parties, de 36 puis 35 titres respectivement. Classement alphabĂ©tique et catĂ©goriel des 36 premiers textes. A/ adieu, ville de Perpignan 1 – ah ! que l’amour est agrĂ©able ! 1 – ah ! si j’avais des diamants et couronnes ! 2 – Ă  la claire fontaine 1 – Ă  l’Orient je vois briller l’aurore 2 – l’ amour qui nous mĂšne 3 – Appolonie 1 – au dĂ©but de ma vie 1 – auprĂšs d’une fontaine 1 – autrefois le trĂŽne de France 2 – aux marches du palais 1. B/ la belle s’en va au jardin d’amour 1 – Blanche la bateliĂšre 1. C/ c’est un de mes amis 1 – chanson d’un jeune amant 1 – chantons la gloire et le bonheur 2 – chevaliers de la table ronde 3 – les chiens sont sur la piste 2 – les cloches du hameau 1 – comme les autres 3. D/ la Dacquoise aux yeux noirs 1 – de bon matin je me suis levĂ© 1 – dedans Paris il y a 1 – derriĂšre chez moi 1 – divertissons-nous 3. E/ en passant par la frontiĂšre 2 – l’ Ă©pinette 3 – l’ Ă©quipe oloronaise 3 – et le grand vicaire 3 – Ă©toile des neiges 1 – EugĂ©nie 1. F/ Fanchon 3 – les fĂȘtes de MaulĂ©on 3 – fleur d’épine, fleur de rose 1. H/ l’ heure du rendez-vous 1. I/ il y a cinq ans au mois d’avril 1. DĂ©tails titre, premier couplet, refrain. Adieu, ville de Perpignan. Adieu, ville de Perpignan, adieu, la fleur de ma jeunesse. C’est Ă  prĂ©sent qu’il faut partir, sans dire adieu Ă  ma maĂźtresse. Ah ! Que l’amour est agrĂ©able ! Ah ! Que l’amour est agrĂ©able, quand on sait bien le mĂ©nager. J’aime l’amour et la tendresse, j’aime la joie. J’aime les yeux de ma maĂźtresse, quand je la vois. Ah ! Si j’avais des diamants et couronnes ! Ah ! Si j’avais des diamants et couronnes, je les mettrais Ă  tes pieds pour avoir Un doux regard trop aimable personne. C’est-il du feu que lance ton Ɠil noir ? version 1 Un doux baiser sur tes lĂšvres mignonnes, un doux baiser me refuseras-tu ? version 2 R Oh ! Toi que j’aime, d’amour extrĂȘme, daigne accepter et ma main et mon cƓur. Dans cette vie, ma douce amie, toi seule qui peut me donner le bonheur. N’entends-tu pas lĂ -bas la biche dans les bois. Le chasseur la chasse mais ne la tue pas. N’entends-tu pas dans ces vallons, le chasseur sonner du clairon Sonnez Ă  perdre haleine, sonnez, vaillants et piqueurs. Que l’écho de la plaine rĂ©pĂšte nos chants joyeux et clameurs » Tralalala 
 À la claire fontaine. À la claire fontaine, m’en allant promener, J’ai trouvĂ© l’eau si claire, que je m’y suis baignĂ© bis. R Je suis le roi d’Espagne, j’aime les filles, aux yeux noirs. LĂ -haut, sur la montagne, nous irons danser le soir, Tous les soirs, digue digue don on, digue digue don, tous les soirs nous dansons.version 1 R Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai. version 2 À l’Orient je vois briller l’aurore. À l’Orient je vois briller l’aurore, debout chasseur il est temps de partir. DĂ©jĂ  j’entends une trompe sonore, au fond des bois tout au loin retentir. Et la nature bis, au doux murmure bis, paraĂźt en fĂȘte ce matin. Les alouettes et les fauvettes lancent au ciel des roulades sans fin. Dans les prĂ©s verts, sur l’herbette, lĂ -bas, le liĂšvre encore se livre Ă  ses Ă©bats. Allons debout ! bis Gais compagnons ! bis Venez-tous, trinquons et partons. Vous, chiens Ă  perdre haleine, fouillez avec grand soin, Des bois et de la plaine, le plus petit recoin. Tralalala 
bis Amour qui nous mĂšne l’. Quand il m’en prend l’envie, oui d’aller voir ma belle, Je prends mon cheval blanc, ma bride et ma selle. R Don-daine, l’amour qui nous mĂšne, don-don. Appolonie. Point de plaisir, point de bonheur, je viens de perdre Polonie, Elle m’avait promis, de me donner son cƓur, de me chĂ©rir toute sa vie. Au dĂ©but de ma vie. Au dĂ©but de ma vie, lorsque j’avais vingt ans, Dans mon Ăąme ravie, et mon cƓur palpitant, Comme un doux son de lyre, qu’un ange fait vibrer, Tout pour moi semblait dire Enfant, il faut aimer ». Les oiseaux chantaient, pour moi douce chose, Les grands bois parlaient, les blĂ©s frĂ©missaient. Pour moi soupiraient, les lys et les roses, C’est beau le printemps, quand on a vingt ans. AuprĂšs d’une fontaine. AuprĂšs d’une fontaine, la belle soupirait. LĂ -bas sur cette plaine, il y avait un berger, Ne faisait que chanter Oh ! Qu’il est doux ! Que d’ĂȘtre aimĂ© de vous »version 1 Au bord d’une fontaine, la belle s’y reposait. Un berger de la plaine, prĂšs d’elle s’en allait, Qui chantait, qui disait Oh ! Qu’il est doux ! Que d’ĂȘtre aimĂ© de vous » Autrefois le trĂŽne de France. Autrefois le trĂŽne de France, faisait trembler tout l’univers. Depuis Paris jusqu’à Lisbonne, on n’y voyait que pavillon français. Aux marches du palais. Aux marches du palais bis Y’a une tant belle fille – lon la – y’a une tant belle fille. Belle s’en va au jardin d’amour la. La belle s’en va au jardin d’amour, pour y passer quelques semaines, Son pĂšre va, cherchant partout, et son amant qui est en peine. Blanche la bateliĂšre. Blanche la bateliĂšre, laisse lĂ  ton bateau. PrĂ©fĂšre la chaumiĂšre, aux honneurs du chĂąteau. Y viendras-tu dans la vallĂ©e, par les champs et les bois ? Ne reste pas seule isolĂ©e, Blanche, viens avec moi. Non, j’aime mieux mon bateau, tralalala 
 Ma chaloupe au bord de l’eau, tralalala 
 C’est un de mes amis. C’est un de mes amis qui vient de m’avertir Que ma maĂźtresse avait changĂ© d’avis. Et de ce pas, moi je m’en suis allĂ© Dans sa maison pour savoir ses pensĂ©es. Chanson d’un jeune amant. Chanson d’un jeune amant, et d’une jolie fille, Qui gardait son troupeau tout le long du ruisseau. Chantons la gloire et le bonheur. Chantons la gloire et le bonheur, d’une fillette qui a bon cƓur. Son amant s’en va Ă  l’armĂ©e, dans les dragons s’est engagĂ©. Il abandonne sa maĂźtresse Oh ! Grands dieux ! Quelle cruautĂ© ! Chevaliers de la table ronde. Chevaliers de la table ronde, goĂ»tons voir si le vin est bon. GoĂ»tons voir, oui, oui, oui, GoĂ»tons voir, non, non, non, GoĂ»tons voir si le vin est bon. Chiens sont sur la piste les. Les chiens sont sur la piste bis. Dans les bois, dans les bois, courrons vite bis Le chevreuil, le chevreuil est lancĂ©, Ă  travers la futaie. R Franchissons les montagnes, Ă  travers les sentiers, Ă  travers les montagnes 
 Ces forĂȘts sont Ă  nous 
 , y’a du plaisir chez nous 
 bis. Chasseur, voici l’aurore, dĂ©jĂ  l’écho va retentir, Vois ! L’horizon se colore, amis il faut partir. DĂ©jĂ , dĂ©jĂ , le soleil dore. Du haut des vallons 
 amis nous irons 
 bis Du haut des vallons 
 Allons mes amis, partez, partons bis. Tralalala 
 Cloches du hameau les. Voici le jour qui fuit, qui fuit dans la montagne, Et l’ombre de la nuit, s’étend dans nos campagnes. Voici l’heure du jour oĂč la jeune bergĂšre, Du ruisseau suit le cours sautant de pierre en pierre en faisant sa priĂšre. R L’on entend bis, les bergers bis, chanter dans la prairie Ce refrain doux et lĂ©ger qui charme son amie. Tralalala 
 Comme les autres. Oh ! Ma mĂšre, ma pauvre mĂšre, je voudrais bien me marier, Comme les autres, Avoir des filles et des garçons, Comme les autres font. Dacquoise Ă  l’Ɠil noir la. Ah ! Grands Dieux qu’elle est belle ! La Dacquoise Ă  l’Ɠil noir. Quand sa vive prunelle Ă©tincelle le soir. Lorsque son doux sourire sur ses lĂšvres avives Comme lĂ©ger zĂ©phyr baisant les prĂ©s fleuris. R Ô rondes fugitives de l’Adour, vous qui passez plaintives sans retour, Gardez sur vos rives mes amours, gardez mes amours, toujours, toujours. De bon matin je me suis levĂ©. De bon matin je me suis levĂ©, plus de matin qu’à l’ordinaire, Dedans un bois je m’en suis allĂ©, pour aller chasser. Quand j’ai entendu une jolie voix qui m’a tant charmĂ©. Dedans Paris il y a. Dedans Paris il y a bis, une jolie couturiĂšre, Qui, toute la journĂ©e bis, brodait pour le vicaire. À chaque point qu’elle faisait, son cher amant la regardait, Tout en la regardant, l’embrassait tendrement. DerriĂšre chez moi. DerriĂšre chez moi il y a une montagne, moi, mon amant nous la montions souvent. Moi, mon amant, moi, mon amant nous la montions souvent. Divertissons-nous. Buvons, trinquons, divertissons-nous, la loi nous ordonne de faire la cour, A une jolie fille, de l’ñge de quinze ans. En passant par la frontiĂšre. En passant par la frontiĂšre un coup de feu partit. Une balle meurtriĂšre, me mit hors de combat. Épinette l’. Dans notre ville est venu bis, un fameux joueur de luth bis. Il a mis sur sa boutique, pour attirer la pratique À l’auberge de l’écu, on apprend Ă  jouer de l’épinette, À l’auberge de l’écu, on apprend Ă  jouer du 
 » Troulala, troulala , 
 bis Équipe oloronaise l’. Sous le ciel d’Oloron, l’air est si pur, si bon Que chaque fils du gave, a l’étoffe d’un champion. Tout sport a ses amis, les grands et les petits, Les plus fous, les plus sages, sont piquĂ©s du rugby. Et face aux PyrĂ©nĂ©es, le stade de Saint-PĂ©e, Est le cadre rĂȘvĂ© de luttes acharnĂ©es. R C’est nous, l’équipe oloronaise, qui descend des PyrĂ©nĂ©es, pour conquĂ©rir des trophĂ©es. Avec la fougue bĂ©arnaise, c’est toujours sportivement qu’on se dĂ©fend. Nous sommes les fils de la montagne, au cƓur solide, aux bras nerveux, Car toujours qu’on perde ou que l’on gagne, On peut se vanter bien haut d’appartenir au Étoile des neiges. Dans un coin perdu de montagne, un tout petit Savoyard, Chantait son amour dans le calme du soir, PrĂšs de sa bergĂšre au doux regard. R Étoile des neiges, mon cƓur amoureux, S’est pris au piĂšge de tes grands yeux. Je te donne en gage, cette croix d’argent, Et de t’aimer toute ma vie j’en fais serment. Et le grand vicaire. Chez nous le rugby, c’est de la folie bis. Mon pĂšre botte les coups francs, ma mĂšre fait les en-avants, Et le curĂ© la touche bis. Et le grand vicaire, toujours par derriĂšre bis N’a jamais pu la toucher bis, c’est ce qui l’emmerde bis. EugĂ©nie. EugĂ©nie, les larmes aux yeux, je viens te faire mes adieux. Nous partons pour le Mexique, nous mettons les voiles au vent. Adieu donc, charmante belle, je m’en vais droit au couchant. Fanchon. Amis il faut faire une pause, j’aperçois l’ombre d’un bouchon, Buvons Ă  l’aimable Fanchon, chantons pour elle quelque chose. R Ah ! Que son entretien est doux ! Qu’elle a de mĂ©rite et de gloire ! Elle aime Ă  rire, elle aime Ă  boire, elle aime Ă  chanter comme nous ter. FĂȘtes de MaulĂ©on les. Jusqu’au plus petit coin de Navarre, de la Soule et mĂȘme du Labourd, On vous parle de MaulĂ©on-Licharre avec envie et beaucoup d’amour, De MaulĂ©on de ses superbes fĂȘtes, si vivantes, si pleines d’entrain, De ses allĂ©es de Soule coquettes, de son beau folklore souletin. R Farandoles, qui s’envolent, flambant au feu de la Saint-Jean, Jolies filles, qui pĂ©tillent, dans les bras de leur cher galant, Cavalcades, sĂ©rĂ©nades, d’irrintzina et de chansons, Nuit d’ivresse, d’allĂ©gresse, tout ça c’est les fĂȘtes de MaulĂ©on. Fleur d’épine, fleur de rose. Fleur d’épine, fleur de rose, c’est un nom qui coĂ»te cher bis. Car il coĂ»te, car il coĂ»te, Car il coĂ»te la valeur de cent Ă©cus que j’ai perdus. Tralalala 
 Heure du rendez-vous l’. Du bois nous revenions par une nuit profonde Et nous allions rĂȘvant par le mĂȘme chemin, Nous souciant fort peu s’il existait un monde Car nous n’étions que deux et le ciel pour tĂ©moin. R Puis je disais alors, ĂŽ ma belle au cƓur tendre, Demain sous les bosquets, loin des regards jaloux, Quand sonnera minuit, seul j’irai vous attendre, N’allez pas oublier l’heure du rendez-vous bis. Il y a cinq ans au mois d’avril. ce chant n’appartenait pas Ă  notre rĂ©pertoire mais comme j’en apprĂ©cie texte et mĂ©lodie je l’inclus dans ce recueil il est issu du carnet de chansons » Ă©ditĂ© par Joan de Nadau. Il y a cinq ans au mois d’avril, que mes amours je n’ai point vus. Ma mignonnette, m’avez-vous bien gardĂ©, mes amourettes, du joli temps passĂ©.
PrĂ©vert- PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS. - Jacques PrĂ©vert -. Jacques PrĂ©vert (1900-1977), poĂšte surrĂ©aliste Ă  ses dĂ©buts, ami entre-autres de Raymond Queneau, s'Ă©loignera de ce mouvement pour une poĂ©sie "populaire", frondeuse, parfois trĂšs caustique Ă  l'endroit des corps constituĂ©s : l'ArmĂ©e, l'Église, les institutions
Beaumarchais Théùtre L'Autre Tartuffe ou la mÚre coupable Un mot sur La MÚre coupable Pendant ma longue proscription, quelques amis zélés avaient imprimé cette piÚce, uniquement pour prévenir l'abus d'une contrefaçon infidÚle, furtive, et prise à la volée pendant les représentations. Mais ces amis eux-mÃÂȘmes, pour éviter d'ÃÂȘtre froissés par les agents de la Terreur, s'ils eussent laissé leurs vrais titres aux personnages espagnols car alors tout était péril, se crurent obligés de les défigurer, d'altérer mÃÂȘme leur langage, et de mutiler plusieurs scÚnes. Honorablement rappelé dans ma patrie aprÚs quatre années d'infortune, et la piÚce étant désirée par les anciens acteurs du Théùtre français, dont on connaÃt les grands talents, je la restitue en entier dans son premier état. Cette édition est celle que j'avoue. Parmi les vues de ces artistes, j'approuve celle de présenter en trois séances consécutives, tout le roman de la famille Almaviva, dont les deux premiÚres époques ne semblent pas, dans leur gaieté légÚre, offrir de rapport bien sensible avec la profonde et touchante moralité de la derniÚre; mais elles ont, dans le plan de l'auteur, une connexion intime, propre à verser le plus vif intérÃÂȘt sur les représentations de La MÚre coupable. J'ai donc pensé, avec les comédiens, que nous pouvions dire au public AprÚs avoir bien ri, le premier jour, au Barbier de Séville, de la turbulente jeunesse du Comte Almaviva, laquelle est à peu prÚs celle de tous les hommes. AprÚs avoir, le second jour, gaiement considéré, dans La Folle Journée, les fautes de son ùge viril, et qui sont trop souvent les nÎtres. Par le tableau de sa vieillesse, et voyant La MÚre coupable, venez vous convaincre avec nous que tout homme qui n'est pas né un épouvantable méchant, finit toujours par ÃÂȘtre bon quand l'ùge des passions s'éloigne, et surtout quand il a goûté le bonheur si doux d'ÃÂȘtre pÚre! C'est le but moral de la piÚce. Elle en renferme plusieurs autres que ces détails feront ressortir. Et moi, l'auteur, j'ajoute ici Venez juger La MÚre coupable, avec le bon esprit qui l'a fait composer pour vous. Si vous trouvez quelque plaisir à mÃÂȘler vos larmes aux douleurs, au pieux repentir de cette femme infortunée; si ses pleurs commandent les vÎtres, laissez-les couler doucement. Les larmes qu'on verse au théùtre, sur des maux simulés, qui ne font pas le mal de la réalité cruelle, sont bien douces. On est meilleur quand on se sent pleurer. On se trouve si bon aprÚs la compassion! AuprÚs de ce tableau touchant, si j'ai mis sous vos yeux le machinateur, l'homme affreux qui tourmente aujourd'hui cette malheureuse famille, ah! je vous jure que je l'ai vu agir; je n'aurais pas pu l'inventer. Le Tartuffe de MoliÚre était celui de la religion aussi, de toute la famille d'Orgon, ne trompa-t-il que le chef imbécile! Celui-ci, bien plus dangereux, Tartuffe de la probité, a l'art profond de s'attirer la respectueuse confiance de la famille entiÚre qu'il dépouille. C'est celui-là qu'il fallait démasquer. C'est pour vous garantir des piÚges de ces monstres et il en existe partout, que j'ai traduit sévÚrement celui-ci sur la scÚne française. Pardonnez-le-moi en faveur de sa punition, qui fait la clÎture de la piÚce. Ce cinquiÚme acte m'a coûté; mais je me serais cru plus méchant que Bégearss, si je l'avais laissé jouir du moindre fruit de ses atrocités, si je ne vous eusse calmés aprÚs des alarmes si vives. Peut-ÃÂȘtre ai-je attendu trop tard pour achever cet ouvrage terrible qui me consumait la poitrine, et devait ÃÂȘtre écrit dans la force de l'ùge. Il m'a tourmenté bien longtemps! Mes deux comédies espagnoles ne furent faites que pour le préparer. Depuis, en vieillissant, j'hésitais de m'en occuper je craignais de, manquer de force; et peut-ÃÂȘtre n'en ai-je plus à l'époque oÃÂč je l'ai tenté; mais enfin, je l'ai composé dans une intention droite et pure avec la tÃÂȘte froide d'un homme et le coeur brûlant d'une femme, comme on l'a pensé de Rousseau. J'ai remarqué que cet ensemble, cet hermaphrodisme moral, est moins rare qu'on ne le croit. Au reste, sans tenir à nul parti, à nulle secte, La MÚre coupable est un tableau des peines intérieures qui divisent bien des familles peines auxquelles malheureusement le divorce, trÚs bon d'ailleurs, ne remédie point. Quoi qu'on fasse, ces plaies secrÚtes, il les déchire au lieu de les cicatriser. Le sentiment de la paternité, la bonté du coeur, l'indulgence en sont les uniques remÚdes. Voilà ce que j'ai voulu peindre et graver dans tous les esprits. Les hommes de lettres qui se sont voués au théùtre, en examinant cette piÚce, pourront y démÃÂȘler une intrigue de comédie, fondue dans le pathétique d'un drame. Ce dernier genre, trop dédaigné de quelques juges prévenus, ne leur paraissait pas de force à comporter ces deux éléments réunis. L'intrigue, disaient-ils, est le propre des sujets gais, c'est le nerf de la comédie; on adapte le pathétique à la marche simple du drame pour en soutenir la faiblesse. Mais ces principes hasardés s'évanouissent à l'application, comme on peut s'en convaincre en s'exerçant dans les deux genres. L'exécution, plus ou moins bonne, assigne à chacun son mérite; et le mélange heureux de ces deux moyens dramatiques, employés avec art, peut produire un trÚs grand effet. Voici comment je l'ai tenté. Sur des événements antécédents connus et c'est un fort grand avantage, j'ai fait en sorte qu'un drame intéressant existùt aujourd'hui entre le Comte Almaviva, la Comtesse et les deux enfants. Si j'avais reporté la piÚce à l'ùge inconsistant oÃÂč les fautes se sont commises, voici ce qui fût arrivé. D'abord le drame eût dû s'appeler, non La MÚre coupable, mais L'Epouse infidÚle, ou Les Epoux coupables. Ce n'était déjà plus le mÃÂȘme genre d'intérÃÂȘt; il eût fallu y faire entrer des intrigues d'amour, des jalousies, du désordre, que sais-je? de tout autres événements et la moralité que je voulais faire sortir d'un manquement si grave aux devoirs de l'épouse honnÃÂȘte, cette moralité, perdue, enveloppée dans les fougues de l'ùge, n'aurait pas été aperçue. Mais c'est vingt ans aprÚs que les fautes sont consommées, quand les passions sont usées, que leurs objets n'existent plus, que les conséquences d'un désordre presque oublié viennent peser sur l'établissement et sur le sort de deux enfants malheureux qui les ont toutes ignorées, et qui n'en sont pas moins les victimes. C'est de ces circonstances graves que la moralité tire toute sa force, et devient le préservatif des jeunes personnes bien nées qui, lisant peu dans l'avenir, sont beaucoup plus prÚs du danger de se voir égarées, que de celui d'ÃÂȘtre vicieuses. Voilà sur quoi porte mon drame. Puis, opposant au scélérat notre pénétrant Figaro, vieux serviteur trÚs attaché, le seul ÃÂȘtre que le fripon n'a pu tromper dans la maison, l'intrigue qui se noue entre eux s'établit sous cet autre aspect. Le scélérat inquiet se dit "En vain j'ai le secret de tout le monde ici, en vain je me vois prÚs de le tourner à mon profit; si je ne parviens pas à faire chasser ce valet, il pourra m'arriver malheur." D'autre cÎté, j'entends le Figaro se dire "Si je ne réussis à dépister ce monstre, à lui faire tomber le masque, la fortune, l'honneur, le bonheur de cette maison, tout est perdu." La Suzanne, jetée entre ces deux lutteurs, n'est ici qu'un souple instrument, dont chacun entend se servir pour hùter la chute de l'autre. Ainsi, la comédie d'intrigue, soutenant la curiosité, marche tout au travers du drame, dont elle renforce l'action, sans en diviser l'intérÃÂȘt, qui se porte tout entier sur la mÚre. Les deux enfants, aux yeux du spectateur, ne courent aucun danger réel. On voit bien qu'ils s'épouseront si le scélérat est chassé, car ce qu'il y a de mieux établi dans l'ouvrage, c'est qu'ils ne sont parents à nul degré, qu'ils sont étrangers l'un à l'autre ce que savent fort bien, dans le secret du coeur, le Comte, la Comtesse, le scélérat, Suzanne et Figaro, tous instruits des événements; sans compter le public qui assiste à la piÚce, et à qui nous n'avons rien caché. Tout l'art de l'hypocrite, en déchirant le coeur du pÚre et de la mÚre, consiste à effrayer les jeunes gens, à les arracher l'un à l'autre, en leur faisant croire à chacun qu'ils sont enfants du mÃÂȘme pÚre; c'est là le fond de son intrigue. Ainsi marche le double plan, que l'on peut appeler complexe. Une telle action dramatique peut s'appliquer à tous les temps, à tous les lieux oÃÂč les grands traits de la nature, et tous ceux qui caractérisent le coeur de l'homme et ses secrets ne seront pas trop méconnus. Diderot, comparant les ouvrages de Richardson avec tous ces romans que nous nommons l'histoire, s'écrie, dans son enthousiasme pour cet auteur juste et profond "Peintre du coeur humain! c'est toi seul qui ne mens jamais!" Quel mot sublime! Et moi aussi j'essaye encore d'ÃÂȘtre peintre du coeur humain mais ma palette est desséchée par l'ùge et les contradictions. La MÚre coupable a dû s'en ressentir! Que si ma faible exécution nuit à l'intérÃÂȘt de mon plan, le principe que j'ai posé n'en a pas moins toute sa justesse. Un tel essai peut inspirer le dessein d'en offrir de plus fortement concertés. Qu'un homme de feu l'entreprenne, y mÃÂȘlant, d'un crayon hardi, l'intrigue avec le pathétique, qu'il broie et fonde savamment les vives couleurs de chacun, qu'il nous peigne à grands traits l'homme vivant en société, son état, ses passions, ses vices, ses vertus, ses fautes et ses malheurs, avec la vérité frappante que l'exagération mÃÂȘme, qui fait briller les autres genres, ne permet pas toujours de rendre aussi fidÚlement touchés, intéressés, instruits, nous ne dirons plus que le drame est un genre décoloré, né de l'impuissance de produire une tragédie ou une comédie. L'art aura pris un noble essor; il aura fait encore un pas. O mes concitoyens! vous à qui j'offre cet essai; s'il vous paraÃt faible ou manqué, critiquez-le, mais sans m'injurier. Lorsque je fis mes autres piÚces, on m'outragea longtemps, pour avoir osé mettre au théùtre ce jeune Figaro, que vous avez aimé depuis. J'étais jeune aussi, j'en riais. En vieillissant, l'esprit s'attriste, le caractÚre se rembrunit. J'ai beau faire, je ne ris plus quand un méchant ou un fripon insulte à ma personne, à l'occasion de mes ouvrages on n'est pas maÃtre de cela. Critiquez la piÚce fort bien. Si l'auteur est trop vieux pour en tirer du fruit, votre leçon peut profiter à d'autres. L'injure ne profite à personne, et mÃÂȘme elle n'est pas de bon goût. On peut offrir cette remarque à une nation renommée par son ancienne politesse, qui la faisait servir de modÚle en ce point, comme elle est encore aujourd'hui celui de la haute vaillance. Personnages Le Comte Almaviva, grand seigneur espagnol, d'une fierté noble, et sans orgueil. La Comtesse Almaviva, trÚs malheureuse, et d'une angélique piété. Le Chevalier Léon, leur fils, jeune homme épris de la liberté, comme toutes les ùmes ardentes et neuves. Florestine, pupille et filleule du Comte Almaviva, jeune personne d'une grande sensibilité. M. Bégearss, Irlandais, major d'infanterie espagnole, ancien secrétaire des ambassades du Comte; homme trÚs profond, et grand machinateur d'intrigues, fomentant le trouble avec art. Figaro, valet de chambre, chirurgien et homme de confiance du Comte; homme formé par l'expérience du monde et des événements. Suzanne, premiÚre camariste de la Comtesse, épouse de Figaro; excellente femme, attachée à sa maÃtresse, et revenue des illusions du jeune ùge. M. Fal, notaire du Comte, homme exact et trÚs honnÃÂȘte. Guillaume, valet allemand de M. Bégearss, homme trop simple pour un tel maÃtre. La scÚne est à Paris, dans l'hÎtel occupé par la famille du Comte, et se passe à la fin de 1790. L'autre Tartuffe ou La MÚre coupable Acte Premier Le théùtre représente un salon fort orné. ScÚne I Suzanne, seule, tenant des fleurs obscures dont elle fait un bouquet. Que madame s'éveille et sonne; mon triste ouvrage est achevé. Elle s'assied avec abandon. A peine il est neuf heures, et je me sens déjà d'une fatigue... Son dernier ordre, en la couchant, m'a gùté ma nuit tout entiÚre... Demain, Suzanne, au point du jour, fais apporter beaucoup de fleurs, et garnis-en mes cabinets. - Au portier Que, de la journée, il n'entre personne pour moi. - Tu me formeras un bouquet de fleurs noires et rouge foncé, un seul oeillet blanc au milieu... Le voilà . - Pauvre maÃtresse! Elle pleurait!... Pour qui ce mélange d'apprÃÂȘts?... Eeeh! si nous étions en Espagne, ce serait aujourd'hui la fÃÂȘte de son fils Léon... avec mystÚre et d'un autre homme qui n'est plus! Elle regarde les fleurs. Les couleurs du sang et du deuil! Elle soupire. Ce coeur blessé ne guérira jamais! - Attachons-le d'un crÃÂȘpe noir, puisque c'est là sa triste fantaisie. Elle attache le bouquet. ScÚne II Suzanne, Figaro, regardant avec mystÚre. Cette scÚne doit marcher chaudement. Suzanne Entre donc, Figaro! Tu prends l'air d'un amant en bonne fortune chez ta femme! Figaro Peut-on vous parler librement? Suzanne Oui, si la porte reste ouverte. Figaro Et pourquoi cette précaution? Suzanne C'est que l'homme dont il s'agit peut entrer d'un moment à l'autre. Figaro, appuyant. Honoré Tartuffe Bégearss? Suzanne Et c'est un rendez-vous donné. - Ne t'accoutume donc pas à charger son nom d'épithÚtes; cela peut se redire et nuire à tes projets. Figaro Il s'appelle Honoré! Suzanne Mais non pas Tartuffe. Figaro Morbleu! Suzanne Tu as le ton bien soucieux! Figaro Furieux. Elle se lÚve. Est-ce là notre convention? M'aidez-vous franchement, Suzanne, à prévenir un grand désordre? Serais-tu dupe encore de ce trÚs méchant homme? Suzanne Non; mais je crois qu'il se méfie de moi il ne me dit plus rien. J'ai peur, en vérité, qu'il ne nous croie raccommodés. Figaro Feignons toujours d'ÃÂȘtre brouillés. Suzanne Mais qu'as-tu donc appris qui te donne une telle humeur? Figaro Recordons-nous d'abord sur les principes. Depuis que nous sommes à Paris, et que M. Almaviva... Il faut bien lui donner son nom, puisqu'il ne souffre plus qu'on l'appelle Monseigneur.... Suzanne, avec humeur. C'est beau! et madame sort sans livrée! Nous avons l'air de tout le monde! Figaro Depuis, dis-je, qu'il a perdu, pour une querelle de jeu, son libertin de fils aÃné, tu sais comment tout a changé pour nous! comme l'humeur du Comte est devenue sombre et terrible! Suzanne Tu n'es pas mal bourru non plus! Figaro Comme son autre fils paraÃt lui devenir odieux! Suzanne Que trop! Figaro Comme madame est malheureuse! Suzanne C'est un grand crime qu'il commet! Figaro Comme il redouble de tendresse pour sa pupille Florestine! comme il fait surtout des efforts pour dénaturer sa fortune! Suzanne Sais-tu, mon pauvre Figaro! que tu commences à radoter? Si je sais tout cela, qu'est-il besoin de me le dire? Figaro Encore faut-il bien s'expliquer pour s'assurer que l'on s'entend! N'est-il pas avéré pour nous que cet astucieux Irlandais, le fléau de cette famille, aprÚs avoir chiffré, comme secrétaire, quelques ambassades auprÚs du Comte, s'est emparé de leurs secrets à tous? Que ce profond machinateur a su les entraÃner de l'indolente Espagne en ce pays, remué de fond en comble, espérant y mieux profiter de la désunion oÃÂč ils vivent pour séparer le mari de la femme, épouser la pupille, et envahir les biens d'une maison qui se délabre? Suzanne Enfin, moi! que puis-je à cela? Figaro Ne jamais le perdre de vue; me mettre au cours de ses démarches. Suzanne Mais je te rends tout ce qu'il dit. Figaro Oh! ce qu'il dit... n'est que ce qu'il veut dire! Mais saisir, en parlant, les mots qui lui échappent, le moindre geste, un mouvement; c'est là qu'est le secret de l'ùme! Il se trame ici quelque horreur. Il faut qu'il s'en croie assuré; car je lui trouve un air... plus faux, plus perfide et plus fat; cet air des sots de ce pays, triomphant avant le succÚs. Ne peux-tu ÃÂȘtre aussi perfide que lui? l'amadouer, le bercer d'espoir? quoi qu'il demande, ne pas le refuser? Suzanne C'est beaucoup! Figaro Tout est bien, et tout marche au but, si j'en suis promptement instruit. Suzanne ... Et si j'en instruis ma maÃtresse? Figaro Il n'est pas temps encore ils sont tous subjugués par lui. On ne te croirait pas tu nous perdrais sans les sauver. Suis-le partout, comme son ombre... et moi, je l'épie au-dehors... Suzanne Mon ami, je t'ai dit qu'il se défie de moi; et s'il nous surprenait ensemble... Le voilà qui descend... Ferme! ayons ait de quereller bien fort. Elle pose le bouquet sur la table. Figaro, élevant la voix. Moi, je ne le veux pas! Que je t'y prenne une autre fois!... Suzanne, élevant la voix. Certes! oui, je te crains beaucoup! Figaro, feignant de lui donner un soufflet. Ah! tu me crains!... Tiens, insolente! Suzanne, feignant de l'avoir reçu. Des coups à moi... chez ma maÃtresse! ScÚne III Le Major Bégearss, Figaro, Suzanne. Bégearss en uniforme, un crÃÂȘpe noir au bras. Eh! mais quel bruit! Depuis une heure j'entends disputer de chez moi... Figaro, à part. Depuis une heure! Bégearss Je sors, je trouve une femme éplorée... Suzanne, feignant de pleurer. Le malheureux lÚve la main sur moi! Bégearss Ah! l'horreur, monsieur Figaro! Un galant homme a-t-il jamais frappé une personne de l'autre sexe? Figaro, brusquement. Eh morbleu! monsieur, laissez-nous! Je ne suis point un galant homme; et cette femme n'est point une personne de l'autre sexe elle est ma femme, une insolente qui se mÃÂȘle dans des intrigues, et qui croit pouvoir me braver, parce qu'elle a ici des gens qui la soutiennent. Ah! j'entends la morigéner... Bégearss Est-on brutal à cet excÚs? Figaro Monsieur, si je prends un arbitre de mes procédés envers elle, ce sera moins vous que tout autre; et vous savez trop bien pourquoi! Bégearss Vous me manquez, monsieur; je vais m'en plaindre à votre maÃtre. Figaro, raillant. Vous manquer! moi? c'est impossible. Il sort. ScÚne IV Bégearss, Suzanne. Bégearss Mon enfant, je n'en reviens point. Quel est donc le sujet de son emportement? Suzanne Il m'est venu chercher querelle; il m'a dit cent horreurs de vous. Il me défendait de vous voir, de jamais oser vous parler. J'ai pris votre parti; la dispute s'est échauffée; elle a fini par un soufflet... Voilà le premier de sa vie; mais moi, je veux me séparer. Vous l'avez vu... Bégearss Laissons cela. - Quelque léger nuage altérait ma confiance en toi; mais ce débat l'a dissipé. Suzanne Sont-ce là vos consolations? Bégearss Va, c'est moi qui t'en vengerai! il est bien temps que je m'acquitte envers toi, ma pauvre Suzanne! Pour commencer, apprends un grand secret... Mais sommes-nous bien sûrs que la porte est fermée? Suzanne y va voir. - Il dit à part Ah! si je puis avoir seulement trois minutes l'écrin au double fond que j'ai fait faire à la Comtesse, oÃÂč sont ces importantes lettres... Suzanne, revient. Eh bien! ce grand secret? Bégearss Sers ton ami; ton sort devient superbe. - J'épouse Florestine; c'est un point arrÃÂȘté; son pÚre le veut absolument. Suzanne Qui, son pÚre? Bégearss, en riant. Eh, d'oÃÂč sors-tu donc? RÚgle certaine, mon enfant lorsque telle orpheline arrive chez quelqu'un comme pupille ou bien comme filleule, elle est toujours la fille du mari. D'un ton sérieux. Bref, je puis l'épouser... si tu me la rends favorable. Suzanne Oh! mais Léon en est trÚs amoureux. Bégearss Leur fils? Froidement. Je l'en détacherai. Suzanne, étonnée. Ha!... Elle aussi, elle est fort éprise! Bégearss De lui? Suzanne Bégearss, froidement. Je l'en guérirai. Suzanne, plus surprise. Ha! ha!... Madame, qui le sait, donne les mains à leur union. Bégearss, froidement. Nous la ferons changer d'avis. Suzanne, stupéfaite. Aussi?... Mais Figaro, si je vois bien, est le confident du jeune homme. Bégearss C'est le moindre de mes soucis. Ne serais-tu pas aise d'en ÃÂȘtre délivrée? Suzanne S'il ne lui arrive aucun mal... Bégearss Fi donc! la seule idée flétrit l'austÚre probité. Mieux instruits sur leurs intérÃÂȘts, ce sont eux-mÃÂȘmes qui changeront d'avis. Suzanne, incrédule. Si vous faites cela, monsieur... Bégearss, appuyant. Je le ferai. - Tu sens que l'amour n'est pour rien dans un pareil arrangement. L'air caressant. Je n'ai jamais vraiment aimé que toi. Suzanne, incrédule. Ah? si madame avait voulu... Bégearss Je l'aurais consolée sans doute; mais elle a dédaigné mes voeux!... Suivant le plan que le Comte a formé, la Comtesse va au couvent. Suzanne, vivement. Je ne me prÃÂȘte à rien contre elle. Bégearss Que diable! il la sert dans ses goûts! je t'entends toujours dire Ah! C'est un ange sur la terre! Suzanne, en colÚre. Eh bien! faut-il la tourmenter? Bégearss, riant. Non; mais du moins la rapprocher de ce ciel, la patrie des anges, dont elle est un moment tombée!... Et puisque, dans ces nouvelles et merveilleuses lois, le divorce s'est établi... Suzanne, vivement. Le Comte veut s'en séparer? Bégearss S'il peut. Suzanne, en colÚre. Ah! les scélérats d'hommes! quand on les étranglerait tous!... Bégearss, riant. J'aime à croire que tu m'en exceptes? Suzanne Ma foi!... pas trop. Bégearss, riant. J'adore ta franche colÚre elle met à jour ton bon coeur! Quant à l'amoureux chevalier, il le destine à voyager... longtemps. - Le Figaro, homme expérimenté,. sera son discret conducteur. Il lui prend la main. Et voici ce qui nous concerne. Le Comte, Florestine et moi, habiterons le mÃÂȘme hÎtel; et la chÚre Suzanne à nous, chargée de toute la confiance, sera notre surintendant, commandera la domesticité, aura la grande main sur tout. Plus de mari, plus de soufflets, plus de brutal contradicteur; des jours filés d'or et de soie, et la vie la plus fortunée!... Suzanne A vos cajoleries, je vois que vous voulez que je vous serve auprÚs de Florestine? Bégearss, caressant. A dire vrai, j'ai compté sur tes soins. Tu fus toujours une excellente femme! J'ai tout le reste dans ma main; ce point seul est entre les tiennes. Vivement. Par exemple, aujourd'hui tu peux nous rendre un signalé... Suzanne l'examine. Bégearss se reprend. Je dis un signalé, par l'importance qu'il y met. Froidement. Car, ma foi! c'est bien peu de chose! Le Comte aurait la fantaisie... de donner à sa fille, en signant le contrat, une parure absolument semblable aux diamants de la Comtesse. Il ne voudrait pas qu'on le sût. Suzanne, surprise. Ha! ha! Bégearss Ce n'est pas trop mal vu! De beaux diamants terminent bien des choses! Peut-ÃÂȘtre il va te demander d'apporter l'écrin de sa femme, pour en confronter les dessins avec ceux de son joaillier. Suzanne Pourquoi comme ceux de madame? C'est une idée assez bizarre! Bégearss Il prétend qu'ils soient aussi beaux... Tu sens, pour moi, combien c'était égal! Tiens, vois-tu? le voici qui vient. ScÚne V Le Comte, Suzanne, Bégearss. Le Comte Monsieur Bégearss; je vous cherchais. Bégearss Avant d'entrer chez vous, monsieur, je venais prévenir Suzanne que vous avez dessein de lui demander cet écrin... Suzanne Au moins, Monseigneur, vous sentez... Le Comte Eh! laisse là ton Monseigneur! N'ai-je pas ordonné, en passant dans ce pays-ci?... Suzanne Je trouve, Monseigneur, que cela nous amoindrit. Le Comte C'est que tu t'entends mieux en vanité qu'en vraie fierté. Quand on veut vivre dans un pays, il n'en faut point heurter les préjugés. Suzanne Eh bien! monsieur, du moins vous me donnez votre parole... Le Comte, fiÚrement. Depuis quand suis-je méconnu? Suzanne Je vais donc vous l'aller chercher. A part. Dame! Figaro m'a dit de ne rien refuser!... ScÚne VI Le Comte, Bégearss. Le Comte J'ai tranché sur le point qui paraissait l'inquiéter. Bégearss Il en est un, monsieur, qui m'inquiÚte beaucoup plus; je vous trouve un air accablé... Le Comte Te le dirai-je, ami! la perte de mon fils me semblait le plus grand malheur un chagrin plus poignant fait saigner ma blessure, et rend ma vie insupportable. Bégearss Si vous ne m'aviez pas interdit de vous contrarier là -dessus, je vous dirais que votre second fils... Le Comte, vivement. Mon second fils! je n'en ai point! Bégearss Calmez-vous, monsieur;. raisonnons. La perte d'un enfant chéri peut vous rendre injuste envers l'autre, envers votre épouse, envers vous. Est-ce donc sur des conjectures qu'il faut juger de pareils faits? Le Comte Des conjectures? Ah! j'en suis trop certain! Mon grand chagrin est de manquer de preuves. Tant que mon pauvre fils vécut, j'y mettais fort eu d'importance. Héritier de mon nom, de mes places, de ma fortune... que me faisait cet autre individu? Mon froid dédain, un nom de terre, une croix de Malte, une pension m'auraient vengé de sa mÚre et de lui! Mais conçois-tu mon désespoir, en perdant un fils adoré, de voir un étranger succéder à ce rang, à ces titres; et, pour irriter ma douleur, venir tous les jours me donner le nom odieux de son pÚre? Bégearss Monsieur, je crains de vous aigrir, en cherchant à vous apaiser; mais la vertu de votre épouse... Le Comte, avec colÚre. Ah! ce n'est qu'un crime de plus. Couvrir d'une vie exemplaire un affront tel que celui-là ! Commander vingt ans, par ses moeurs, et la piété la plus sévÚre, l'estime et le respect du monde, et verser sur moi seul, par cette conduite affectée, tous les torts qu'entraÃne aprÚs soi ma prétendue bizarrerie!... Ma haine pour eux s'en augmente. Bégearss Que vouliez-vous donc qu'elle fÃt, mÃÂȘme en la supposant coupable? Est-il au monde quelque faute qu'un repentir de vingt années ne doive effacer à la fin? Fûtes-vous sans reproche vous-mÃÂȘme? Et cette jeune Florestine, que vous nommez votre pupille, et qui vous touche de plus prÚs... Le Comte Qu'elle assure donc ma vengeance! Je dénaturerai mes biens, et les lui ferai tous passer. Déjà trois millions d'or, arrivés de la Vera-Cruz, vont lui servir de dot; et c'est à toi que je les donne. Aide-moi seulement à jeter sur ce don un voile impénétrable. En acceptant mon portefeuille et te présentant comme époux, suppose un héritage, un legs de quelque parent éloigné. Bégearss montrant le crÃÂȘpe de son bras. Voyez que, pour vous obéir, je me suis déjà mis en deuil. Le Comte Quand j'aurai l'agrément du Roi pour l'échange entamé de toutes mes terres d'Espagne contre des biens dans ce pays je trouverai moyen de vous en assurer la possession à tous deux. Bégearss, vivement. Et moi, je n'en veux point. Croyez-vous que, sur des soupçons... peut-ÃÂȘtre encore trÚs peu fondés, j'irai me rendre le complice de la spoliation entiÚre de l'héritier de votre nom, d'un jeune homme plein de mérite? car il faut avouer qu'il en a... Le Comte, impatienté. Plus que mon fils, voulez-vous dire? Chacun le pense comme vous; cela m'irrite contre lui!... Bégearss Si votre pupille m'accepte, et si, sur vos grands biens, vous prélevez pour la doter ces trois millions d'or du Mexique, je ne supporte point l'idée d'en devenir propriétaire, et ne les recevrai qu'autant que le contrat en contiendra la donation que mon amour sera censé lui faire. Le Comte le serre dans ses bras. Loyal et franc ami! Quel époux je donne à ma fille! ScÚne VII Suzanne, Le Comte, Bégearss. Suzanne Monsieur, voilà le coffre aux diamants. Ne le gardez pas trop longtemps, que je puisse le remettre en place avant qu'il soit jour chez madame. Le Comte Suzanne, en t'en allant, défends qu'on entre, à moins que je ne sonne. Suzanne, à part. Avertissons Figaro de ceci. Elle sort. ScÚne VIII Le Comte, Bégearss. Bégearss Quel est votre projet sur l'examen de cet écrin? Le Comte tire de sa poche un bracelet entouré de brillants. Je ne veux plus te déguiser tous les détails de mon affront; écoute. Un certain Léon d'Astorga, qui fut jadis mon page, et que l'on nommait Chérubin... Bégearss Je l'ai connu; nous servions dans le régiment dont je vous dois d'ÃÂȘtre major. Mais il y a vingt ans qu'il n'est plus. Le Comte C'est ce qui fonde mon soupçon. Il eut l'audace de l'aimer. Je la crus éprise de lui, je l'éloignai d'Andalousie, par un emploi dans ma légion. Un an aprÚs la naissance du fils... qu'un combat détesté m'enlÚve il met la main à ses yeux, lorsque je m'embarquai vice-roi du Mexique, au lieu de rester à Madrid, ou dans mon palais à Séville, ou d'habiter Aguas Frescas, qui est un superbe séjour, quelle retraite, ami, crois-tu que ma femme choisit? Le vilain chùteau d'Astorga, chef-lieu d'une méchante terre que j'avais achetée des parents de ce page. C'est là qu'elle a voulu passer les trois années de mon absence qu'elle y a mis au monde... aprÚs neuf ou dix mois, que sais-je? ce misérable enfant, qui porte les traits d'un perfide! jadis, lorsqu'on m'avait peint pour le bracelet de la Comtesse, le peintre, ayant trouvé ce page fort joli, désira d'en faire une étude; c'est un des beaux tableaux de mon cabinet. Bégearss Oui... il baisse les yeux à telles enseignes que votre épouse... Le Comte, vivement. Ne veut jamais le regarder? Eh bien! sur ce portrait j'ai fait faire celui-ci, dans ce bracelet, pareil en tout au sien, fait par le mÃÂȘme joaillier qui monta tous ses diamants; je vais le substituer à la place du mien. Si elle en garde le silence, vous sentez que ma preuve est faite. Sous quelque forme qu'elle en parle une explication sévÚre éclaircit ma honte à l'instant. Bégearss Si vous demandez mon avis, monsieur, je blùme un tel projet. Le Comte Pourquoi? Bégearss L'honneur répugne à de pareils moyens. Si quelque hasard, heureux ou malheureux, vous eût présenté certains faits, je vous excuserais de les approfondir. Mais tendre un piÚge! des surprises! Eh! quel homme, un peu délicat, voudrait prendre un tel avantage sur son plus mortel ennemi? Le Comte Il est trop tard pour reculer le bracelet est fait, le portrait du page est dedans... Bégearss prend l'écrin. Monsieur, au nom du véritable honneur... Le Comte a enlevé le bracelet de l'écrin. Ah! mon cher portrait, je te tiens! j'aurai du moins la joie d'en orner le bras de ma fille, cent fois plus digne de le porter! Il y substitue l'autre. Bégearss feint de s'y opposer. Ils tirent chacun l'écrin de leur coté; Bégearss fait ouvrir adroitement le double fond, et dit avec colÚre Ah! voilà la boÃte brisée! Le Comte regarde. Non; ce n'est qu'un secret que le débat a fait ouvrir. Ce double fond renferme des papiers! Bégearss, s'y opposant. Je me flatte, monsieur, que vous n'abuserez point... Le Comte, impatient. "Si quelque heureux hasard vous eût présenté certains faits, me disais-tu dans le moment, je vous excuserais de les approfondir..." Le hasard me les offre, et je vais suivre ton conseil. Il arrache les papiers. Bégearss, avec chaleur. Pour l'espoir de ma vie entiÚre, je ne voudrais pas devenir complice d'un tel attentat! Remettez ces papiers, monsieur, ou souffrez que je me retire. Il s'éloigne. - Le Comte tient des papiers et lit. - Bégearss le regarde en dessous, et s'applaudit secrÚtement. Le Comte, avec fureur. Je n'en veux pas apprendre davantage; renferme tous les autres; et moi, je garde celui-ci. Bégearss Non; quel qu'il soit, vous avez trop d'honneur pour commettre une... Le Comte, fiÚrement. Une?... Achevez! tranchez le mot; je puis l'entendre. Bégearss, se courbant. Pardon, monsieur, mon bienfaiteur! et n'imputez qu'à ma douleur l'indécence de mon reproche. Le Comte Loin de t'en savoir mauvais gré, je t'en estime davantage. Il rejette sur un fauteuil. Ah! perfide Rosine! car, malgré mes légÚretés, elle est la seule pour qui j'aie éprouvé... J'ai subjugué les autres femmes! Ah! je sens à ma rage combien cette indigne passion... Je me déteste de l'aimer! BÚgearss Au nom de Dieu, monsieur, remettez ce fatal papier! ScÚne IX Figaro, Le Comte, Bégearss. Le Comte se lÚve. Homme importun, que voulez-vous? Figaro J'entre, parce qu'on a sonné. Le Comte, en colÚre. J'ai sonné? Valet curieux!... Figaro Interrogez le joaillier, qui l'a entendu comme moi. Le Comte Mon joaillier? que me veut-il? Figaro Il dit qu'il a un rendez-vous pour un bracelet qu'il a fait. Bégearss, s'apercevant qu'il cherche à voir l'écrin qui est sur la table fait ce qu'il peut pour le masquer. Le Comte Ah!... Qu'il revienne un autre jour. Figaro, avec malice. Mais pendant que monsieur a l'écrin de madame ouvert, il serait peut-ÃÂȘtre à propos... Le Comte, en colÚre. Monsieur l'inquisiteur, partez; et s'il vous échappe un seul mot... Figaro Un seul mot? J'aurais trop à dire; je ne veux rien faire à demi. Il examine l'écrin, le papier que tient le Comte, lance un fier coup d'oeil à Bégearss, et sort. ScÚne X Le Comte, Bégearss. Le Comte Refermons ce perfide écrin. J'ai la preuve que je cherchais. Je la tiens, j'en suis désolé pourquoi l'ai-je trouvée? Ah! Dieu! lisez, lisez, monsieur Bégearss. Bégearss, repoussant le papier. Entrer dans de pareils secrets! Dieu préserve qu'on m'en accuse! Le Comte Quelle est donc la sÚche amitié qui repousse mes confidences? Je vois qu'on n'est compatissant que pour les maux qu'on éprouva soi-mÃÂȘme. Bégearss Quoi! pour refuser ce papier!... Vivement. Serrez-le donc, voici Suzanne. Il referme vite le secret de l'écrin. - Le Comte met la lettre dans sa veste, sur sa poitrine. ScÚne XI Suzanne, Le Comte, Bégearss. Le Comte est accablé. Suzanne accourt. L'écrin, l'écrin! Madame sonne. Bégearss le lui donne. Suzanne, vous voyez que tout y est en bon état. Suzanne Qu'a donc monsieur? il est troublé! Bégearss Ce n'est rien qu'un peu de colÚre contre votre indiscret mari qui est entré malgré ses ordres. Suzanne, finement. Je l'avais dit pourtant de maniÚre à ÃÂȘtre entendue. Elle sort. ScÚne XII Léon, Le Comte, Bégearss. Le Comte veut sortir, il voit entrer Léon. Voici l'autre! Léon, timidement, veut embrasser le Comte. Mon pÚre, agréez mon respect. Avez-vous bien passé la nuit? Le Comte, sÚchement le repousse. OÃÂč fûtes-vous, monsieur, hier au soir? Léon Mon pÚre, on me mena dans une assemblée estimable... Le Comte OÃÂč vous fÃtes une lecture? Léon On m'invita d'y lire un essai que j'ai fait sur l'abus des voeux monastiques et le droit de s'en relever. Le Comte, amÚrement. Les voeux des chevaliers en sont? Bégearss Qui fut, dit-on, trÚs applaudi? Léon Monsieur, on a montré quelque indulgence pour mon ùge. Le Comte Donc, au lieu de vous préparer à partir pour vos caravanes, à bien mériter de votre ordre, vous vous faites des ennemis? vous allez composant, écrivant sur le ton du jour!... BientÎt on ne distinguera plus un gentilhomme savant! Léon, timidement. Mon pÚre, on en distinguera mieux un ignorant d'un homme instruit, et l'homme libre de l'esclave. Le Comte Discours d'enthousiaste! On voit oÃÂč vous en voulez venir. Il veut sortir. Léon Mon pÚre!... Le Comte, dédaigneux. Laissez à l'artisan des villes ces locutions triviales. Les gens de notre état ont un langage plus élevé. Qui est-ce qui dit mon pÚre, à la Cour, monsieur? Appelez-moi monsieur! Vous sentez l'homme du commun! Son pÚre!... Il sort; Léon le suit en regardant Bégearss qui lui fait un geste de compassion. Allons, monsieur Bégearss, allons! Acte deuxiÚme Le théùtre représente la bibliothÚque du Comte. ScÚne I Le Comte. Puisqu'enfin je suis seul, lisons cet étonnant écrit, qu'un hasard presque inconcevable a fait tomber entre mes mains Il tire de son sein la lettre de l'écrin, et la lit en pesant sur tous les mots. "Malheureux insensé! notre sort est rempli. La surprise nocturne que vous avez osé me faire, dans un chùteau oÃÂč vous fûtes élevé, dont vous connaissiez les détours; la violence 'qui s'en est suivie, enfin votre crime, - le mien... il s'arrÃÂȘte le mien reçoit sa juste punition. Aujourd'hui, jour de saint Léon, patron de ce lieu et le vÎtre, je viens de mettre au monde un fils, mon opprobre et mon désespoir. Grùce à de tristes précautions, l'honneur est sauf; mais la vertu n'est plus. - Condamnée désormais à des larmes intarissables, je sens qu'elles n'effaceront point un crime... dont l'effet reste subsistant. Ne me voyez jamais; c'est l'ordre irrévocable de la misérable Rosine... qui n'ose plus signer un autre nom." Il porte ses mains avec la lettre à son front et se promÚne.... Qui n'ose plus signer un autre nom!... Ah! Rosine! oÃÂč est le temps?... Mais tu t'es avilie!... Il s'agite. Ce n'est point là l'écrit d'une méchante femme! Un misérable corrupteur... Mais voyons la réponse écrite sur la mÃÂȘme lettre. Il lit. "Puisque je ne dois plus vous voir, la vie m'est odieuse et je vais la perdre avec joie dans la vive attaque d'un fort oÃÂč je ne suis point commandé. "Je vous renvoie tous vos reproches, le portrait que j'ai fait de vous, et la boucle de cheveux que je vous dérobai. L'ami qui vous rendra ceci quand je ne serai plus est sûr. Il a vu tout mon désespoir. Si la mort d'un infortuné vous inspirait un reste de pitié, parmi les noms qu'on va donner à l'héritier... d'un autre plus heureux!... puis-je espérer que le nom de Léon vous rappellera quelquefois le souvenir du malheureux... qui expire en vous adorant, et signe pour la derniÚre fois, Chérubin-Léon d'Astorga..." Puis, en caractÚres sanglants!... "Blessé à mort, je rouvre cette lettre, et vous écris avec mon sang ce douloureux, cet éternel adieu. Souvenez-vous..." Le reste est effacé par des larmes... Il s'agite. Ce n'est point là non plus l'écrit d'un méchant homme! Un malheureux égarement... Il s'assied et reste absorbé. Je me sens déchiré! ScÚne II Bégearss, Le Comte. Bégearss, en entrant, s'arrÃÂȘte, le regarde, et se mord le doigt avec mystÚre. Le Comte Ah! mon cher ami, venez donc!... Vous me voyez dans un accablement... Bégearss TrÚs effrayant, monsieur, je n'osais avancer. Le Comte Je viens de lire cet écrit. Non, ce n'étaient point là des ingrats ni des monstres, mais de malheureux insensés, comme ils se le disent eux-mÃÂȘmes... Bégearss Je l'ai présumé comme vous. Le Comte se lÚve et se promÚne. Les misérables femmes, en se laissant séduire, ne savent guÚre les maux qu'elles apprÃÂȘtent! Elles vont, elles vont... les affronts s'accumulent... et le monde injuste et léger accuse un pÚre qui se tait, qui dévore en secret ses peines! On le taxe de dureté pour les sentiments qu'il refuse au fruit d'un coupable adultÚre!... Nos désordres, à nous, ne leur enlÚvent presque rien; ne peuvent, du moins, leur ravir la certitude d'ÃÂȘtre mÚres, ce bien inestimable de la maternité! tandis que leur moindre caprice, un goût, une étourderie légÚre, détruit dans l'homme le bonheur... le bonheur de toute sa vie, la sécurité d'ÃÂȘtre pÚre. - Ah! ce n'est point légÚrement qu'on a donné tant d'importance à la fidélité des femmes! Le bien, le mal de la société, sont attachés à leur conduite; le paradis ou l'enfer des familles dépend à tout jamais de l'opinion qu'elles ont donnée d'elles. Bégearss Calmez-vous; voici votre fille. ScÚne III Florestine, Le Comte, Bégearss. Florestine, un bouquet au cÎté. On vous disait, monsieur, si occupé, que je n'ai pas osé vous fatiguer de mon respect. Le Comte Occupé de toi, mon enfant! ma fille! Ah! je me plais à te donner ce nom; car j'ai pris soin de ton enfance. Le mari de ta mÚre était fort dérangé; en mourant il ne laissa rien. Elle-mÃÂȘme, en quittant la vie, t'a recommandée à mes soins. Je lui engageai ma parole; je la tiendrai, ma fille, en te donnant un noble époux. Je te parle avec liberté devant cet ami qui nous aime. Regarde autour de toi; choisis! Ne trouves-tu personne ici digne de posséder ton coeur? Florestine, lui baisant la main. Vous l'avez tout entier, monsieur; et si je me vois consultée, je répondrai que mon bonheur est de ne point changer d'état. - Monsieur votre fils en se mariant... car, sans doute, il ne restera plus dans l'ordre de Malte aujourd'hui, monsieur votre fils, en se mariant, peut se séparer de son pÚre. Ah! permettez que ce soit moi qui prenne soin de vos vieux jours! C'est un devoir, monsieur, que je remplirai avec joie. Le Comte Laisse, laisse monsieur, réservé pour l'indifférence; on ne sera point étonné qu'une enfant si reconnaissante me donne un nom plus doux! Appelle-moi ton pÚre. Bégearss Elle est digne, en honneur, de votre confidence entiÚre... Mademoiselle, embrassez ce bon, ce tendre protecteur. Vous lui devez plus que vous ne pensez. Sa tutelle n'est qu'un devoir. Il fut l'ami... l'ami secret de votre mÚre... et, pour tout dire en un seul mot... ScÚne IV Figaro, La Comtesse, Le Comte, Florestine, Bégearss. La Comtesse est en robe à peigner. Figaro, annonçant. Madame la Comtesse. Bégearss jette un regard furieux sur Figaro. A part. Au diable le faquin La Comtesse, au Comte. Figaro m'avait dit que vous vous trouviez mal; effrayée, j'accours, et je vois... Le Comte ... Que cet homme officieux vous a fait encore un mensonge. Figaro Monsieur, quand vous ÃÂȘtes passé, vous aviez un air si défait... Heureusement il n'en est rien. Bégearss l'examine. La Comtesse Bonjour, monsieur Bégearss... Te voilà , Florestine; je te trouve radieuse... Mais voyez donc comme elle est fraÃche et belle! Si le ciel m'eût donné une fille, je l'aurais voulue comme toi de figure et de caractÚre... Il faudra bien que tu m'en tiennes lieu. Le veux-tu, Florestine? Florestine, lui baisant la main. Ah! madame! La Comtesse Qui t'a donc fleurie si matin? Florestine, avec joie. Madame, on ne m'a point fleurie; c'est moi qui ai fait des bouquets. N'est-ce pas aujourd'hui saint Léon? La Comtesse Charmante enfant, qui n'oublie rien! Elle la baise au front. - Le Comte fait an geste terrible; Bégearss le retient. La Comtesse, à Figaro. Puisque nous voilà rassemblés, avertissez mon fils que nous prendrons ici le chocolat. Florestine Pendant qu'ils vont le préparer, mon parrain, faites-nous donc voir ce beau buste de Washington, que vous avez, dit-on, chez vous. Le Comte J'ignore qui me l'envoie je ne l'ai demandé à personne; et, sans doute, il est pour Léon. Il est beau; je l'ai là dans mon cabinet venez tous. Bégearss, en sortant le dernier, se retourne deux fois pour examiner Figaro qui le regarde de mÃÂȘme. Ils ont l'air de se menacer sans parier. ScÚne V Figaro, seul, rangeant la table et les tasses pour le déjeuner. Serpent ou basilic! tu peux me mesurer, me lancer des regards affreux! Ce sont les miens qui te tueront!... Mais oÃÂč reçoit-il ses paquets? Il ne vient rien pour lui de la poste à l'hÎtel! Est-il monté seul de l'enfer?... Quelque autre diable correspond!... Et moi, je ne puis découvrir... ScÚne VI Figaro, Suzanne. Suzanne, accourt, regarde, et dit trÚs vivement à l'oreille de Figaro. C'est lui que la pupille épouse. - Il a la promesse du Comte. Il guérira Léon de son amour. - Il détachera Florestine. - Il fera consentir madame. - Il te chasse de la maison. - Il cloÃtre ma maÃtresse en attendant que l'on divorce. - Fait déshériter le jeune homme, et me rend maÃtresse de tout. Voilà les nouvelles du jour. Elle s'enfuit. ScÚne VII Figaro, seul. Non, s'il vous plaÃt, monsieur le Major! nous compterons ensemble auparavant. Vous apprendrez de moi qu'il n'y a que les sots qui triomphent. Grùce à l'Ariane Suzon, je tiens le fil du labyrinthe, et le minotaure est cerné... Je t'envelopperai dans tes piÚges et te démasquerai si bien!... Mais quel intérÃÂȘt assez pressant lui fait faire une telle école, desserre les dents d'un tel homme? S'en croirait-il assez sûr pour?... La sottise et la vanité sont compagnes inséparables! Mon politique babille et se confie! il a perdu le coup. Y a faute. ScÚne VIII Guillaume, Figaro. Guillaume, avec une lettre. Meissieïr Bégearss! Ché vois qu'il est pas pour ici? Figaro, rangeant le déjeuner. Tu peux l'attendre, il va rentrer. Guillaume, reculant. Meingoth! ch'attendrai pas meissieïr en gombagnie té vous! Mon maÃtre il voudrait point, jé chure. Figaro Il te le défend? Eh bien! donne la lettre; je vais la lui remettre en rentrant. Guillaume, reculant. Pas plis à vous té lettres! O tiaple! il voudra pientÎt me jasser. Figaro, à part. Il faut pomper le sot. - Haut. Tu... viens de la poste, je crois? Guillaume Tiable! non, ché viens pas. Figaro C'est sans doute quelque missive du gentleman... du parent irlandais dont il vient d'hériter? Tu sais cela, toi, bon Guillaume? Guillaume, riant niaisement. Lettre d'un qu'il est mort, meissieïr! Non, ché vous prie! Celui-là , ché crois pas, partié! Ce sera pien plitÎt d'un autre. Peut-ÃÂȘtre il viendrait d'un qu'ils sont là ... pas contents, dehors. Figaro D'un de nos mécontents, dis-tu? Guillaume Oui, mais ch'assure pas... Figaro, à part. Cela se peut; il est fourré dans tout. A Guillaume. On pourrait voir au timbre, et s'assurer... Guillaume Ch'assure pas; pourquoi? Les lettres il vient chez M. O'Connor; et puis, je sais pas quoi c'est timpré, moi. Figaro, vivement. O'Connor! banquier irlandais? Guillaume Mon foi! Figaro, revient à lui, froidement. Ici prÚs, derriÚre l'hÎtel? Guillaume Ein fort choli maison, partié! tes chens trÚs... beaucoup gracieux, si j'osse dire. Il se retire à l'écart. Figaro, à lui-mÃÂȘme. O fortune! Î bonheur! Guillaume, revenant. Parle pas, fous, de s'té banquier, pour personne, entende-fous? ch'aurais pas dû... Tertaïfle! Il frappe du pied. Figaro Va, je n'ai garde; ne crains rien. Guillaume Mon maÃtre, il dit, meissieïr... vous ùfre tout l'esprit, et moi pas... Alors c'est chuste... Mais peut-ÃÂȘtre ché suis mécontent d'avoir dit à fous. Figaro Et pourquoi? Guillaume Ché sais pas. - La valet trahir, voye-fous... L'ÃÂȘtre un péché qu'il est parpare, vil, et mÃÂȘme... puéril. Figaro Il est vrai; mais tu n'as rien dit. Guillaume, désolé. Mon Thié! mon Thié! ché sais pas, là ... quoi tire... ou non... Il se retire en soupirant. Ah! Il regarde niaisement les livres de la bibliothÚque. Figaro, à part. Quelle découverte! Hasard! je te salue. Il cherche ses tablettes. Il faut pourtant que je démÃÂȘle comment un homme si caverneux s'arrange d'un tel imbécile... De mÃÂȘme que les brigands redoutent les réverbÚres... Oui, mais un sot est un falot; la lumiÚre passe à travers. Il dit en écrivant sur ses tablettes O'Connor, banquier irlandais. C'est là qu'il faut que j'établisse mon noir comité de recherches. Ce moyen-là n'est pas trop constitutionnel; ma! Perdio! l'utilité! Et puis, j'ai mes exemples! Il écrit. Quatre ou cinq louis d'or au valet chargé du détail de la poste, pour ouvrir dans un cabaret chaque lettre de l'écriture d'Honoré-Tartuffe Bégearss... Monsieur le tartuffe honoré! vous cesserez enfin de l'ÃÂȘtre! Un dieu m'a mis sur votre piste. Il serre ses tablettes. Hasard! dieu méconnu! les anciens t'appelaient Destin! nos gens te donnent un autre nom. ScÚne IX La Comtesse, Le Comte, Florestine, Bégearss, Figaro, Guillaume. Bégearss aperçoit Guillaume, et dit avec humeur, en lui prenant la lettre Ne peux-tu pas me les garder chez moi? Guillaume Ché crois celui-ci, c'est tout comme... Il sort. La Comtesse, au Comte. Monsieur, ce buste est un trÚs beau morceau votre fils l'a-t-il vu? Bégearss, la lettre ouverte. Ah! lettre de Madrid! du secrétaire du ministre! il y a un mot qui vous regarde. Il lit. "Dites au Comte Almaviva que le courrier qui part demain lui porte l'agrément du Roi pour l'échange de toutes ses terres." Figaro écoute, et se fait, sans parler, un signe d'intelligence. La Comtesse Figaro, dis donc à mon fils que nous déjeunons tous ici. Figaro Madame, je vais l'avertir. Il sort. ScÚne X La Comtesse, Le Comte, Florestine, Bégearss. Le Comte, à Bégearss. J'en veux donner avis sur-le-champ à mon acquéreur. Envoyez-moi du thé dans mon arriÚre-cabinet. Florestine Bon papa, c'est moi qui vous le porterai. Le Comte, bas à Florestine. Pense beaucoup au peu que je t'ai dit. Il la baise au front et sort. ScÚne XI Léon, La Comtesse, Florestine, Bégearss. Léon, avec chagrin. Mon pÚre s'en va quand j'arrive! il m'a traité avec une rigueur... La Comtesse, sévÚrement. Mon fils, quels discours tenez-vous? Dois-je me voir toujours froissée par l'injustice de chacun? Votre pÚre a besoin d'écrire à la personne qui échange ses terres Florestine, gaiement. Vous regrettez votre papa? nous aussi nous le regrettons. Cependant, comme il sait que c'est aujourd'hui votre fÃÂȘte, il m'a chargée, monsieur, de vous présenter ce bouquet. Elle lui fait une grande révérence. Léon, pendant qu'elle l'ajuste à sa boutonniÚre. Il n'en pouvait tuer quelqu'un qui me rendÃt ses bontés aussi chÚres... Il l'embrasse. Florestine, se débattant. Voyez, madame, si jamais on peut badiner avec lui, sans qu'il abuse au mÃÂȘme instant... La Comtesse, souriant. Mon enfant, le jour de sa fÃÂȘte, on peut lui passer quelque chose. Florestine, baissant les yeux. Pour l'en punir, madame, faites-lui lire le discours qui fut, dit-on, tant applaudi hier à l'assemblée. Léon Si maman juge que j'ai tort, j'irai chercher ma pénitence. Florestine Ah! madame, ordonnez-le-lui. La Comtesse Apportez-nous, mon fils, votre discours moi je vais prendre quelque ouvrage, pour l'écouter avec plus d'attention. Florestine, gaiement. Obstiné! c'est bien fait; et je l'entendrai malgré vous. Léon, tendrement. Malgré moi, quand vous l'ordonnez? Ah! Florestine, j'en défie! La Comtesse et Léon sortent chacun de leur cÎté. ScÚne XII Florestine, Bégearss. Bégearss, bas. Eh bien! mademoiselle, avez-vous deviné l'époux qu'on vous destine? Florestine, avec joie. Mon cher monsieur Bégearss, vous ÃÂȘtes à tel point notre ami, que je me permettrai de penser tout haut avec vous. Sur qui puis-je porter les yeux? Mon parrain m'a bien dit Regarde autour de toi, choisis. Je vois l'excÚs de sa bonté ce ne peut ÃÂȘtre que Léon. Mais moi, sans biens, dois-je abuser?... Bégearss, d'un ton terrible. Qui? Leon! son fils? votre frÚre? Florestine, avec un cri douloureux. Ah! monsieur!... Bégearss Ne vous a-t-il pas dit Appelle-moi ton pÚre? Réveillez-vous, ma chÚre enfant! écartez un songe trompeur, qui pouvait devenir funeste. Florestine Ah! oui; funeste pour tous deux! Bégearss Vous sentez qu'un pareil secret doit rester caché dans votre ùme. Il sort en la regardant. ScÚne XIII Florestine, seule en pleurant. O ciel! il est mon frÚre et j'ose avoir pour lui... Quel coup d'une lumiÚre affreuse! et dans un tel sommeil, qu'il est cruel de s'éveiller! Elle tombe accablée sur un siÚge. ScÚne XIV Léon, un papier à la main, Florestine. Léon, joyeux, à part. Maman n'est pas rentrée, et monsieur Bégearss est sorti profitons d'un moment heureux. - Florestine, vous ÃÂȘtes ce matin, et toujours, d'une beauté parfaite; mais vous avez un air de joie, un ton aimable de gaieté qui ranime mes espérances. Florestine, au désespoir. Ah! Léon! Elle retombe. Léon Ciel! vos yeux noyés de larmes et votre visage défait m'annoncent quelque grand malheur! Florestine Des malheurs! Ah! Léon, il n'y en a plus que pour moi. Léon Floresta, ne m'aimez-vous plus? lorsque mes sentiments pour vous... Florestine, d'un ton absolu. Vos sentiments? ne m'en parlez jamais. Léon Quoi? l'amour le plus pur... Florestine, au désespoir. Finissez ces cruels discours, ou je vais vous fuir à l'instant. Léon Grand Dieu! qu'est-il donc arrivé? Monsieur Bégearss vous a parlé, mademoiselle. Je veux savoir ce que vous a dit ce Bégearss. ScÚne XV La Comtesse, Florestine, Léon. Léon, continue. Maman, venez à mon secours! Vous me voyez au désespoir Florestine ne m'aime plus! Florestine, pleurant. Moi, madame, ne plus l'aimer! Mon parrain, vous et lui, c'est le cri de ma vie entiÚre. La Comtesse Mon enfant, je n'en doute pas. Ton coeur excellent m'en répond. Mais de quoi donc s'afflige-t-il? Léon Maman, vous approuvez l'ardent amour que j'ai pour elle? Florestine, se jetant dans les bras de la Comtesse. Ordonnez-lui donc de se taire! En pleurant. Il me fait mourir de douleur! La Comtesse Mon enfant, je ne t'entends point. Ma surprise égale la sienne... Elle frissonne entre mes bras! Qu'a-t-il donc fait qui puisse te déplaire? Florestine, se renversant sur elle. Madame, il ne me déplaÃt point. Je l'aime et le respecte à l'égal de mon frÚre; mais qu'il n'exige rien de plus. Léon Vous l'entendez, maman! Cruelle fille, expliquez-vous. Florestine Laissez-moi! laissez-moi! ou vous me causerez la mort. ScÚne XVI La Comtesse, Florestine, Léon, Figaro arrivant avec l'équipage du thé; Suzanne, de l'autre cÎté, avec un métier de tapisserie. La Comtesse Remporte tout, Suzanne, il n'est pas plus question de déjeuner que de lecture. Vous, Figaro, servez du thé à votre maÃtre; il écrit dans son cabinet. Et toi, ma Florestine, viens dans le mien rassurer ton amie. Mes chers enfants, je vous porte en mon coeur! - Pourquoi l'affligez-vous l'un aprÚs l'autre sans pitié? Il y a ici des choses qu'il m'est important d'éclaircir. Elles sortent. ScÚne XVII Suzanne, Figaro, Léon. Suzanne, à Figaro. Je ne sais pas de quoi il est question; mais je parierais bien que c'est là du Bégearss tout pur. Je veux absolument prémunir ma maÃtresse. Figaro Attends que je sois plus instruit nous nous concerterons ce soir. Oh! j'ai fait une découverte... Suzanne Et tu me la diras? Elle sort. ScÚne XVIII Figaro, Léon. Léon, désolé. Ah! dieux! Figaro De quoi s'agit-il donc, monsieur? Léon Hélas! je l'ignore moi-mÃÂȘme. Jamais je n'avais vu Floresta de si belle humeur, et je savais qu'elle avait eu un entretien avec mon pÚre. Je la laisse un instant avec monsieur Bégearss; je la trouve seule, en rentrant, les yeux remplis de larmes, et m'ordonnant de la fuir pour toujours. Que peut-il donc lui avoir dit? Figaro Si je ne craignais pas votre vivacité, je vous instruirais sur des points qu'il vous importe de savoir. Mais lorsque nous avons besoin d'une grande prudence, il ne faudrait qu'un mot de vous, trop vif, pour me faire perdre le fruit de dix années d'observations. Léon Ah! s'il ne faut qu'ÃÂȘtre prudent... Que crois-tu donc qu'il lui ait dit? Figaro Qu'elle doit accepter Honoré Bégearss pour époux; que c'est une affaire arrangée entre monsieur votre pÚre et lui. Léon Entre mon pÚre et lui! Le traÃtre aura ma vie. Figaro Avec ces façons-là , monsieur, le traÃtre n'aura pas votre vie; mais il aura votre maÃtresse, et votre fortune avec elle. Léon Eh bien! ami, pardon; apprends-moi ce que je dois faire. Figaro Deviner l'énigme du sphinx, ou bien en ÃÂȘtre dévoré. En d'autres termes, il faut vous modérer, le laisser dire, et dissimuler avec lui. Léon, avec fureur. Me modérer!... Oui, je me modérerai. Mais j'ai la rage dans le coeur! - M'enlever Florestine! Ah! le voici qui vient je vais m'expliquer... froidement. Figaro Tout est perdu si vous vous échappez. ScÚne XIX Bégearss, Figaro, Léon. Léon, se contenant mal. Monsieur, monsieur, un mot. Il importe à votre repos que vous répondiez sans détour. - Florestine est au désespoir qu'avez-vous dit à Florestine? Bégearss, d'un ton glacé. Et qui vous dit que je lui aie parlé? Ne peut-elle avoir des chagrins, sans que j'y sois pour quelque chose? Léon, vivement. Point d'évasions, monsieur. Elle était d'une humeur charmante en sortant d'avec vous, on la voit fondre en larmes. De quelque part qu'elle en reçoive, mon coeur partage ses chagrins. Vous m'en direz la cause, ou bien vous m'en ferez raison. Bégearss Avec un ton moins absolu, on peut tout obtenir de moi; je ne sais point céder à des menaces. Léon, furieux. Eh bien! perfide, défends-toi. J'aurai ta vie, ou tu auras la mienne! Il met la main à son épée. Figaro les arrÃÂȘte. Monsieur Bégearss! au fils de votre ami! dans sa maison oÃÂč vous logez! Bégearss, se contenant. Je sais trop ce que je me dois... Je vais m'expliquer avec lui; mais je n'y veux point de témoins. Sortez, et laissez-nous ensemble. Léon Va, mon cher Figaro tu vois qu'il ne peut m'échapper. Ne lui laissons aucune excuse. Figaro Moi, je cours avertir son pÚre. Il sort. ScÚne XX Léon, Bégearss. Léon, lui barrant la porte. Il vous convient peut-ÃÂȘtre mieux de vous battre que de parler. Vous ÃÂȘtes le maÃtre du choix; mais je n'admettrai rien d'étranger à ces deux moyens. Bégearss, froidement. Léon! un homme d'honneur n'égorge pas le fils de son ami... Devais-je m'expliquer devant un malheureux valet, insolent d'ÃÂȘtre parvenu à presque gouverner son maÃtre? Léon, s'asseyant. Au fait, monsieur, je vous attends... Bégearss Oh! que vous allez regretter une fureur déraisonnable! Léon C'est ce que nous verrons bientÎt. Bégearss, affectant une dignité froide. Léon! vous aimez Florestine; il y a longtemps que je le vois... Tant que votre frÚre a vécu, je n'ai pas cru devoir servir un amour malheureux qui ne vous conduisait à rien. Mais depuis qu'un funeste duel, disposant de sa vie, vous a mis en sa place, j'ai eu l'orgueil de croire mon influence capable de disposer monsieur votre pÚre à vous unir à celle que vous aimez. Je l'attaquais de toutes les maniÚres, une résistance invincible a repoussé tous mes efforts. Désolé de le voir rejeter un projet qui me paraissait fait pour le bonheur de tous... Pardon, mon jeune ami, je vais vous affliger; mais il le faut en ce moment, pour vous sauver d'un malheur éternel. Rappelez bien votre raison, vous allez en avoir besoin. - J'ai forcé votre pÚre à rompre le silence, à me confier son secret. O mon ami! m'a dit enfin le Comte, je connais l'amour de mon fils; mais puis-je lui donner Florestine pour femme? Celle que l'on croit ma pupille... elle est ma fille, elle est sa soeur. Léon, reculant vivement. Florestine?... Ma soeur?... Bégearss Voilà le mot qu'un sévÚre devoir... Ah! je vous le dois à tous deux mon silence pouvait vous perdre. Eh bien! Léon, voulez-vous vous battre avec moi? Léon Mon généreux ami! Je ne suis qu'un ingrat, un monstre! oubliez ma rage insensée... Bégearss, bien tartuffe. Mais c'est à condition que ce fatal secret ne sortira jamais. Dévoiler la honte d'un pÚre, ce serait un crime... Léon, se jetant dans ses bras. Ah! jamais. ScÚne XXI Le Comte, Figaro, Léon, Bégearss. Figaro, accourant. Les voilà , les voilà ! Le Comte Dans les bras l'un de l'autre! Eh! vous perdez l'esprit? Figaro, stupéfait. Ma foi, monsieur... on le perdrait à moins. Le Comte, à Figaro. M'expliquerez-vous cette énigme? Léon, tremblant. Ah! c'est à moi, mon pÚre, à l'expliquer. Pardon! je dois mourir de honte! Sur un sujet assez frivole, je m'étais... beaucoup oublié. Son caractÚre généreux, non seulement me rend à la raison, mais il a la bonté d'excuser ma folie en me la pardonnant. Je lui en rendais grùce lorsque vous nous avez surpris. Le Comte Ce n'est pas la centiÚme fois que vous lui devez de la reconnaissance. Au fait, nous lui en devons tous. Figaro sans parler se donne un coup de poing au front, Bégearss l'examine et sourit. Le Comte, à son fils. Retirez-vous, monsieur. Votre aveu seul enchaÃne ma colÚre. Bégearss Ah! monsieur, tout est oublié. Le Comte, à Léon. Allez vous repentir d'avoir manqué à mon ami, au vÎtre, à l'homme le plus vertueux... Léon, s'en allant. Je suis au désespoir! Figaro, à part, avec colÚre. C'est une légion de diables enfermés dans un seul pourpoint. ScÚne XXII Le Comte, Bégearss, Figaro. Le Comte, à Bégearss, à part. Mon ami, finissons ce que nous avons commencé. A Figaro. Vous, monsieur l'étourdi, avec vos belles conjectures, donnez-moi les trois millions d'or que vous m'avez vous-mÃÂȘme apportés de Cadix, en soixante effets au porteur. Je vous avais chargé de les numéroter. Figaro Je l'ai fait. Le Comte Remettez-m'en le portefeuille. Figaro De quoi? de ces trois millions d'or? Le Comte Sans doute. Eh bien! qui vous arrÃÂȘte? Figaro, humblement. Moi, monsieur?... Je ne les ai plus. Bégearss Comment, vous ne les avez plus? Figaro, fiÚrement. Non, monsieur. Bégearss, vivement. Qu'en avez-vous fait? Figaro Lorsque mon maÃtre m'interroge, je lui dois compte de mes actions mais à vous, je ne vous dois rien. Le Comte, en colÚre. Insolent! qu'en avez-vous fait? Figaro, froidement. Je les ai portés en dépÎt chez monsieur Fal, votre notaire. Bégearss Mais de l'avis de qui? Figaro, fiÚrement. Du mien; et j'avoue que j'en suis toujours. Bégearss Je vais gager qu'il n'en est rien. Figaro Comme j'ai sa reconnaissance, vous courez risque de perdre la gageure. Bégearss Ou s'il les a reçus, c'est pour agioter. Ces gens-là partagent ensemble. Figaro Vous pourriez un peu mieux parler d'un homme qui vous a obligé. Bégearss Je ne lui dois rien. Figaro Je le crois; quand on a hérité de quarante mille doublons de huit... Le Comte, se fùchant. Avez-vous donc quelque remarque à nous faire aussi là -dessus? Figaro Qui? moi, monsieur? J'en doute d'autant moins, que j'ai beaucoup connu le parent dont monsieur hérite. Un jeune homme assez libertin, joueur, prodigue et querelleur, sans frein, sans moeurs, sans caractÚre, et n'ayant rien à lui, pas mÃÂȘme les vices qui l'ont tué; qu'un combat des plus malheureux... Le Comte frappe du pied. Bégearss, en colÚre. Enfin, nous direz-vous pourquoi vous avez déposé cet or? Figaro Ma foi, monsieur, c'est pour n'en ÃÂȘtre plus chargé. Ne pouvait-on pas le voler? Que sait-on? Il s'introduit souvent de grands fripons dans les maisons... Bégearss, en colÚre. Pourtant monsieur veut qu'on le rende. Figaro Monsieur peut l'envoyer chercher. Bégearss Mais ce notaire s'en dessaisira-t-il, s'il ne voit son récépissé? Figaro Je vais le remettre à monsieur; et quand j'aurai fait mon devoir, s'il en arrive quelque mal, il ne pourra s'en prendre à moi. Le Comte Je l'attends dans mon cabinet. Figaro, au Comte. Je vous préviens que monsieur Fal ne les rendra que sur votre reçu; je le lui ai recommandé. Il sort. ScÚne XXIII Le Comte, Bégearss. Bégearss, en colÚre. Comblez cette canaille, et voyez ce qu'elle devient! En vérité, monsieur, mon amitié me force à vous le dire vous devenez trop confiant; il a deviné nos secrets. De valet, barbier, chirurgien, vous l'avez établi trésorier, secrétaire; une espÚce de factotum. Il est notoire que ce monsieur fait bien ses affaires avec vous. Le Comte Sur la fidélité, je n'ai rien à lui reprocher, mais il est vrai qu'il est d'une arrogance... Bégearss Vous avez un moyen de vous en délivrer en le récompensant. Le Comte Je le voudrais souvent. Bégearss, confidentiellement. En envoyant le chevalier à Malte, sans doute vous voulez qu'un homme affidé le surveille? Celui-ci, trop flatté d'un aussi honorable emploi, ne peut manquer de l'accepter vous en voilà défait pour bien du temps. Le Comte Vous avez raison, mon ami. Aussi bien m'a-t-on dit qu'il vit trÚs mal avec sa femme. Il sort. ScÚne XXIV Bégearss, seul. Encore un pas de fait!... Ah! noble espion, la fleur des drÎles, qui faites ici le bon valet et voulez nous souffler la dot, en nous donnant des noms de comédie! Grùce aux soins d'Honoré Tartuffe, vous irez partager le malaise des caravanes, et finirez vos inspections sur nous. Acte troisiÚme Le théùtre représente le cabinet de la Comtesse, orné de fleurs de toutes parts. ScÚne I La Comtesse, Suzanne. La Comtesse Je n'ai pu rien tirer de cette enfant. - Ce sont des pleurs, des étouffements!... Elle se croit des torts envers moi, m'a demandé cent fois pardon; elle veut aller au couvent. Si je rapproche tout ceci de sa conduite envers mon fils, je présume qu'elle se reproche d'avoir écouté son amour, entretenu ses espérances, ne se croyant pas un parti assez considérable pour lui. - Charmante délicatesse! excÚs d'une aimable vertu! Monsieur Bégearss apparemment lui en a touché quelques mots qui l'auront amenée à s'affliger sur elle! car c'est un homme si scrupuleux et si délicat sur l'honneur, qu'il s'exagÚre quelquefois, et se fait des fantÎmes oÃÂč les autres ne voient rien. Suzanne J'ignore d'oÃÂč provient le mal; mais il se passe ici des choses bien étranges! Quelque démon y souffle un feu secret. Notre maÃtre est sombre à périr; il nous éloigne tous de lui. Vous ÃÂȘtes sans cesse à pleurer. Mademoiselle est suffoquée; monsieur votre fils, désolé!... Monsieur Bégearss lui seul, imperturbable comme un dieu, semble n'ÃÂȘtre affecté de rien, voit tous vos chagrins d'un oeil sec... La Comtesse Mon enfant, son coeur les partage. Hélas! sans ce consolateur, qui verse un baume sur nos plaies, dont la sagesse nous soutient, adoucit toutes les aigreurs, calme mon irascible époux, nous serions bien plus malheureux! Suzanne Je souhaite, madame, que vous ne vous abusiez pas. La Comtesse Je t'ai vue autrefois lui rendre plus de justice! Suzanne baisse les yeux. Au reste, il peut seul me tirer du trouble oÃÂč cette enfant m'a mise. Fais-le prier de descendre chez moi. Suzanne Le voici qui vient à propos; vous vous ferez coiffer plus tard. Elle sort. ScÚne II La Comtesse, Bégearss. La Comtesse, douloureusement. Ah! mon pauvre Major! que se passe-t-il donc ici? Touchons-nous enfin à la crise que j'ai si longtemps redoutée, que j'ai vue de loin se former? L'éloignement du Comte pour mon malheureux fils semble augmenter de jour en jour. Quelque lumiÚre fatale aura pénétré jusqu'à lui. Bégearss Madame, je ne le crois pas. La Comtesse Depuis que le ciel m'a punie par la mort de mon fils aÃné, je vois le Comte absolument changé au lieu de travailler avec l'ambassadeur à Rome pour rompre les voeux de Léon, je le vois s'obstiner à l'envoyer à Malte. Je sais de plus, monsieur Bégearss, qu'il dénature sa fortune, et veut abandonner l'Espagne pour s'établir dans ce pays. - L'autre jour à dÃner, devant trente personnes, il raisonna sur le divorce d'une façon à me faire frémir. Bégearss J'y étais, je m'en souviens trop. La Comtesse, en larmes. Pardon, mon digne ami; je ne puis pleurer qu'avec vous! Bégearss Déposez vos douleurs dans le sein d'un homme sensible. La Comtesse Enfin, est-ce lui, est-ce vous qui avez déchiré le coeur de Florestine? Je la destinais à mon fils. - Née sans biens, il est vrai, mais noble, belle et vertueuse; élevée au milieu de nous mon fils, devenu héritier, n'en a-t-il pas assez pour deux? Bégearss Que trop, peut-ÃÂȘtre; et c'est d'oÃÂč vient le mal! La Comtesse Mais, comme si le ciel n'eût attendu aussi longtemps que pour me mieux punir d'une imprudence tant pleurée, tout semble s'unir à la fois pour renverser mes espérances. Mon époux déteste mon fils... Florestine renonce à lui. Aigrie par je ne sais quel motif, elle veut le fuir pour toujours. Il en mourra, le malheureux! voilà ce qui est bien certain. Elle joint les mains. Ciel vengeur! aprÚs vingt années de larmes et de repentir, me réservez-vous à l'horreur de voir ma faute découverte? Ah! que je sois seule misérable! mon Dieu, je ne m'en plaindrai pas; mais que mon fils ne porte point la peine d'un crime qu'il n'a pas commis! Connaissez-vous, monsieur Bégearss, quelque remÚde à tant de maux? Bégearss Oui, femme respectable! et je venais exprÚs dissiper vos terreurs. Quand on craint une chose, tous nos regards se portent vers cet objet trop alarmant quoi qu'on dise ou qu'on fasse, la frayeur empoisonne tout! Enfin, je tiens la clef de ces énigmes. Vous pouvez encore ÃÂȘtre heureuse. La Comtesse L'est-on avec une ùme déchirée de remords? Bégearss Votre époux ne fuit point Léon; il ne soupçonne rien sur le secret de sa naissance. La Comtesse, vivement. Monsieur Bégearss! Bégearss Et tous ces mouvements que vous prenez pour de la haine ne sont que l'effet d'un scrupule. Oh! que je vais vous soulager! La Comtesse, ardemment. Mon cher monsieur Bégearss! Bégearss Mais enterrez dans ce coeur allégé le grand mot que je vais vous dire. Votre secret à vous, c'est la naissance de Léon le sien est celle de Florestine; plus bas il est son tuteur... et son pÚre. La Comtesse, joignant les mains. Dieu tout-puissant, qui me prends en pitié! Bégearss Jugez de sa frayeur en voyant ces enfants amoureux l'un de l'autre! Ne pouvant dire son secret, ni supporter qu'un tel attachement devÃnt le fruit de son silence, il est resté sombre, bizarre; et s'il veut éloigner son fils, c'est pour éteindre, s'il se peut, par cette absence et par ces voeux, un malheureux amour qu'il croit ne pouvoir tolérer. La Comtesse, priant avec ardeur. Source éternelle des bienfaits! Î mon Dieu! tu permets qu'en partie je répare la faute involontaire qu'un insensé me fit commettre; que j'aie de mon cÎté quelque chose à remettre à cet époux que j'offensai! O Comte Almaviva! mon coeur flétri, fermé par vingt années de peines, va se rouvrir enfin pour toi! Florestine est ta fille; elle me devient chÚre comme si mon sein l'eût portée. Faisons, sans nous parler, l'échange de notre indulgence! Oh! monsieur Bégearss, achevez! Bégearss Mon amie, je n'arrÃÂȘte point ces premiers élans d'un bon coeur; les émotions de la joie ne sont point dangereuses comme celles de la tristesse; mais au nom de votre repos, écoutez-moi jusqu'à la fin. La Comtesse Parlez, mon généreux ami vous à qui je dois tout, parlez. Bégearss Votre époux, cherchant un moyen de garantir sa Florestine de cet amour qu'il croit incestueux, m'a proposé de l'épouser; mais indépendamment du sentiment profond et malheureux que mon respect pour vos douleurs... La Comtesse, douloureusement. Ah! mon ami, par compassion pour moi... Bégearss N'en parlons plus. Quelques mots d'établissement, tournés d'une forme équivoque, ont fait penser à Florestine qu'il était question de Léon. Son jeune coeur s'en épanouissait, quand un valet vous annonça. Sans m'expliquer depuis sur les vues de son pÚre, un mot de moi, la ramenant aux sévÚres idées de la fraternité, a produit cet orage, et la religieuse horreur dont votre fils ni vous ne pénétriez le motif. La Comtesse Il en était bien loin, le pauvre enfant! Bégearss Maintenant qu'il vous est connu, devons-nous suivre ce projet d'une union qui répare tout?... La Comtesse, vivement. Il faut s'y tenir, mon ami; mon coeur et mon esprit sont d'accord sur ce point, et c'est à moi de la déterminer. Par là , nos secrets sont couverts; nul étranger ne les pénétrera. AprÚs vingt années de souffrances, nous passerons des jours heureux, et c'est à vous, mon digne ami, que ma famille les devra. Bégearss, élevant le ton. Pour que rien ne les trouble plus, il faut encore un sacrifice, et mon amie est digne de le faire. La Comtesse Hélas! je veux les faire tous. Bégearss, l'air imposant. Ces lettres, ces papiers d'un infortuné qui n'est plus, il faudra les réduire en cendres. La Comtesse, avec douleur. Ah! Dieu! Bégearss Quand cet ami mourant me chargea de vous les remettre, son dernier ordre fut qu'il fallait sauver votre honneur, en ne laissant aucune trace de ce qui pourrait l'altérer. La Comtesse Dieu! Dieu! Bégearss Vingt ans se sont passés sans que j'aie pu obtenir que ce triste aliment de votre éternelle douleur s'éloignùt de vos yeux. Mais indépendamment du mal que tout cela vous fait, voyez quel danger vous courez! La Comtesse Eh! que peut-on avoir à craindre! Begearss, regardant si on peut l'entendre. Parlant bas. Je ne soupçonne point Suzanne; mais une femme de chambre, instruite que vous conservez ces papiers, ne pourrait-elle pas un jour s'en faire un moyen de fortune? Un seul remis à votre époux, que peut-ÃÂȘtre il payerait bien cher, vous plongerait dans des malheurs... La Comtesse Non, Suzanne a le coeur trop bon... Bégearss, d'un ton plus élevé, trÚs ferme. Ma respectable amie, vous avez payé votre dette à la tendresse, à la douleur, à vos devoirs de tous les genres; et si vous ÃÂȘtes satisfaite de la conduite d'un ami, j'en veux avoir la récompense. Il faut brûler tous ces papiers, éteindre tous ces souvenirs d'une faute autant expiée! Mais pour ne jamais revenir sur un sujet si douloureux, j'exige que le sacrifice en soit fait dans ce mÃÂȘme instant. La Comtesse, tremblante. Je crois entendre Dieu qui parle! Il m'ordonne de l'oublier, de déchirer le crÃÂȘpe obscur dont sa mort a couvert ma vie. Oui, mon Dieu! je vais obéir à cet ami que vous m'avez donné. Elle sonne. Ce qu'il exige en votre nom, mon repentir le conseillait mais ma faiblesse a combattu. ScÚne III Suzanne, La Comtesse, Bégearss. La Comtesse Suzanne, apporte-moi le coffret de mes diamants. - Non, je vais le prendre moi-mÃÂȘme; il te faudrait chercher la clef... ScÚne IV Suzanne, Bégearss. Suzanne, un peu troublée. Monsieur Bégearss, de quoi s'agit-il donc? Toutes les tÃÂȘtes sont renversées! Cette maison ressemble à l'hÎpital des fous! Madame pleure; mademoiselle étouffe; le chevalier Léon parle de se noyer; monsieur est enfermé, et ne veut voir personne. Pourquoi ce coffre aux diamants inspire-t-il en ce moment tant d'intérÃÂȘt à tout le monde? Bégearss, mettant son doigt sur sa bouche, en signe de mystÚre. Chut! ne montre ici nulle curiosité! Tu le sauras dans peu... Tout va bien; tout est bien... Cette journée vaut... Chut... ScÚne V La Comtesse, Bégearss, Suzanne. La Comtesse, tenant le coffret aux diamants. Suzanne, apporte-nous du feu dans le brasero du boudoir. Suzanne Si c'est pour brûler des papiers, la lampe de nuit allumée est encore là dans l'athénienne. Elle l'avance. La Comtesse Veille à la porte, et que personne n'entre. Suzanne, en sortant, à part. Courons, avant, avertir Figaro. ScÚne VI La Comtesse, Bégearss. Bégearss Combien j'ai souhaité pour vous le moment auquel nous touchons! La Comtesse, étouffée. O mon ami! quel jour nous choisissons pour consommer ce sacrifice! celui de la naissance de mon malheureux fils! A cette époque, tous les ans, leur consacrant cette journée, je demandais pardon au ciel, et je m'abreuvais de mes larmes en relisant ces tristes lettres. Je me rendais au moins le témoignage qu'il y eut entre nous plus d'erreur que de crime. Ah! faut-il donc brûler tout ce qui me reste de lui? Bégearss Quoi! madame, détruisez-vous ce fils qui vous le représente? Ne lui devez-vous pas un sacrifice qui le préserve de mille affreux dangers? Vous vous le devez à vous-mÃÂȘme, et la sécurité de votre vie entiÚre est attachée peut-ÃÂȘtre à cet acte imposant! Il ouvre le secret de l'écrin et en tire les lettres. La Comtesse, surprise. Monsieur Bégearss, vous l'ouvrez mieux que moi!... Que je les lise encore! Bégearss, sévÚrement. Non, je ne le permettrai pas. La Comtesse Seulement la derniÚre, oÃÂč, traçant ses tristes adieux du sang qu'il répandit pour moi, il m'a donné la leçon du courage dont j'ai tant besoin aujourd'hui. Bégearss, s'y opposant. Si vous lisez un mot, nous ne brûlerons rien. Offrez au ciel un sacrifice entier, courageux, volontaire, exempt des faiblesses humaines! ou, si vous n'osez l'accomplir, c'est à moi d'ÃÂȘtre fort pour vous. Les voilà toutes dans le feu. Il y jette le paquet. La Comtesse, vivement. Monsieur Bégearss! cruel ami! c'est ma vie que vous consumez! Qu'il m'en reste au moins un lambeau. Elle veut se précipiter sur les lettres enflammées. - Bégearss la retient à bras-le-corps. Bégearss J'en jetterai la cendre au vent. ScÚne VII Suzanne, Le Comte, Figaro, La Comtesse, Bégearss. Suzanne accourt. C'est monsieur, il me suit; mais amené par Figaro. Le Comte, les surprenant en cette posture. Qu'est-ce donc que je vois, madame! D'oÃÂč vient ce désordre? quel est ce feu, ce coffre, ces papiers? Pourquoi ce débat et ces pleurs? Bégearss et la Comtesse restent confondus. Vous ne répondez point? Bégearss se remet, et dit d'un ton pénible. J'espÚre, monsieur, que vous n'exigez pas qu'on s'explique devant vos gens. J'ignore quel dessein vous fait surprendre ainsi madame! Quant à moi, je suis résolu de soutenir mon caractÚre en rendant un hommage pur à la vérité, quelle qu'elle soit. Le Comte, à Figaro et à Suzanne. Sortez tous deux. Figaro Mais, monsieur, rendez-moi du moins la justice de déclarer que je vous ai remis le récépissé du notaire sur le grand objet de tantÎt. Le Comte Je le fais volontiers, puisque c'est réparer un tort. A Bégearss. Soyez certain, monsieur, que voilà le récépissé. Il le remet dans sa poche. - Figaro et Suzanne sortent chacun de leur cÎté. Figaro, bas à Suzanne, en s'en allant. S'il échappe à l'explication!... Suzanne, bas. Il est bien subtil! Figaro, bas. Je l'ai tué! ScÚne VIII La Comtesse, Le Comte, Bégearss. Le Comte, d'un ton sérieux. Madame, nous sommes seuls. Bégearss, encore ému. C'est moi qui parlerai. Je subirai cet interrogatoire. M'avez-vous vu, monsieur, trahir la vérité dans quelque occasion que ce fût? Le Comte, sÚchement. Monsieur... je ne dis pas cela. Bégearss, tout à fait remis. Quoique je sois loin d'approuver cette inquisition peu décente, l'honneur m'oblige à répéter ce que je disais à madame, en répondant à sa consultation "Tout dépositaire de secrets ne doit jamais conserver de papiers s'ils peuvent compromettre un ami qui n'est plus, et qui les mit sous notre garde. Quelque chagrin qu'on ait à s'en défaire, et quelque intérÃÂȘt mÃÂȘme qu'on eût à les garder, le saint respect des morts doit avoir le pas devant tout." Il montre Le Comte. Un accident inopiné ne peut-il pas en rendre un adversaire possesseur? Le Comte le tire par la manche pour qu'il ne pousse pas l'explication plus loin. Auriez-vous dit, monsieur, autre chose en ma position? Qui cherche des conseils timides ou le soutien d'une faiblesse honteuse, ne doit point s'adresser à moi! vous en avez des preuves l'un et l'autre, et vous surtout, monsieur Le Comte! Le Comte lui fait un signe. Voilà sur la demande que m'a faite madame, et sans chercher à pénétrer ce que contenaient ces papiers, ce qui m'a fait lui donner un conseil pour la sévÚre exécution duquel je l'ai vue manquer de courage; je n'ai pas hésité d'y substituer le mien, en combattant ses délais imprudents. Voilà quels étaient nos débats; mais, quelque chose qu'on en pense, je ne regretterai point ce que j'ai dit, ce que j'ai fait. Il lÚve les bras. Sainte amitié! tu n'es rien qu'un vain titre, si l'on ne remplit pas tes austÚres devoirs. - Permettez que je me retire. Le Comte, exalté. O le meilleur des hommes! Non, vous ne nous quitterez ras. - Madame, il va nous appartenir de plus prÚs; je lui donne ma Florestine. La Comtesse, avec vivacité. Monsieur, vous ne pouviez pas faire un plus digne emploi du pouvoir que la loi vous donne sur elle. Ce choix a mon assentiment si vous le jugez nécessaire et le plus tÎt vaudra le mieux. Le Comte, hésitant. Eh bien!... ce soir... sans bruit... votre aumÎnier... La Comtesse, avec ardeur. Eh bien! moi qui lui sers de mÚre, je vais la préparer à l'auguste cérémonie mais laisserez-vous votre ami seul généreux envers ce digne enfant? J'ai du plaisir à penser le contraire. Le Comte, embarrassé. Ah! madame... croyez... La Comtesse, avec joie. Oui, monsieur, je le crois. C'est aujourd'hui la fÃÂȘte de mon fils; ces deux événements réunis me rendent cette journée bien chÚre. Elle sort. ScÚne IX Le Comte, Bégearss Le Comte, la regardant aller. Je ne reviens pas de mon étonnement. Je m'attendais à des débats, à des objections sans nombre; et je la trouve juste, bonne, généreuse envers mon enfant! Moi qui lui sers de mÚre, dit-elle... Non, ce n'est point une méchante femme! elle a dans ses actions une dignité qui m'impose... un ton qui brise les reproches, quand on voudrait l'en accabler. Mais, mon ami, je m'en dois à moi-mÃÂȘme, pour la surprise que j'ai montrée en voyant brûler ces papiers. Bégearss Quant à moi, je n'en ai point eu, voyant avec qui vous veniez. Ce reptile vous a sifflé que j'étais là pour trahir vos secrets? De si basses imputations n'atteignent point un homme de ma hauteur je les vois ramper loin de moi. Mais, aprÚs tout, monsieur, que vous importaient ces papiers? n'aviez-vous pas pris malgré moi tous ceux que vous vouliez garder? Ah! plût au ciel qu'elle m'eût consulté plus tÎt! vous n'auriez pas contre elle des preuves sans réplique! Le Comte, avec douleur. Oui, sans réplique! Avec ardeur. Otons-les de mon sein elles me brûlent la poitrine. Il tire la lettre de son sein, et la met dans sa poche. Bégearss continue avec douceur. Je combattrais avec plus d'avantage en faveur du fils de la loi; car enfin il n'est pas comptable du triste sort qui l'a mis dans vos bras. Le Comte, reprend sa fureur. Lui dans mes bras? jamais! Bégearss Il n'est point coupable non plus dans son amour pour Florestine; et cependant, tant qu'il reste prÚs d'elle, puis-je m'unir à cette enfant, qui, peut-ÃÂȘtre éprise elle-mÃÂȘme, ne cédera qu'à son respect pour vous? La délicatesse blessée... Le Comte Mon ami, je t'entends! et ta réflexion me décide à le faire partir sur-le-champ. Oui, je serai moins malheureux quand ce fatal objet ne blessera plus mes regards. Mais comment entamer ce sujet avec elle? Voudra-t-elle s'en séparer? Il faudra donc faire un éclat? Bégearss Un éclat!... non... mais le divorce, accrédité chez cette nation hasardeuse, vous permettra d'user de ce moyen. Le Comte Moi, publier ma honte! Quelques lùches l'ont fait! c'est le dernier degré de l'avilissement du siÚcle. Que l'opprobre soit le partage de qui donne un pareil scandale, et des fripons qui le provoquent! Bégearss J'ai fait envers elle, envers vous, ce que l'honneur me prescrivait. Je ne suis point pour les moyens violents, surtout quand il s'agit d'un fils... Le Comte Dites d'un étranger, dont je vais hùter le départ. Bégearss N'oubliez pas cet insolent valet. Le Comte J'en suis trop las pour le garder. Toi, cours, ami, chez mon notaire; retire, avec mon reçu que voila, mes trois millions d'or déposés. Alors tu peux à juste titre ÃÂȘtre généreux au contrat, qu'il nous faut brusquer aujourd'hui... car te voilà bien possesseur... Il lui remet le reçu, le prend sous le bras, et ils sortent. Et ce soir à minuit, sans bruit, dans la chapelle de madame... On n'entend pas le reste. Acte quatriÚme Le théùtre représente le mÃÂȘme cabinet de la Comtesse. ScÚne I Figaro, seul, agité, regardant de cÎté et d'autre. Elle me dit "Viens à six heures au cabinet c'est le plus sûr pour nous parler..." Je brusque tout dehors, et Je rentre en sueur! OÃÂč est-elle? Il se promÚne en s'essuyant. Ah! parbleu, je ne suis pas fout je les ai vus sortir d'ici, monsieur le tenant sous le bras!... Eh bien! pour un échec, abandonnons-nous la partie? Un orateur fuit-il lùchement la tribune pour un argument tué sous lui? Mais quel détestable endormeur! Vivement. Parvenir à brûler les lettres de madame, pour qu'elle ne voie pas qu'il en manque; et se tirer d'un éclaircissement!... C'est l'enfer concentré tel que Milton nous l'a dépeint! D'un ton badin. J'avais raison tantÎt, dans ma colÚre Honoré Bégearss est le diable que les Hébreux nommaient Légion; et, si l'on y regardait bien, on verrait le lutin avoir le pied fourchu, seule partie, disait ma mÚre, que les démons ne peuvent déguiser. Il rit. Ah! ah! ah! ma gaieté me revient; d'abord, parce que j'ai mis l'or du Mexique en sûreté chez Fal; ce qui nous donnera du temps. Il frappe d'un billet sur sa main; et puis... Docteur en toute hypocrisie! Vrai major d'infernal Tartuffe! grùce au hasard qui régit tout, à ma tactique, à quelques louis semés, voici qui me promet une lettre de toi, oÃÂč, dit-on, tu poses le masque, à ne rien laisser désirer! Il ouvre le billet et dit Le coquin qui l'a lue en veut cinquante louis?... eh bien! il les aura, si la lettre les vaut; une année de mes gages sera bien employée, si je parviens à détromper un maÃtre à qui nous devons tant... Mais oÃÂč es-tu, Suzanne, pour en rire? O che piacere!... A demain donc! car je ne vois pas que rien périclite ce soir... Et pourquoi perdre un temps? Je m'en suis toujours repenti... TrÚs vivement. Point de délai, courons attacher le pétard, dormons dessus la nuit porte conseil, et demain matin nous verrons qui des deux fera sauter l'autre. ScÚne II Bégearss, Figaro. Bégearss, raillant. Eeeh! c'est mons Figaro! La place est agréable, puisqu'on y retrouve monsieur. Figaro, du mÃÂȘme ton. Ne fût-ce que pour avoir la joie de l'en chasser une autre fois. Bégearss De la rancune pour si peu! Vous ÃÂȘtes bien bon d'y songer! chacun n'a-t-il pas sa manie? Figaro Et celle de monsieur est de ne plaider qu'à huis clos? Bégearss, lui frappant sur l'épaule. Il n'est pas essentiel qu'un sage entende tout, quand il sait si bien deviner. Figaro Chacun se sert des petits talents que le ciel lui a départis. Bégearss Et l'intrigant compte-t-il gagner beaucoup avec ceux qu'il nous montre ici? Figaro Ne mettant rien à la partie, j'ai tout gagné... si je fais perdre l'autre. Bégearss, piqué. On verra le jeu de monsieur. Figaro Ce n'est pas de ces coups brillants qui éblouissent la galerie. Il prend un air niais. Mais chacun pour soi, Dieu pour tous, comme a dit le roi Salomon, Bégearss, souriant. Belle sentence! N'a-t-il pas dit aussi le soleil luit pour tout le monde? Figaro, fiÚrement. Oui, en dardant sur le serpent prÃÂȘt à mordre la main de son imprudent bienfaiteur! Il sort. ScÚne III Bégearss, seul, le regardant aller. Il ne farde plus ses desseins! Notre homme est fier? Bon signe, il ne sait rien des miens; il aurait la mine bien longue s'il était instruit qu'à minuit... Il cherche dans ses poches vivement. Eh bien! qu'ai-je fait du papier? Le voici. Il lit. "Reçu de monsieur Fal, notaire, les trois millions d'or spécifiés dans le bordereau ci-dessus. A Paris, le... Almaviva." - C'est bon; je tiens la pupille et l'argent! Mais ce n'est point assez cet homme est faible, il ne finira rien pour le reste de sa fortune. La Comtesse lui en impose; il la craint, l'aime encore... Elle n'ira point au couvent, si je ne les mets aux prises, et ne le force à s'expliquer... brutalement. Il se promÚne. - Diable! ne risquons pas ce soir un dénouement aussi scabreux! En précipitant trop les choses, on se précipite avec elles! Il sera temps demain, quand j'aurai bien serré le doux lien sacramentel qui va les enchaÃner à moi! Il appuie ses deux mains sur sa poitrine. Eh bien, maudite joie, qui me gonfles le coeur! ne peux-tu donc te contenir?... Elle m'étouffera, la fougueuse, ou me livrera comme un sot, si je ne la laisse un peu s'évaporer pendant que je suis seul ici. Sainte et douce crédulité! l'époux te doit la magnifique dot! Pùle déesse de la nuit, il te devra bientÎt sa froide épouse. Il frotte ses mains de joie. Bégearss! heureux Bégearss!... Pourquoi l'appelez-vous Bégearss? n'est-il donc pas plus d'à moitié le seigneur Comte Almaviva? D'un ton terrible. Encore un pas, Bégearss! et tu l'es tout à fait. - Mais il te faut auparavant... Ce Figaro pÚse sur ma poitrine! car c'est lui qui l'a fait venir!... Le moindre trouble me perdrait... Ce valet-là me portera malheur... C'est le plus clairvoyant coquin!... Allons, allons, qu'il parte avec son chevalier errant! ScÚne IV Bégearss, Suzanne. Suzanne, accourant, fait un cri d'étonnement de voir un autre que Figaro. Ah! A part. Ce n'est pas lui! Bégearss Quelle surprise? Et qu'attendais-tu donc? Suzanne, se remettant. Personne. On se croit seule ici... Bégearss Puisque je t'y rencontre, un mot avant le comité. Suzanne Que parlez-vous de comité? Réellement, depuis deux ans, on n'entend plus du tout la langue de ce pays. Bégearss, riant sardoniquement. Hé! hé! Il pétrit dans sa boÃte une prise de tabac, d'un air content de lui. Ce comité, ma chÚre, est une conférence entre la Comtesse, son fils, notre jeune pupille et moi, sur le grand objet que tu sais. Suzanne AprÚs la scÚne que j'ai vue, osez-vous encore l'espérer? Bégearss, bien fat. Oser l'espérer!... Non. Mais seulement... je l'épouse ce soir. Suzanne, virement. Malgré son amour pour Léon? Bégearss Bonne femme, qui me disais Si vous faites cela, monsieur... Suzanne Eh! qui eût pu l'imaginer? Bégearss, prenant son tabac en plusieurs fois. Enfin que dit-on? parle-t-on? Toi qui vis dans l'intérieur, qui as l'honneur des confidences, y pense-t-on du bien de moi? car c'est là le point important. Suzanne L'important serait de savoir quel talisman vous employez pour dominer tous les esprits. Monsieur ne parle de vous qu'avec enthousiasme, ma maÃtresse vous porte aux nues, son fils n'a d'espoir qu'en vous seul, notre pupille vous révÚre!... Bégearss, d'un ton bien fat, secouant le tabac de son jabot. Et toi, Suzanne, qu'en dis-tu? Suzanne Ma foi, monsieur, je vous admire! Au milieu du désordre affreux que vous entretenez ici, vous seul ÃÂȘtes calme et tranquille; il me semble entendre un génie qui fait tout mouvoir à son gré. Bégearss, bien fat. Mon enfant, rien n'est plus aisé. D'abord, il n'est que deux pivots sur qui roule tout dans le monde la morale et la politique. La morale, tant soit peu mesquine, consiste à ÃÂȘtre juste et vrai; elle est, dit-on, la clef de quelques vertus routiniÚres, Suzanne Quant à la politique?... Bégearss, avec chaleur. Ah! c'est l'art de créer des faits, de dominer, en se jouant les événements et les hommes; l'intérÃÂȘt est son but, l'intrigue son moyen toujours sobre de vérités, ses vastes et riches conceptions sont un prisme qui éblouit. Aussi profonde que l'Etna, elle brûle et gronde longtemps avant d'éclater au-dehors; mais alors rien ne lui résiste. Elle exige de hauts talents le scrupule seul peut lui nuire; en riant c'est le secret des négociateurs. Suzanne Si la morale ne vous échauffe pas, l'autre, en revanche, excite en vous un assez vif enthousiasme! Bégearss, averti, revient a lui. Eh!... ce n'est pas elle; c'est toi! - Ta comparaison d'un génie... - Le chevalier vient; laisse-nous. ScÚne V Léon, Bégearss. Léon Monsieur Bégearss, je suis au désespoir! Bégearss, d'un ton protecteur. Qu'est-il arrivé, jeune ami? Léon Mon pÚre vient de me signifier, avec une dureté!... que j'eusse à faire, sous deux jours, tous les apprÃÂȘts de mon départ pour Malte. Point d'autre train, dit-il, que Figaro, qui m'accompagne, et un valet qui courra devant nous. Bégearss Cette conduite est en effet bizarre pour qui ne sait pas son secret; mais nous qui l'avons pénétré, notre devoir est de le plaindre. Ce voyage est le fruit d'une frayeur bien excusable Malte et vos voeux ne sont que le prétexte; un amour qu'il redoute est son véritable motif. Léon, avec douleur. Mais, mon ami, puisque vous l'épousez? Bégearss, confidentiellement. Si son frÚre le croit utile à suspendre un fùcheux départ!... Je ne verrais qu'un seul moyen... Léon O mon ami! dites-le-moi. Bégearss Ce serait que madame votre mÚre vainquÃt cette timidité qui l'empÃÂȘche, avec lui, d'avoir une opinion à elle; car sa douceur vous nuit bien plus que ne ferait un caractÚre trop ferme. - Supposons qu'on lui ait donné quelque prévention injuste qui a le droit, comme une mÚre, de rappeler un pÚre à la raison? Engagez-la à le tenter... non pas aujourd'hui, mais... demain, et sans y mettre de faiblesse, Léon Mon ami, vous avez raison cette crainte est son vrai motif. Sans doute, il n'y a que ma mÚre qui puisse le faire changer. La voici qui vient avec celle... que je n'ose plus adorer. Avec douleur. O mon ami! rendez-la bien heureuse! Bégearss, caressant. En lui parlant tous les jours de son frÚre. ScÚne VI La Comtesse, Florestine, Bégearss, Suzanne, Léon. La Comtesse, coiffée, parée, portant une robe rouge et noire, et son bouquet de mÃÂȘme couleur. Suzanne, donne mes diamants. Suzanne va les chercher. Bégearss, affectant de la dignité. Madame, et vous mademoiselle, je vous laisse avec cet ami; je confirme d'avance tout ce qu'il va vous dire. Hélas! ne pensez point au bonheur que j'aurais de vous appartenir à tous; votre repos doit seul vous occuper. Je n'y veux concourir que sous la forme que vous adopterez mais, soit que mademoiselle accepte ou non mes offres, recevez ma déclaration que toute la fortune dont je viens d'hériter lui est destinée de ma part, dans un contrat, ou par un testament; je vais en faire dresser les actes mademoiselle choisira. AprÚs ce que je viens de dire, il ne conviendrait pas que ma présence ici gÃÂȘnùt un parti qu'elle doit rendre en toute liberté mais, quel qu'il soit, Î mes amis! sachez qu'il est sacré pour moi je l'adopte sans restrictions. Il salue profondément et sort. ScÚne VII La Comtesse, Léon, Florestine. La Comtesse le regarde aller. C'est un ange envoyé du ciel pour réparer tous nos malheurs. Léon, avec une douleur ardente. O Florestine! il faut céder ne pouvant ÃÂȘtre l'un à l'autre, nos premiers élans de douleur nous avaient fait jurer de n'ÃÂȘtre jamais à personne; j'accomplirai ce serment pour nous deux. Ce n'est pas tout à fait vous perdre, puisque je retrouve une soeur oÃÂč j'espérais posséder une épouse. Nous pourrons encore nous aimer. ScÚne VIII La Comtesse, Léon, Florestine, Suzanne. Suzanne apporte l'écrin. La Comtesse, en parlant, met ses boucles d'oreilles, ses bagues, son bracelet, sans rien regarder. Florestine! épouse Bégearss, ses procédés l'en rendent digne et puisque cet hymen fait le bonheur de ton parrain, il faut l'achever aujourd'hui. Suzanne sort et emporte l'écrin. ScÚne IX La Comtesse, Léon, Florestine. La Comtesse, à Léon. Nous, mon fils, ne sachons jamais ce que nous devons ignorer. Tu pleures, Florestine! Florestine, pleurant. Ayez pitié de moi, madame! Eh! comment soutenir autant d'assauts dans un seul jour? A peine j'apprends qui je suis, qu'il faut renoncer à moi-mÃÂȘme et me livrer... Je meurs de douleur et d'effroi. Dénuée d'objections contre monsieur Bégearss, je sens mon coeur à l'agonie en pensant qu'il peut devenir... Cependant il le faut, il faut me sacrifier au bien de ce frÚre chéri, à son bonheur... que je ne puis plus faire. Vous dites que je pleure! Ah! je fais plus pour lui que si je lui donnais ma vie! Maman, ayez pitié de nous..., bénissez vos enfants! ils sont bien malheureux! Elle se jette à genoux. Léon en fait autant. La Comtesse, leur imposant les mains. Je vous bénis, mes chers enfants. Ma Florestine, je t'adopte. Si tu savais à quel point tu m'es chÚre! Tu seras heureuse, ma fille, et du bonheur de la vertu; celui-là peut dédommager des autres. Ils se relÚvent. Florestine Mais, croyez-vous, madame, que mon dévouement le ramÚne à Léon, à son fils? car il ne faut pas se flatter son injuste prévention va quelquefois jusqu'à la haine. La Comtesse ChÚre fille, j'en ai l'espoir. Léon C'est l'avis de monsieur Bégearss il me l'a dit; mais il m'a dit aussi qu'il n'y a que maman qui puisse opérer ce miracle. Aurez-vous donc la force de lui parler en ma faveur? La Comtesse Je l'ai tenté souvent, mon fils, mais sans aucun fruit apparent. Léon O ma digne mÚre! c'est votre douceur qui m'a nui. La crainte de le contrarier vous a trop empÃÂȘchée d'user de la juste influence que vous donnent votre vertu et le respect profond dont vous ÃÂȘtes entourée. Si vous lui parliez avec force, il ne vous résisterait pas. La Comtesse Vous le croyez, mon fils? je vais l'essayer devant vous. Vos reproches m'affligent presque autant que son injustice. Mais pour que vous ne gÃÂȘniez pas le bien que je dirai de vous, mettez-vous dans mon cabinet; vous m'entendrez, de là , plaider une cause si juste vous n'accuserez plus une mÚre de manquer d'énergie quand il faut défendre son fils! Elle sonne. Florestine, la décence ne te permet pas de rester va t'enfermer; demande au ciel qu'il m'accorde quelque succÚs et rende enfin la paix à ma famille désolée. Florestine sort. ScÚne X Suzanne, La Comtesse, Léon. Suzanne Que veut madame? elle a sonné. La Comtesse Prie monsieur, de ma part, de passer un moment ici. Suzanne, effrayée. Madame! vous me faites trembler! Ciel! que va-t-il donc se passer? Quoi! monsieur qui ne vient jamais... sans... La Comtesse Fais ce que je te dis, Suzanne, et ne prends nul souci du reste. Suzanne sort, en levant les bras au ciel de terreur. ScÚne XI La Comtesse, Léon. La Comtesse Vous allez voir, mon fils, si votre mÚre est faible en défendant vos intérÃÂȘts! Mais laissez-moi me recueillir, me préparer, par la priÚre, à cet important plaidoyer. Léon entre au cabinet de sa mÚre. ScÚne XII La Comtesse, seule, une genou sur son fauteuil. Ce moment me semble terrible comme le jugement dernier! Mon sang est prÃÂȘt à s'arrÃÂȘter... O mon Dieu! donnez-moi la force de frapper au coeur d'un époux! Plus bas. Vous seul connaissez les motifs qui m'ont toujours fermé la bouche! Ah! s'il ne s'agissait du bonheur de mon fils, vous savez, Î mon Dieu! si j'oserais dire un seul mot pour moi! Mais enfin, s'il est vrai qu'une faute pleurée vingt ans ait obtenu de vous un pardon généreux, comme un ami sage m'en assure, Î mon Dieu, donnez-moi la force de frapper au coeur d'un époux! ScÚne XIII La Comtesse, Le Comte, Léon caché. Le Comte, sÚchement. Madame, on dit que vous me demandez? La Comtesse, timidement. J'ai cru, monsieur, que nous serions plus libres dans ce cabinet que chez vous. Le Comte M'y voilà , madame; parlez. La Comtesse, tremblante. Asseyons-nous, monsieur, je vous conjure, et prÃÂȘtez-moi votre attention. Le Comte, impatient, Non, j'entendrai debout; vous savez qu'en parlant je ne saurais tenir en place. La Comtesse, s'asseyant, avec un soupir, et parlant bas. Il s'agit de mon fils... monsieur. Le Comte, brusquement. De votre fils, madame? La Comtesse Et quel autre intérÃÂȘt pourrait vaincre ma répugnance à engager un entretien que vous ne recherchez jamais? Mais je viens de le voir dans un état à faire compassion l'esprit troublé, le coeur serré de l'ordre que vous lui donnez de partir sur-le-champ; surtout du ton de dureté qui accompagne cet exil. Eh! comment a-t-il encouru la disgrùce d'un p... d'un homme si juste? Depuis qu'un exécrable duel nous a ravi notre autre fils... Le Comte, les mains sur le visage, avec un air de douleur. Ah!... La Comtesse Celui-ci, qui jamais ne dût connaÃtre le chagrin, a redoublé de soins et d'attentions pour adoucir l'amertume des nÎtres! Le Comte, se promenant doucement. Ah!... La Comtesse Le caractÚre emporté de son frÚre, son désordre, ses goûts et sa conduite déréglée nous en donnaient souvent de bien cruels. Le ciel sévÚre, mais sage en ses décrets, en nous privant de cet enfant, nous en a peut-ÃÂȘtre épargné de plus cuisants pour l'avenir. Le Comte, avec douleur. Ah!... ah!... La Comtesse Mais enfin, celui qui nous reste a-t-il jamais manqué à ses devoirs? Jamais le plus léger reproche fut-il mérité de sa part? Exemple des hommes de son ùge, il a l'estime universelle il est aimé, recherché, consulté. Son p... protecteur naturel, mon époux seul, paraÃt avoir les yeux fermés sur un mérite transcendant, dont l'éclat frappe tout le monde. Le Comte se promÚne plus vite sans parler. - La Comtesse, prenant courage de son silence, continue d'un ton plus ferme, et l'élÚve par degrés. En tout autre sujet, monsieur, je tiendrais à fort grand honneur de vous soumettre mon avis, de modeler mes sentiments, ma faible opinion sur la vÎtre; mais il s'agit... d'un fils... Le Comte s'agite en marchant. Quand il avait un frÚre aÃné, l'orgueil d'un trÚs grand nom le condamnant au célibat, l'ordre de Malte était son sort. Le préjugé semblait alors couvrir l'injustice de ce partage entre deux fils timidement égaux en droits. Le Comte s'agite plus fort. A part, d'un ton étouffé. Egaux en droits!... La Comtesse, un peu plus fort. Mais depuis deux années qu'un accident affreux... les lui a tous transmis, n'est-il pas étonnant que vous n'ayez rien entrepris pour le relever de ses voeux? Il est de notoriété que vous n'avez quitté l'Espagne que pour dénaturer vos biens, par la vente ou par des échanges. Si c'est pour l'en priver, monsieur, la haine ne va pas plus loin! Puis, vous le chassez de chez vous, et semblez lui fermer la maison p... par vous habitée. Permettez-moi de vous le dire, un traitement aussi étrange est sans excuse aux yeux de la raison. Qu'a-t-il fait pour le mériter? Le Comte s'arrÃÂȘte; d'un ton terrible. Ce qu'il a fait! La Comtesse, effrayée. Je voudrais bien, monsieur, ne pas vous offenser! Le Comte, plus fort. Ce qu'il a fait, madame? Et c'est vous qui le demandez? La Comtesse, en désordre. Monsieur, monsieur! vous m'effrayez beaucoup! Le Comte, avec fureur. Puisque vous avez provoqué l'explosion du ressentiment qu'un respect humain enchaÃnait, vous entendrez son arrÃÂȘt et le vÎtre. La Comtesse, plus troublée. Ah! monsieur! Ah! monsieur! Le Comte Vous demandez ce qu'il a fait? La Comtesse, levant les bras. Non, monsieur, ne me dites rien! Le Comte, hors de lui. Rappelez-vous, femme perfide, ce que vous avez fait vous-mÃÂȘme! et comment, recevant un adultÚre dans vos bras, vous avez mis dans ma maison cet enfant étranger, que vous osez nommer mon fils! La Comtesse, au désespoir, veut se lever. Laissez-moi m'enfuir, je vous prie. Le Comte, la clouant sur son fauteuil. Non, vous ne fuirez pas; vous n'échapperez point à la conviction qui vous presse. Lui montrant sa lettre. Connaissez-vous cette écriture? Elle est tracée de votre main coupable! et ces caractÚres sanglants qui lui servirent de réponse... La Comtesse, anéantie. Je vais mourir! je vais mourir! Le Comte, avec force. Non, non! vous entendrez les traits que j'en ai soulignés! Il lit avec égarement. "Malheureux insensé! notre sort est rempli; votre crime, le mien, reçoit sa punition. Aujourd'hui, jour de saint Léon, patron de ce lieu et le vÎtre, je viens de mettre au monde un fils, mon opprobre et mon désespoir..." Il parle. Et cet enfant est né le jour de saint Léon, plus de dix mois aprÚs mon départ pour la Vera-Cruz! Pendant qu'il lit trÚs fort, on entend la Comtesse, égarée, dire des mots coupés qui partent du délire. La Comtesse, priant, les mains jointes. Grand Dieu! tu ne permets donc pas que le crime le plus caché demeure toujours impuni! Le Comte ... Et de la main du corrupteur. Il lit. "L'ami qui vous rendra ceci, quand je ne serai plus, est sûr." La Comtesse, priant. Frappe, mon Dieu, car je l'ai mérité! Le Comte, lit. "Si la mort d'un infortuné vous inspirait un reste de pitié, parmi les noms qu'on va donner à ce fils, héritier 'un autre..." La Comtesse, priant. Accepte l'horreur que j'éprouve, en expiation de ma faute! Le Comte, lit. "Puis-je espérer que le nom de Léon..." Il parle. Et ce fils s'appelle Léon! La Comtesse, égarée, les yeux fermés. O Dieu! mon crime fut bien grand, s'il égala ma punition! Que ta volonté s'accomplisse! Le Comte, plus fort. Et, couverte de cet opprobre, vous osez me demander compte de mon éloignement pour lui? La Comtesse, priant toujours. Qui suis-je pour m'y opposer, lorsque ton bras s'appesantit? Le Comte Et, lorsque vous plaidez pour l'enfant de ce malheureux, vous avez au bras mon portrait! La Comtesse, en le détachant, le regarde. Monsieur, monsieur, je le rendrai; je sais que je n'en suis pas digne. Dans le plus grand égarement. Ciel! que m'arrive-t-il? Ah! je perds la raison! Ma conscience troublée fait naÃtre des fantÎmes! - Réprobation anticipée! - Je vois ce qui n'existe pas... Ce n'est plus vous, c'est lui qui me fait signe de le suivre, d'aller le rejoindre au tombeau! Le Comte, effrayé. Comment? Eh bien! non, ce n'est pas... La Comtesse, en délire. Ombre terrible! éloigne-toi!... Le Comte crie avec douleur. Ce n'est pas ce que vous croyez! La Comtesse jette le bracelet par terre. Attends... Oui, je t'obéirai... Le Comte, plus troublé. Madame, écoutez-moi... La Comtesse J'irai... Je t'obéis... Je meurs. Elle reste évanouie. Le Comte, effrayé, ramasse le bracelet. J'ai passé la mesure. Elle se trouve mal... Ah! Dieu, courons lui chercher du secours. Il sort, il s'enfuit. - Les convulsions de la douleur font glisser la Comtesse à terre. ScÚne XIV Léon, accourant; La Comtesse, évanouie. Léon, avec force. O ma mÚre! ma mÚre! c'est moi qui te donne la mort! Il l'enlÚve et la remet sur son fauteuil, évanouie. Que ne suis-je parti sans rien exiger de personne! j'aurais prévenu ces horreurs! ScÚne XV Le Comte, Suzanne, Léon, La Comtesse, évanouie. Le Comte, en rentrant, s'écrie Et son fils! Léon, égaré. Elle est morte! Ah! je ne lui survivrai pas! Il l'embrasse en criant. Le Comte, effrayé. Des sels! des sels! Suzanne! Un million si vous la sauvez! Léon O malheureuse mÚre! Suzanne Madame, aspirez ce flacon. Soutenez-la, monsieur; je vais tùcher de la desserrer. Le Comte, égaré. Romps tout, arrache tout! Ah! j'aurais dû la ménager! Léon, criant avec délire. Elle est morte! elle est morte! ScÚne XVI Le Comte, Suzanne, Léon, La Comtesse, évanouie, Figaro, accourant. Figaro Eh! qui morte? madame? Apaisez donc ces cris! c'est vous qui la ferez mourir! Il lui prend le bras. Non, elle ne l'est pas ce n'est qu'une suffocation; le sang qui monte avec violence. Sans perdre de temps, il faut la soulager. Je vais chercher ce qu'il lui faut. Le Comte, hors de lui. Des ailes, Figaro! ma fortune est à toi. Figaro, vivement. J'ai bien besoin de vos promesses lorsque madame est en péril! Il sort en courant. ScÚne XVII Le Comte, Léon, La Comtesse, évanouie, Suzanne. Léon, lui tenant le flacon sous le nez. Si l'on pouvait la faire respirer! O Dieu! rends-moi ma malheureuse mÚre!... La voici qui revient. Suzanne, pleurant. Madame! allons, madame!... La Comtesse, revenant à elle. Ah! qu'on a de peine à mourir! Léon, égaré. Non, maman, vous ne mourrez pas! La Comtesse, égarée. O ciel! Entre mes juges! entre mon époux et mon fils! tout est connu... et, criminelle envers tous deux... Elle se jette à terre et se prosterne. Vengez-vous l'un et l'autre! Il n'est plus de pardon pour moi! Avec horreur. MÚre coupable! épouse indigne! un instant nous a tous perdus. J'ai mis l'horreur dans ma famille! j'allumai la guerre intestine entre le pÚre et les enfants! Ciel juste, il Fallait bien que ce crime fût découvert! Puisse ma mort expier mon forfait! Le Comte, au désespoir. Non, revenez à vous! votre douleur a déchiré mon ùme! Asseyons-la, Léon!... mon fils! Léon fait un grand mouvement. Suzanne, asseyons-la. Ils la remettent sur le fauteuil. ScÚne XVIII Les Précédents, Figaro. Figaro, accourant. Elle a repris sa connaissance? Suzanne Ah! Dieu! j'étouffe aussi. Elle se desserre. Le Comte crie. Figaro! vos secours! Figaro, étouffé. Un moment, calmez-vous. Son état n'est plus si pressant. Moi qui étais dehors, grand Dieu! Je suis rentré bien à propos!... Elle m'avait fort effrayé! Allons, madame, du courage! La Comtesse, priant, renversée. Dieu de bonté, fais que je meure! Léon, en l'asseyant mieux. Non, maman, vous ne mourrez pas, et nous réparerons nos torts. Monsieur! vous que je n'outragerai plus en vous donnant un autre nom, reprenez vos titres, vos biens; je n'y avais nul droit hélas! je l'ignorais. Mais, par pitié, n'écrasez point d'un déshonneur public cette infortunée qui fut vÎtre... Une erreur expiée par vingt années de larmes est-elle encore un crime, a lors qu'on fait justice? Ma mÚre et moi, nous nous bannissons de chez vous. Le Comte, exalté. Jamais! Vous n'en sortirez point. Léon Un couvent sera sa retraite; et moi, sous mon nom de Léon, sous le simple habit d'un soldat, je défendrai la liberté de notre nouvelle patrie. Inconnu, je mourrai pour elle, ou je la servirai en zélé citoyen. Suzanne pleure dans un coin; Figaro est absorbé dans l'autre. La Comtesse, péniblement. Léon! mon cher enfant! ton courage me rend la vie. Je puis encore la supporter, puisque mon fils a la vertu de ne pas détester sa mÚre. Cette fierté dans le malheur sera ton noble patrimoine. Il m'épousa sans biens; n'exigeons rien de lui. Le travail de mes mains soutiendra ma faible existence, et toi, tu serviras l'Etat. Le Comte, avec désespoir. Non, Rosine! jamais! C'est moi qui suis le vrai coupable! De combien de vertus je privais ma triste vieillesse! La Comtesse Vous en serez enveloppé. - Florestine et Bégearss vous restent. Floresta, votre fille, l'enfant chéri de votre coeur!... Le Comte, étonné. Comment?... d'oÃÂč savez-vous?... qui vous l'a dit?... La Comtesse Monsieur, donnez-lui tous vos biens; mon fils et moi n'y mettrons point d'obstacle; son bonheur nous consolera. Mais, avant de nous séparer, que j'obtienne au moins une grùce! Apprenez-moi comment vous ÃÂȘtes possesseur d'une lettre que je croyais brûlée avec les autres? Quelqu'un m'a-t-il trahie? Figaro, s'écriant. Oui! l'infùme Bégearss! Je l'ai surpris tantÎt qui la remettait à monsieur. Le Comte, parlant vite. Non, je la dois au seul hasard. Ce matin, lui et moi, pour un tout autre objet, nous examinions votre écrin, sans nous douter qu'il eût un double fond. Dans le débat, et sous ses doigts, le secret s'est ouvert soudain, à son trÚs grand étonnement. Il a cru le coffre brisé! Figaro, criant plus fort. Son étonnement d'un secret? Monstre! c'est lui qui l'a fait faire! Le Comte Est-il possible? La Comtesse Il est trop vrai! Le Comte Des papiers frappent nos regards; il en ignorait l'existence; et, quand j'ai voulu les lui lire, il a refusé de les voir. Suzanne, s'écriant. Il les a lus cent fois avec madame! Le Comte Est-il vrai? Les connaissait-il? La Comtesse Ce fut lui qui me les remit, qui les apporta de l'armée, lorsqu'un infortuné mourut. Le Comte Cet ami sûr, instruit de tout?... Figaro, La Comtesse, Suzanne, ensemble, criant. C'est lui! Le Comte O scélératesse infernale! Avec quel art il m'avait engagé! A présent je sais tout. Figaro Vous le croyez! Le Comte Je connais son affreux projet. Mais, pour en ÃÂȘtre plus certain, déchirons le voile en entier. Par qui savez-vous donc ce qui touche ma Florestine? La Comtesse, vite. Lui seul m'en a fait confidence. Léon, vite. Il me l'a dit sous le secret. Suzanne, vite. Il me l'a dit aussi. Le Comte, avec horreur. O monstre! Et moi j'allais la lui donner! mettre ma fortune en ses mains! Figaro, vivement. Plus d'un tiers y serait déjà , si je n'avais porté, sans vous le dire, vos trois millions d'or en dépÎt chez monsieur Fal; vous alliez l'en rendre le maÃtre; heureusement je m'en suis douté; je vous ai donné son reçu... Le Comte, vivement. Le scélérat vient de me l'enlever pour en aller toucher la somme. Figaro, désolé. O proscription sur moi! Si l'argent est remis, tout ce que j'ai fait est perdu! Je cours chez monsieur Fal. Dieu veuille qu'il ne soit pas trop tard! Le Comte, à Figaro. Le traÃtre n'y peut ÃÂȘtre encore. Figaro S'il a perdu un temps, nous le tenons. J'y cours. Il veut sortir. Le Comte, vivement, l'arrÃÂȘte. Mais, Figaro, que le fatal secret dont ce moment vient de t'instruire reste enseveli dans ton sein! Figaro, avec une grande sensibilité. Mon maÃtre, il y a vingt ans qu'il est dans ce sein-là , et dix que je travaille à empÃÂȘcher qu'un monstre n'en abuse! Attendez surtout mon retour, avant de prendre aucun parti. Le Comte, vivement. Penserait-il se disculper? Figaro Il fera tout pour le tenter. Il tire une lettre de sa poche. Mais voici le préservatif. Lisez le contenu de cette épouvantable lettre; le secret de l'enfer est là . Vous me saurez bon gré d'avoir tout fait pour me la procurer. Il lui remet la lettre de Bégearss. Suzanne! des gouttes à ta maÃtresse. Tu sais comment je les prépare. Il lui donne un flacon. Passez-la sur sa chaise longue; et le plus grand calme autour d'elle. Monsieur, au moins ne recommencez pas; elle s'éteindrait dans nos mains! Le Comte, exalté. Recommencer! Je me ferais horreur! Figaro, à la Comtesse. Vous l'entendez, madame? Le voilà dans son caractÚre! Et c'est mon maÃtre que j'entends. Ah! je l'ai toujours dit de lui la colÚre, chez les bons coeurs, n'est qu'un besoin pressant de pardonner! Il s'enfuit. - Le Comte et Léon la prennent sous les bras, ils sortent tous. Acte cinquiÚme Le théùtre représente le grand salon du premier acte. ScÚne I Le Comte, La Comtesse, Léon, Suzanne. La Comtesse, sans rouge, dans le plus grand désordre de parure. Léon, soutenant sa mÚre. Il fait trop chaud, maman, dans l'appartement intérieur. Suzanne, avance une bergÚre. On l'assied. Le Comte, attendri, arrangeant les coussins. Etes-vous bien assise? Eh quoi! pleurer encore? La Comtesse, accablée. Ah! laissez-moi verser des larmes de soulagement! Ces récits affreux m'ont brisée! cette infùme lettre surtout. Le Comte, délirant. Marié en Irlande, il épousait ma fille! Et tout mon bien placé sur la banque de Londres eût fait vivre un repaire affreux jusqu'à la mort du dernier de nous tous!... Et qui sait, grand Dieu, quels moyens?... La Comtesse Homme infortuné, calmez-vous! mais il est temps de faire descendre Florestine; elle avait le coeur si serré de ce qui devait lui arriver! Va la chercher, Suzanne; et ne l'instruis de rien. Le Comte, avec dignité. Ce que j'ai dit à Figaro, Suzanne, était pour vous comme pour lui. Suzanne Monsieur, celle qui vit madame pleurer, prier pendant vingt ans, a trop gémi de ses douleurs pour rien faire qui les accroisse! Elle sort. ScÚne II Le Comte, La Comtesse, Léon. Le Comte, avec un vif sentiment. Ah! Rosine, séchez vos pleurs; et maudit soit qui vous affligera! La Comtesse Mon fils! embrasse les genoux de ton généreux protecteur, et rends-lui grùce pour ta mÚre. Il veut se mettre à genoux. Le Comte le relÚve. Oublions le passé, Léon. Gardons-en le silence, et n'émouvons plus votre mÚre. Figaro demande un grand calme. Ah! Respectons surtout la jeunesse de Florestine, en lui cachant soigneusement les causes de cet accident. ScÚne III Florestine, Suzanne, Les Précédents. Florestine, accourant. Mon Dieu! maman, qu'avez-vous donc? La Comtesse Rien que d'agréable à t'apprendre; et ton parrain va t'en instruire. Le Comte Hélas! ma Florestine, je frémis du péril oÃÂč j'allais plonger ta jeunesse. Grùce au ciel, qui dévoile tout, tu n'épouseras point Bégearss! Non, tu ne seras point la femme du plus épouvantable ingrat!... Florestine Ah! Ciel! Léon!... Léon Ma soeur, il nous a tous joués! Florestine, au Comte. Sa soeur! Le Comte Il nous trompait. Il trompait les uns par les autres, et tu étais le prix de ses horribles perfidies. Je vais le chasser de chez moi. La Comtesse L'instinct de ta frayeur te servait mieux que nos lumiÚres. Aimable enfant, rends grùces au ciel qui te sauve d'un tel danger. Léon Ma soeur, il nous a tous joués! Florestine, au Comte. Monsieur, il m'appelle sa soeur! La Comtesse, exaltée. Oui, Floresta, tu es à nous. C'est là notre secret chéri. Voilà ton pÚre, voilà ton frÚre; et moi, je suis ta mÚre pour la vie. Ah! garde-toi de l'oublier jamais! Elle tend la main au Comte. Almaviva, pas vrai qu'elle est ma fille? Le Comte, exalté. Et lui, mon fils; voilà nos deux enfants. Tous se serrent dans les bras l'un de l'autre. ScÚne IV Figaro, M. Fal, notaire; Les Précédents. Figaro, accourant et jetant son manteau. Malédiction! Il a le portefeuille. J'ai vu le traÃtre l'emporter, quand je suis entré chez monsieur. Le Comte O monsieur Fal! vous vous ÃÂȘtes pressé! M. Fal, vivement. Non, monsieur, au contraire. Il est resté plus d'une heure avec moi, m'a fait achever le contrat, y insérer la donation qu'il fait. Puis il m'a remis mon reçu, au bas duquel était le vÎtre, en me disant que la somme est à lui, qu'elle est un fruit d'hérédité, qu'il vous l'a remise en confiance... Le Comte O scélérat! Il n'oublie rien! Figaro Que de trembler sur l'avenir! M. Fal Avec ces éclaircissements, ai-je pu refuser le portefeuille qu'il exigeait? Ce sont trois millions au porteur. Si vous rompez le mariage et qu'il veuille garder l'argent, c'est un mal presque sans remÚde. Le Comte, avec véhémence. Que tout l'or du monde périsse, et que je sois débarrassé de lui! Figaro, jetant son chapeau sur un fauteuil, Dussé-je ÃÂȘtre pendu, il n'en gardera pas une obole. A Suzanne. Veille au-dehors, Suzanne. Elle sort. M. Fal Avez-vous un moyen de lui faire avouer devant de bons témoins qu'il tient ce trésor de monsieur? Sans cela, je défie qu'on puisse le lui arracher. Figaro S'il apprend par son Allemand ce qui se passe dans l'hÎtel, il n'y rentrera plus. Le Comte, vivement. Tant mieux! c'est tout ce que je veux. Ah! qu'il garde le reste. Figaro, vivement. Lui laisser par dépit l'héritage de vos enfants? ce n'est pas vertu, c'est faiblesse. Léon, fùché. Figaro! Figaro, plus fort. Je ne m'en dédis point. Au Comte. Qu'obtiendra donc de vous l'attachement, si vous payez ainsi la perfidie? Le Comte, se fùchant. Mais l'entreprendre sans succÚs, c'est lui ménager un triomphe... ScÚne V Les Précédents, Suzanne. Suzanne, à la porte et criant. Monsieur Bégearss qui rentre! Elle sort. ScÚne VI Les Précédents, excepté Suzanne. Ils font tous un grand mouvement. Le Comte, hors de lui. Oh! traÃtre! Figaro, trÚs vite. On ne peut plus se concerter; mais si vous m'écoutez et me secondez tous pour lui donner une sécurité profonde, j'engage ma tÃÂȘte au succÚs. M. Fal Vous allez lui parler du portefeuille et du contrat? Figaro, trÚs vite. Non pas; il en sait trop pour l'entamer si brusquement! Il faut l'amener de plus loin à faire un aveu volontaire. Au Comte. Feignez de vouloir me chasser. Le Comte, troublé. Mais, mais... sur quoi? ScÚne VII Les Précédents, Suzanne, Bégearss. Suzanne, accourant. Monsieur Bégeaaaaaaarss! Elle se range prÚs de La Comtesse. - Bégearss montre une grande surprise. Figaro, s'écrie en le voyant. Monsieur Bégearss! Humblement. Eh bien! ce n'est qu'une humiliation de plus. Puisque vous attachez à l'aveu de mes torts le pardon que je sollicite, j'espÚre que monsieur ne sera pas moins généreux. Bégearss, étonné. Qu'y a-t-il donc? je vous trouve assemblés! Le Comte, brusquement. Pour chasser un sujet indigne. Bégearss, plus surpris encore, voyant le notaire. Et monsieur Fal? M. Fal, lui montrant le contrat. Voyez qu'on ne perd point de temps; tout ici concourt avec vous. Bégearss, surpris. Ha! Ha!... Le Comte, impatient, à Figaro. Pressez-vous; ceci me fatigue. Pendant cette scÚne, Bégearss les examine l'un aprÚs l'autre avec la plus grande attention. Figaro, l'air suppliant, adressant la parole au Comte. Puisque la feinte est inutile, achevons mes tristes aveux. Oui, pour nuire à monsieur Bégearss, je répÚte avec confusion que je me suis mis à l'épier, le suivre et le troubler partout au Comte car monsieur n'avait pas sonné lorsque je suis entré chez lui pour savoir ce qu'on y faisait du coffre aux brillants de madame, que j'ai trouvé là tout ouvert. Bégearss Certes! ouvert à mon grand regret! Le Comte fait un mouvement inquiétant. A part. Quelle audace! Figaro, se courbant, le tire par l'habit pour l'avertir. Ah! mon maÃtre! M. Fal, effrayé. Monsieur! Bégearss, du Comte, à part. Modérez-vous, ou nous ne saurons rien. Le Comte frappe du pied; Bégearss l'examine. Figaro, soupirant, dit au Comte C'est ainsi que, sachant madame enfermée avec lui, pour brûler de certains papiers dont je connaissais l'importance, je vous ai fait venir subitement. Bégearss, au Comte. Vous l'ai-je dit? Le Comte mord son mouchoir de fureur. Suzanne, bas à Figaro, par-derriÚre. AchÚve, achÚve! Figaro Enfin, vous voyant tous d'accord j'avoue que j'ai fait l'impossible pour provoquer entre madame et vous la vive explication... qui n'a pas eu la fin que j'espérais... Le Comte, à Figaro, avec colÚre. Finissez-vous ce plaidoyer? Figaro, bien humble. Hélas! je n'ai plus rien à dire, puisque c'est cette explication qui a fait chercher monsieur Fal, pour finir ici le contrat. L'heureuse étoile de monsieur a triomphé de tous mes artifices... Mon maÃtre! en faveur de trente ans... Le Comte, avec humeur. Ce n'est pas à moi de juger. Il marche vite. Figaro Monsieur Bégearss! Bégearss, qui a repris sa sécurité, dit ironiquement Qui! moi? cher ami, je ne comptais guÚre vous avoir tant d'obligations! Elevant son ton. Voir mon bonheur accéléré par le coupable effort destiné à me le ravir! A Léon et Florestine. O jeunes gens! quelle leçon! Marchons avec candeur dans le sentier de la vertu. Voyez que tÎt ou tard l'intrigue est la perte de son auteur. Figaro, prosterné. Ah! Oui! Bégearss, au Comte. Monsieur, pour cette fois encore, et qu'il parte! Le Comte, à Bégearss, durement. C'est là votre arrÃÂȘt?... J'y souscris. Figaro, ardemment. Monsieur Bégearss! je vous le dois. Mais je vois M. Fal pressé d'achever un contrat... Le Comte, brusquement. Les articles m'en sont connus. M. Fal Hors celui-ci. Je vais vous lire la donation que monsieur fait... Cherchant l'endroit. M, M, M, messire James-Honoré Bégearss... Ah! Il lit. "Et pour donner à la demoiselle future épouse une preuve non équivoque de son attachement pour elle, ledit seigneur futur époux lui fait donation entiÚre de tous les grands biens qu'il possÚde; consistant aujourd'hui il appuie en lisant ainsi qu'il le déclare et les a exhibés à nous notaires soussignés, en trois millions d'or ici joints, en trÚs bons effets au porteur." Il tend la main en lisant. Bégearss Les voilà dans ce portefeuille. Il donne le portefeuille à Fal.! Il manque deux milliers de louis, que je viens d'en Îter pour fournir aux apprÃÂȘts des noces. Figaro, montrant le Comte, et vivement. Monsieur a décidé qu'il payerait tout; j'ai l'ordre. Bégearss, tirant les effets de sa poche, et les remettant au notaire. En ce cas, enregistrez-les; que la donation soit entiÚre! Figaro, retourné, se tient la bouche pour ne pas rire. M. Fal ouvre le portefeuille, y remet les effets. M. Fal, montrant Figaro. Monsieur va tout additionner, pendant que nous achÚverons. Il donne le portefeuille ouvert à Figaro qui, voyant les effets, dit Figaro, l'air exalté. Et moi j'éprouve qu'un bon repentir est comme toute bonne action, qu'il porte aussi sa récompense. Bégearss En quoi? Figaro J'ai le bonheur de m'assurer qu'il est ici plus d'un généreux homme. Oh! que le ciel comble les voeux de deux amis aussi parfaits! Nous n'avons nul besoin d'écrire. ,Au Comte. Ce sont vos effets au porteur oui, monsieur, je les reconnais. Entre monsieur Bégearss et vous, c'est un combat de générosité l'un donne ses biens à l'époux, l'autre les rend à sa future! Aux jeunes gens. Monsieur, mademoiselle! ah! quel bienfaisant protecteur, et que vous allez le chérir!... Mais que dis-je? l'enthousiasme m'aurait-il fait commettre une indiscrétion offensante? Tout le monde garde le silence. Bégearss, un peu surpris, se remet, prend son parti, et dit Elle ne peut l'ÃÂȘtre pour personne, si mon ami ne la désavoue pas; s'il met mon ùme à l'aise, en me permettant d'avouer que je tiens de lui ces effets. Celui-là n'a pas un bon coeur, que la gratitude fatigue, et cet aveu manquait à ma satisfaction. Montrant le Comte. Je lui dois bonheur et fortune; et quand je les partage avec sa digne fille, je ne fais que lui rendre ce qui lui appartient de droit. Remettez-moi le portefeuille; je ne veux avoir que l'honneur de le mettre à ses pieds moi-mÃÂȘme, en signant notre heureux contrat. Il veut le reprendre. Figaro, sautant de joie. Messieurs, vous l'avez entendu? Vous témoignerez s'il le faut. Mon maÃtre voilà vos effets; donnez-les à leur détenteur, si votre coeur l'en juge digne. Il lui remet le portefeuille. Le Comte, se levant, à Bégearss. Grand Dieu! Les lui donner! Homme cruel, sortez de ma maison l'enfer n'est pas aussi profond que vous! Grùce à ce bon vieux serviteur, mon imprudence est réparée sortez à l'instant de chez moi! Bégearss O mon ami, vous ÃÂȘtes encore trompé! Le Comte, hors de lui, le bride de sa lettre ouverte. Et cette lettre, monstre m'abuse-t-elle aussi? Bégearss la voit; furieux, il arrache au Comte la lettre, et se montre tel qu'il est. Ah!... je suis joué! mais j'en aurai raison. Léon Laissez en paix une famille que vous avez remplie d'horreur. Bégearss, furieux. Jeune insensé! c'est toi qui vas payer pour tous; je t'appelle au combat. Léon, vite. J'y cours. Le Comte, vite. Léon! La Comtesse, vite. Mon fils! Florestine, Vite. Mon frÚre! Le Comte Léon! je vous défends... A Bégearss. Vous vous ÃÂȘtes rendu indigne de l'honneur que vous demandez ce n'est point par cette voie-là qu'un homme comme vous doit terminer sa vie. Bégearss fait un geste affreux, sans parler. Figaro, arrÃÂȘtant Léon, vivement. Non, jeune homme, vous n'irez point, monsieur votre pÚre a raison, et l'opinion est réformée sur cette horrible frénésie on ne combattra plus ici que les ennemis de l'Etat. Laissez-le en proie à sa fureur; et s'il ose vous attaquer, défendez-vous comme d'un assassin. Personne ne trouve mauvais qu'on tue une bÃÂȘte enragée! Mais il se gardera de l'oser l'homme capable de tant d'horreurs doit ÃÂȘtre aussi lùche que vil! Bégearss, hors de lui. Malheureux! Le Comte, frappant du pied. Nous laissez-vous enfin? c'est un supplice de vous voir, La Comtesse est effrayée sur son siÚge; Florestine et Suzanne la soutiennent; Léon se réunit à elles. Bégearss, les dents serrées. Oui, morbleu! je vous laisse; mais j'ai la preuve en main de votre infùme trahison! Vous n'avez demandé l'agrément de Sa Majesté, pour échanger vos biens d'Espagne, que pour ÃÂȘtre à portée de troubler sans péril l'autre cÎté des Pyrénées. Le Comte O monstre! que dit-il? Bégearss Ce que je vais dénoncer à Madrid. N'y eût-il que le buste en grand d'un Washington dans votre cabinet, j'y fais confisquer tous vos biens. Figaro, criant. Certainement; le tiers au dénonciateur. Bégearss Mais pour que vous n'échangiez rien, je cours chez notre ambassadeur arrÃÂȘter dans ses mains l'agrément de Sa Majesté que l'on attend par ce courrier. Figaro, tirant un paquet de sa poche, s'écrie vivement L'agrément du Roi? le voici. J'avais prévu le coup je viens, de votre part, d'enlever le paquet au secrétariat d'ambassade. Le courrier d'Espagne arrivait! Le Comte, avec vivacité, prend le paquet. Bégearss, furieux, frappe sur son front, fait deux pas pour sortir, et se retourne. Adieu, famille abandonnée, maison sans moeurs et sans honneur! Vous aurez l'impudeur de conclure un mariage abominable, en unissant le frÚre avec sa soeur mais l'univers saura votre infamie! Il sort. Scene VIII et derniÚre. - Les Précédents, excepté Bégearss. Figaro, follement. Qu'il fasse des libelles, derniÚre ressource des lùches! il n'est plus dangereux. Bien démasqué, à bout de voie, et pas vingt-cinq louis dans le monde! Ah! monsieur Fal, je me serais poignardé s'il eût gardé les deux mille louis qu'il avait soustraits du paquet! Il reprend un ton grave. D'ailleurs, nul ne sait mieux que lui, que, par la nature et la loi, ces jeunes gens ne se sont rien, qu'ils sont étrangers l'un à l'autre. Le Comte, l'embrasse et crie O Figaro!... Madame, il a raison. Léon, trÚs vite. Dieux! maman! quel espoir! Florestine, au Comte. Eh quoi! monsieur, n'ÃÂȘtes-vous plus?... Le Comte, ivre de joie. Mes enfants, nous y reviendrons; et nous consulterons, sous des noms supposés, des gens de loi discrets, éclairés, pleins d'honneur. O mes enfants! Il vient un ùge oÃÂč les honnÃÂȘtes gens se pardonnent leurs torts, leurs anciennes faiblesses, font succéder un doux attachement aux passions orageuses qui les avaient trop désunis. Rosine c'est le nom que votre époux vous rend allons nous reposer des fatigues de la journée. Monsieur Fal! restez avec nous. Venez, mes deux enfants! Suzanne, embrasse ton mari! et que nos sujet de querelles soient ensevelis pour toujours! A Figaro. Les deux mille louis qu'il avait soustraits, je te les donne, en attendant la récompense qui t'est bien due! Figaro, vivement. A moi, monsieur? Non, s'il vous plaÃt! moi, gùter par un vil salaire le bon service que j'ai fait! Ma récompense est de mourir chez vous. Jeune, si j'ai failli souvent, que ce jour acquitte ma vie! O ma vieillesse, pardonne à ma jeunesse; elle s'honorera de toi. Un jour a changé notre état! plus d'oppresseur, d'hypocrite insolent; chacun a bien fait son devoir. Ne plaignons point quelques moments de trouble; on gagne assez dans les familles, quand on en expulse un méchant. FIN DU CINQUIEME ET DERNIER ACTE. Le Barbier de Séville ou La précaution inutile Lettre modérée sur la chute et la critique du Barbier de Séville L'auteur vÃÂȘtu modestement et courbé présentant sa piÚce au lecteur Monsieur, J'ai l'honneur de vous offrir un nouvel opuscule de ma façon. Je souhaite vous rencontrer dans un de ces moments heureux oÃÂč, dégagé de soins, content de votre santé, de vos affaires, de votre maÃtresse, de votre dÃner, de votre estomac, vous puissiez vous plaire un moment à la lecture de mon Barbier de Séville; car il faut tout cela pour ÃÂȘtre homme amusable et lecteur indulgent. Mais si quelque accident a dérangé votre santé; si votre état est compromis; si votre belle a forfait à ses serments; si votre dÃner fut mauvais ou votre digestion laborieuse, ah! laissez mon Barbier; ce n'est pas là l'instant examinez l'état de vos dépenses, étudiez le factum de votre adversaire, relisez ce traÃtre billet surpris à Rose, ou parcourez les chefs-d'oeuvre de Tissot sur la tempérance, et faites des réflexions politiques, économiques, diététiques, philosophiques ou morales. Ou si votre état est tel qu'il vous faille absolument l'oublier, enfoncez-vous dans une bergÚre, ouvrez le journal établi dans Bouillon avec encyclopédie, approbation et privilÚge, et dormez vite une heure ou deux. Quel charme aurait une production légÚre au milieu des plus noires vapeurs? Et que vous importe en effet si Figaro le barbier s'est bien moqué de Bartholo le médecin, en aidant un rival à lui souffler sa maÃtresse? On rit peu de la gaieté d'autrui, quand on a de l'humeur pour son propre compte. Que vous fait encore si ce barbier espagnol, en arrivant dans Paris, essuya quelques traverses, et si la prohibition de ses exercices a donné trop d'importance aux rÃÂȘveries de mon bonnet? On ne s'intéresse guÚre aux affaires des autres que lorsqu'on est sans inquiétude sur les siennes. Mais enfin tout va-t-il bien pour vous? Avez-vous à souhait double estomac, bon cuisinier, maÃtresse honnÃÂȘte et repos imperturbable? Ah! parlons, parlons donnez audience à mon Barbier. Je sens trop, monsieur, que ce n'est plus le temps oÃÂč, tenant mon manuscrit en réserve, et semblable à la coquette qui refuse souvent ce qu'elle brûle toujours d'accorder, j'en faisais quelque avare lecture à des gens préférés, qui croyaient devoir payer ma complaisance par un éloge pompeux de mon ouvrage. O jours heureux! Le lieu, le temps, l'auditoire à ma dévotion, et la magie d'une lecture adroite assurant mon succÚs, je glissais sur le morceau faible en appuyant les bons endroits; puis, recueillant les suffrages du coin de l'oeil avec une orgueilleuse modestie, je jouissais d'un triomphe d'autant plus doux, que le jeu d'un fripon d'acteur ne m'en dérobait pas les trois quarts pour son compte. Que reste-t-il, hélas! de toute cette gibeciÚre? A l'instant qu'il faudrait des miracles pour vous subjuguer, quand la verge de Moïse y suffirait à peine, je n'ai plus mÃÂȘme la ressource du bùton de Jacob; plus d'escamorage, de tricherie de coquetterie, d'inflexions de voix, d'illusion théùtrale, rien. C'est ma vertu toute nue que vous allez juger. Ne trouvez donc pas étrange, monsieur, si, mesurant mon style à ma situation, je ne fais pas comme ces écrivains qui se donnent le ton de vous appeler négligemment lecteur, ami lecteur, cher lecteur, bénin ou benoÃt lecteur, ou de telle autre dénomination cavaliÚre, je dirais mÃÂȘme indécente, par laquelle ces imprudents essayent de se mettre au pair avec leur juge, et qui ne fait bien souvent que leur en attirer l'animadversion J'ai toujours vu que les airs ne séduisaient personne, et que le ton modeste d'un auteur pouvait seul inspirer un peu d'indulgence à son fier lecteur. Eh! quel écrivain en eut jamais plus besoin que moi? Je voudrais le cacher en vain; j'eus la faiblesse autrefois, monsieur, de vous présenter, en différents temps, deux tristes drames; productions monstrueuses, comme on sait! car entre la tragédie et la comédie, on n'ignore plus qu'il n'existe rien, c'est un point décidé, le maÃtre l'a dit, l'école en retentit et pour moi, j'en suis tellement convaincu que si je voulais aujourd'hui mettre au théùtre une mÚre éplorée, une épouse trahie, une soeur éperdue, un fils déshérité, pour les présenter décemment au public, je commencerais par leur supposer un beau royaume oÃÂč ils auraient régné de leur mieux, vers l'un des archipels, ou dans tel autre coin du monde; certain aprÚs cela que l'invraisemblance du roman, l'énormité des faits, l'enflure des caractÚres, le gigantesque des idées et la bouffissure du langage, loin de m'ÃÂȘtre imputés à reproche, assureraient encore mon succÚs. Présenter des hommes d'une condition moyenne accablés et dans le malheur! fi donc! On ne doit jamais les montrer que bafoués. Les citoyens ridicules et les rois malheureux, voilà tout le théùtre existant et possible; et je me le tiens pour dit, c'est fait, je ne veux plus quereller avec personne. J'ai donc eu la faiblesse autrefois, monsieur, de faire des drames qui n'étaient pas du bon genre; et je m'en repens beaucoup. Pressé depuis par les événements, j'ai hasardé de malheureux Mémoires, que mes ennemis n'ont pas trouvés du bon style, et j'en ai le remords cruel. Aujourd'hui je fais glisser sous vos yeux une comédie fort gaie, que certains maÃtres de goût n'estiment pas du bon ton; et je ne m'en console point. Peut-ÃÂȘtre un jour oserai-je affliger votre oreille d'un opéra dont les jeunes gens d'autrefois diront que la musique n'est pas du bon français; et j'en suis tout honteux d'avance. Ainsi, de fautes en pardons, et d'erreurs en excuses, je passerai ma vie à mériter votre indulgence par la bonne foi naïve avec laquelle je reconnaÃtrai les unes en vous présentant les autres. Quant au Barbier de Séville, ce n'est pas pour corrompre votre jugement que je prends ici le ton respectueux mais on m'a fort assuré que lorsqu'un auteur était sorti, quoique échiné, vainqueur au théùtre, il ne lui manquait plus que d'ÃÂȘtre agréé par vous, monsieur, et lacéré dans quelques journaux, pour avoir obtenu tous les lauriers littéraires. Ma gloire est donc certaine, si vous daignez m'accorder le laurier de votre agrément, persuadé que plusieurs de messieurs les journalistes ne me refuseront pas celui de leur dénigrement. Déjà l'un d'eux, établi dans Bouillon avec approbation et privilÚge, m'a fait l'honneur encyclopédique d'assurer à ses abonnés que ma piÚce était sans plan, sans unité, sans caractÚres, vide d'intrigue et dénuée de comique. Un autre plus naïf encore, à la vérité sans approbation, sans privilÚge, et mÃÂȘme sans encyclopédie, aprÚs un candide exposé de mon drame, ajoute au laurier de sa critique cet éloge flatteur de ma personne "La réputation du sieur de Beaumarchais est bien tombée; et les honnÃÂȘtes gens sont enfin convaincus que, lorsqu'on lui aura arraché les plumes du paon, il ne restera plus qu'un vilain corbeau noir, avec son effronterie et sa voracité." Puisqu'en effet j'ai eu l'effronterie de faire la comédie du Barbier de Séville, pour remplir l'horoscope entier, je pousserai la voracité jusqu'à vous prier humblement, monsieur, de me juger vous-mÃÂȘme, et sans égard aux critiques passés, présents et futurs; car vous savez que, par état, les gens de feuilles sont souvent ennemis des gens de lettres; j'aurai mÃÂȘme la voracité de vous prévenir qu'étant saisi de mon affaire, il faut que vous soyez mon juge absolument, soit que vous le vouliez ou non; car vous ÃÂȘtes mon lecteur. Et vous sentez bien, monsieur, que si, pour éviter ce tracas ou me prouver que je raisonne mal, vous refusiez constamment de me lire, vous feriez vous-mÃÂȘme une pétition de principe au-dessous de vos lumiÚres n'étant pas mon lecteur, vous ne seriez pas celui à qui s'adresse ma requÃÂȘte. Que si, par dépit de la dépendance oÃÂč je parais vous mettre, vous vous avisiez de jeter le livre en cet instant de votre lecture, c'est, monsieur, comme si, au milieu de tout autre jugement, vous étiez enlevé du tribunal par la mort, ou tel accident qui vous rayùt du nombre des magistrats. Vous ne pouvez éviter de me juger qu'en devenant nul, négatif, anéanti, qu'en cessant d'exister en qualité de mon lecteur. Eh! quel tort vous fais-je en vous élevant au-dessus de moi? AprÚs le bonheur de commander aux hommes, le plus grand honneur, monsieur, n'est-il pas de les juger? Voilà donc qui est arrangé. Je ne reconnais plus d'autre juge que vous; sans excepter messieurs les spectateurs, qui ne jugeant qu'en premier ressort, voient souvent leur sentence infirmée à votre tribunal. L'affaire avait d'abord été plaidée devant eux au théùtre; et, ces messieurs ayant beaucoup ri, j'ai pu penser que j'avais gagné ma cause à l'audience. Point du tout; le journaliste établi dans Bouillon prétend que c'est de moi qu'on a ri. Mais ce n'est là , monsieur, comme on dit en style de palais, qu'une mauvaise chicane de procureur mon but ayant été d'amuser les spectateurs, qu'ils aient ri de ma piÚce ou de moi, s'ils ont ri de bon coeur, le but est également rempli ce que j'appelle avoir gagné ma cause à l'audience. Le mÃÂȘme journaliste assure encore, ou du moins laisse entendre que j'ai voulu gagner quelques-uns de ces messieurs, en leur faisant des lectures particuliÚres, en achetant d'avance leur suffrage par cette prédilection. Mais ce n'est encore là , monsieur, qu'une difficulté de publiciste allemand. Il est manifeste que mon intention n'a jamais été que de les instruire c'étaient des espÚces de consultations que je faisais sur le fond de l'affaire. Que si les consultants, aprÚs avoir donné leur avis, se sont mÃÂȘlés parmi les juges, vous voyez bien, monsieur, que je n'y pouvais rien de ma part, et que c'était à eux de se récuser par délicatesse, s'ils se sentaient de la partialité pour mon barbier andalou. Eh! plût au ciel qu'ils en eussent un peu conservé pour ce jeune étranger! Nous aurions eu moins de peine à soutenir notre malheur éphémÚre. Tels sont les hommes avez-vous du succÚs, ils vous accueillent, vous portent, vous caressent, ils s'honorent de vous; mais gardez de broncher dans la carriÚre au moindre échec, Î mes amis! Souvenez-vous qu'il n'est plus d'amis. Et c'est précisément ce qui nous arriva le lendemain de la plus triste soirée. Vous eussiez vu les faibles amis du Barbier se disperser, se cacher le visage ou s'enfuir les femmes, toujours si braves quand elles protÚgent, enfoncées dans les coqueluchons jusqu'aux panaches, et baissant des yeux confus; les hommes courant se visiter, se faire amende honorable du bien qu'ils avaient dit de ma piÚce, et rejetant sur ma maudite façon de lire les choses tout le faux plaisir qu'ils y avaient goûté. C'était une désertion totale, une vraie désolation. Les uns lorgnaient à gauche, en me sentant passer à droite et ne faisaient plus semblant de me voir ah! dieux! D'autres, plus courageux, mais s'assurant bien si personne ne les regardait, m'attiraient dans un coin pour me dire "Eh! comment avez-vous produit en nous cette illusion? car, il faut en convenir, mon ami, votre piÚce est la plus grande platitude du monde. - Hélas! messieurs, j'ai lu ma platitude, en vérité, tout platement comme je l'avais faite; mais, au nom de la bonté que vous avez de me parler encore aprÚs ma chute, et pour l'honneur de votre second jugement, ne souffrez pas qu'on redonne la piÚce au théùtre si, par malheur, on venait à la jouer comme je l'ai lue, on vous ferait peut-ÃÂȘtre une nouvelle tromperie, et vous vous en prendriez à moi de ne plus savoir quel jour vous eûtes raison ou tort; ce qu'à Dieu ne plaise!" On ne m'en crut point; on laissa rejouer la piÚce, et pour le coup je fus prophÚte en mon pays. Ce pauvre Figaro, fessé par la cabale en faux-bourdon, et presque enterré le vendredi ne fit point comme Candide; il prit courage, et mon héros se releva le dimanche avec une vigueur que l'austérité d'un carÃÂȘme entier et la fatigue de dix-sept séances publiques n'ont pas encore altérée. Mais qui sait combien cela durera? Je ne voudrais pas jurer qu'il en fût seulement question dans cinq ou six siÚcles, tant notre nation est inconstante et légÚre! Les ouvrages de théùtre, monsieur, sont comme les enfants des hommes. Conçus avec volupté, menés à terme avec fatigue, enfantés avec douleur, et vivant rarement assez pour payer les parents de leurs soins, ils coûtent plus de chagrins qu'ils ne donnent de plaisirs. Suivez-les dans leur carriÚre à peine ils voient le jour, que, sous prétexte d'enflure, on leur applique les censeurs; plusieurs en sont restés en chartre. Au lieu de jouer doucement avec eux, le cruel parterre les rudoie et les fait tomber. Souvent, en les berçant, le comédien les estropie. Les perdez-vous un instant de vue, on les trouve, hélas! traÃnant partout, mais dépenaillés, défigurés, rouges d'extraits et couverts de critiques. Echappés à tant de maux, s'ils brillent un moment dans le monde, le plus grand de tous les atteint le mortel oubli les tue; ils meurent, et, replongés au néant, les voilà perdus à jamais dans l'immensité des livres. Je demandais à quelqu'un pourquoi ces combats, cette guerre animée entre le parterre et l'auteur, à la premiÚre représentation des ouvrages, mÃÂȘme de ceux qui devaient plaire un autre jour. "Ignorez-vous, me dit-il, que Sophocle et le vieux Denys sont morts de joie d'avoir remporté le prix des vers au théùtre? Nous aimons trop nos auteurs pour souffrir qu'un excÚs de joie nous prive d'eux, en les étouffant aussi, pour les conserver, avons-nous grand soin que leur triomphe ne soit jamais si pur qu'ils puissent en expirer de plaisir." Quoi qu'il en soit des motifs de cette rigueur, l'enfant de mes loisirs, ce jeune, cet innocent Barbier, tarit dédaigné le premier jour, loin d'abuser le surlendemain de son triomphe, ou de montrer de l'humeur à ses critiques, ne s'en est que plus empressé de les désarmer par l'enjouement de son caractÚre. Exemple rare et frappant, monsieur, dans un siÚcle d'ergotisme, oÃÂč l'on calcule tout jusqu'au rire; oÃÂč la plus légÚre diversité d'opinions fait germer les bonnes éternelles; oÃÂč tous les jeux tournent en guerre; oÃÂč l'injure qui repousse l'injure est à son tour payée par l'injure, jusqu'à ce qu'une autre effaçant cette derniÚre en enfante une nouvelle, auteur de plusieurs autres, et propage ainsi l'aigreur à l'infini, depuis le rire jusqu'à la satiété, jusqu'au dégoût, à l'indignation mÃÂȘme du lecteur le plus caustique. Quant à moi, monsieur, s'il est vrai, comme on l'a dit, que tous les hommes soient frÚres et c'est une belle idée, je voudrais qu'on pût engager nos frÚres les gens de lettres à laisser, en discutant, le ton rogue et tranchant à nos frÚres les libellistes qui s'en acquittent si bien! ainsi que les injures à nos frÚres les plaideurs... qui ne s'en acquittent pas mal non plus! Je voudrais surtout qu'on pût engager nos frÚres les journalistes à renoncer à ce ton pédagogue et magistral avec lequel ils gourmandent les fils d'Apollon, et font rire la sottise aux dépens de l'esprit. Ouvrez un journal ne semble-t-il pas voir un dur répétiteur, la férule ou la verge levée sur des écoliers négligents, les traiter en esclaves au plus léger défaut dans le devoir? Eh! mes frÚres, il s'agit bien de devoir ici! la littérature en est le délassement et la douce récréation. A mon égard au moins, n'espérez pas asservir dans ses jeux mon esprit à la rÚgle il est incorrigible, et, la classe du devoir une fois fermée, il devient si léger et badin que je ne puis que jouer avec lui. Comme un liÚge emplumé qui bondit sur la raquette, il s'élÚve, il retombe, il égaye mes yeux, repart en l'air, y fait la roue, et revient encore. Si quelque joueur adroit veut entrer en partie et ballotter à nous deux le léger volant de mes pensées, de tout mon coeur; s'il riposte avec grùce et légÚreté, le jeu m'amuse et la partie s'engage. Alors on pourrait voir les coups portés, parés, reçus, rendus, accélérés, pressés, relevés mÃÂȘme avec une prestesse, une agilité propre à réjouir autant les spectateurs qu'elle animerait les acteurs. Telle au moins, monsieur, devrait ÃÂȘtre la critique; et c'est ainsi que j'ai toujours conçu la dispute entre les gens polis qui cultivent les lettres. Voyons, je vous prie, si le journaliste de Bouillon a conservé dans sa critique ce caractÚre aimable et surtout de candeur pour lequel on vient de faire des voeux. "La piÚce est une farce", dit-il. Passons sur les qualités. Le méchant nom qu'un cuisinier étranger donne aux ragoûts français ne change rien à leur saveur c'est en passant par ses mains qu'ils se dénaturent. Analysons la farce de Bouillon. "La piÚce, a-t-il dit, n'a pas de plan." Est-ce parce qu'il est trop simple qu'il échappe à la sagacité de ce critique adolescent? Un vieillard amoureux prétend épouser demain sa pupille; un jeune amant plus adroit le prévient, et ce jour mÃÂȘme en fait sa femme à la barbe et dans la maison du tuteur. Voilà le fond, dont un eût pu faire, avec un égal succÚs, une tragédie, une comédie, un drame, un opéra, et caetera. L'Avare de MoliÚre est-il autre chose? le grand Mithridate est-il autre chose? Le genre d'une piÚce, comme celui de toute autre action, dépend moins du fond des choses que des caractÚres qui les mettent en oeuvre. Quant à moi, ne voulant faire, sur ce plan, qu'une piÚce amusante et sans fatigue, une espÚce d'imbroille, il m'a suffi que le machiniste au lieu d'ÃÂȘtre un noir scélérat, fût un drÎle de garçon, un homme insouciant, qui rit également du succÚs et de la chute de ses entreprises, pour que l'ouvrage, loin de tourner en drame sérieux, devÃnt une comédie fort gaie et de cela seul que le tuteur est un peu moins sot que tous ceux qu'on trompe au théùtre, il est résulté beaucoup de mouvement dans la piÚce, et surtout la nécessité d'y donner plus de ressort aux intrigants. Au lieu de rester dans ma simplicité comique, si j'avais voulu compliquer, étendre et tourmenter mon plan à la maniÚre tragique ou dramique, imagine-t-on que j'aurais manqué de moyens dans une aventure dont je n'ai mis en scÚnes que la partie la moins merveilleuse? En effet, personne aujourd'hui n'ignore qu'à l'époque historique oÃÂč la piÚce finit gaiement dans mes mains, la querelle commença sérieusement à s'échauffer, comme qui dirait derriÚre la toile, entre le docteur et Figaro, sur les cent écus. Des injures on en vint aux coups. Le docteur, étrillé par Figaro, fit tomber, en se débattant, le rescille ou filet qui coiffait le barbier; et l'on vit, non sans surprise, une forme de spatule imprimée à chaud sur sa tÃÂȘte rasée. Suivez-moi, monsieur, je vous prie. A cet aspect, moulu de coups en qu'il est, le médecin s'écrie avec transport "Mon fils! Î ciel, mon fils! mon cher fils!..." Mais avant que Figaro l'entende, il a redoublé de horions sur son cher pÚre. En effet, ce l'était. Ce Figaro, qui pour toute famille avait jadis connu sa mÚre, est fils naturel de Bartholo. Le médecin, dans sa jeunesse, eut cet enfant d'une personne en condition, que les suites de son imprudence firent passer du service au plus affreux abandon. Mais avant de les quitter, le désolé Bartholo, frater alors, a fait rougir sa spatule; il en a timbré son fils à l'occiput, pour le reconnaÃtre un jour, si jamais le sort les rassemble. La mÚre et l'enfant avaient passé six années dans une honorable mendicité; lorsqu'un chef de bohémiens, descendu de Luc Gauric, traversant l'Andalousie avec sa troupe, et consulté par la mÚre sur le destin de son fils, déroba l'enfant furtivement, et laissa par écrit cet horoscope à sa place AprÚs avoir versé le sang dont il est né, Ton fils assommera son pÚre infortuné; Puis, tournant sur lui-mÃÂȘme et le fer et le crime, Il se frappe, et devient heureux et légitime. En changeant d'état sans le savoir, l'infortuné jeune homme a changé de nom sans le vouloir; il s'est élevé sous celui de Figaro il a vécu. Sa mÚre est cette Marceline, devenue vieille et gouvernante chez le docteur, que l'affreux horoscope de son fils a consolé de sa perte. Mais aujourd'hui tout s'accomplit. En saignant Marceline au pied, comme on le voit dans ma piÚce, ou plutÎt comme on ne l'y voit pas, Figaro remplit le premier vers AprÚs avoir versé le sang dont il est né, Quand il étrille innocemment le docteur, aprÚs la toile tombée, il accomplit le second vers Ton fils assommera son pÚre infortuné; A l'instant, la plus touchante reconnaissance a lieu entre le médecin, la vieille et Figaro C'est vous! C'est lui! C'est toi! C'est moi! Quel coup de théùtre! Mais le fils, au désespoir de son innocente vivacité, fond en larmes, et se donne un coup de rasoir, selon le sens du troisiÚme vers Puis tournant sur lui-mÃÂȘme et le fer et le crime, Il se frappe, et... Quel tableau! En n'expliquant point si, du rasoir, il se coupe la gorge ou seulement le poil du visage, on voit que j'avais le choix de finir ma piÚce au plus grand pathétique. Enfin, le docteur épouse la vieille; et Figaro, suivant la derniÚre leçon, ... devient heureux et légitime. Quel dénouement! Il ne m'en eût coûté qu'un sixiÚme acte! Eh, quel sixiÚme acte! Jamais tragédie au Théùtre-Français... Il suffit. Reprenons ma piÚce à l'état oÃÂč elle a été jouée et critiquée. Lorsqu'on me reproche avec aigreur ce que j'ai fait, ce n'est pas l'instant de louer ce que j'aurais pu faire. "La piÚce est invraisemblable dans sa conduite", a dit encore le journaliste établi dans Bouillon avec approbation et privilÚge. - Invraisemblable? Examinons cela par plaisir. Son Excellence M. le Comte Almaviva, dont j'ai, depuis longtemps, l'honneur d'ÃÂȘtre ami particulier, est un jeune seigneur, ou, pour mieux dire, était; car l'ùge et les grands emplois en ont fait depuis un homme fort grave, ainsi que je le suis devenu moi-mÃÂȘme. Son Excellence était donc un jeune seigneur espagnol, vif, ardent, comme tous les amants de sa nation, que l'on croit froide et qui n'est que paresseuse. Il s'était mis secrÚtement à la poursuite d'une belle personne qu'il avait entrevue à Madrid, et que son tuteur a bientÎt ramenée au lieu de sa naissance. Un matin qu'il se promenait sous ses fenÃÂȘtres à Séville, oÃÂč, depuis huit jours, il cherchait à s'en faire remarquer, le hasard conduisit au mÃÂȘme endroit Figaro le barbier. - Ah! le hasard, dira mon critique et si le hasard n'eût pas conduit ce jour-là le barbier dans cet endroit, que devenait la piÚce? - Elle eût commencé, mon frÚre, à quelque autre époque. - Impossible, puisque le tuteur, selon vous-mÃÂȘme, épousait le lendemain. - Alors il n'y aurait pas eu de piÚce; ou, s'il y en avait eu, mon frÚre, elle aurait été différente. Une chose est-elle invraisemblable, parce qu'elle était possible autrement? Réellement vous avez un peu d'humeur. Quand le cardinal de Retz nous dit froidement; "Un jour j'avais besoin d'un homme; à la vérité, je ne voulais qu'un fantÎme j'aurais désiré qu'il fût petit-fils de Henri le Grand; qu'il eût de longs cheveux blonds; qu'il fût beau, bien fait, bien séditieux, qu'il eût le langage et l'amour des halles; et voilà que le hasard me fait rencontrer à Paris M. de Beaufort, échappé de la prison du roi c'était justement l'homme qu'il me fallait"; va-t-on dire au coadjuteur "Ah! le hasard! Mais si vous n'eussiez pas rencontré M. de Beaufort? Mais ceci, mais cela?" Le hasard donc conduisit en ce mÃÂȘme endroit Figaro le barbier, beau diseur, mauvais poÚte, hardi musicien, grand fringueneur de guitare, et jadis valet de chambre du Comte, établi dans Séville, y faisant avec succÚs des barbes, des romances et des mariages; y maniant également le fer du phlébotome et le piston du pharmacien; la terreur des maris, la coqueluche des femmes, et justement l'homme qu'il nous fallait. Et comme en toute recherche ce qu'on nomme passion n'est autre chose qu'un désir irrité par la contradiction, le jeune amant, qui n'eût peut-ÃÂȘtre eu qu'un goût de fantaisie pour cette beauté s'il l'eût rencontrée dans le monde, en devient amoureux parce qu'elle est enfermée, au point de faire l'impossible pour l'épouser. Mais vous donner ici l'extrait entier de la piÚce, monsieur, serait douter de la sagacité, de l'adresse avec laquelle vous saisirez le dessein de l'auteur, et suivrez le fil de l'intrigue, à travers un léger dédale. Moins prévenu que le journal de Bouillon, qui se trompe, avec approbation et privilÚge, sur toute la conduite de cette piÚce, vous verrez que tous les soins de l'amant ne sont pas destinés à remettre simplement une lettre, qui n'est là qu'un léger accessoire à l'intrigue, mais bien à s'établir dans un fort défendu par la vigilance et le soupçon, surtout à tromper un homme qui, sans cesse éventant la manoeuvre, oblige l'ennemi de se retourner assez lestement pour n'ÃÂȘtre pas désarçonné d'emblée. Et lorsque vous verrez que tout le mérite du dénouement consiste en ce que le tuteur a fermé sa porte, en donnant son passe-partout à Bazile, pour que lui seul et le notaire pussent entrer et conclure son mariage, vous ne laisserez pas d'ÃÂȘtre étonné qu'un critique aussi équitable se joue de la confiance de son lecteur, ou se trompe, au point d'écrire, et dans Bouillon encore Le Comte s'est donné la peine de monter au balcon par une échelle avec Figaro, quoique la porte ne soit pas fermée. Enfin, lorsque vous verrez le malheureux tuteur, abusé par toutes les précautions qu'il prend pour ne le point ÃÂȘtre, à la fin forcé de signer au contrat du Comte et d'approuver ce qu'il n'a pu prévenir, vous laisserez au critique à décider si ce tuteur était un imbécile, de ne pas deviner une intrigue dont on lui cachait tout, lorsque lui, critique, à qui l'on ne cachait rien, ne l'a pas devinée plus que le tuteur. En effet, s'il l'eût bien conçue, aurait-il manqué de louer tous les beaux endroits de l'ouvrage? Qu'il n'ait point remarqué la maniÚre dont le premier acte annonce et déploie avec gaieté tous les caractÚres de la piÚce, on peut lui pardonner. Qu'il n'ait pas aperçu quelque peu de comédie dans la grande scÚne du second acte, oÃÂč, malgré la défiance et la fureur du jaloux, la pupille parvient à lui donner le change sur une lettre remise en sa présence, et à lui faire demander pardon à genoux du soupçon qu'il a montré, je le conçois encore aisément. Qu'il n'ait pas dit un seul mot de la scÚne de stupéfaction de Bazile au troisiÚme acte, qui a paru si neuve au théùtre, et a tant réjoui les spectateurs, je n'en suis point surpris du tout. Passe encore qu'il n'ait pas entrevu l'embarras oÃÂč l'auteur s'est jeté volontairement au dernier acte, en faisant avouer par la pupille à son tuteur que le Comte avait dérobé la clef de sa jalousie; et comment l'auteur s'en démÃÂȘle en deux mots et sort, en se jouant, de la nouvelle inquiétude qu'il a imprimée aux spectateurs. C'est peu de chose en vérité. Je veux bien qu'il ne lui soit pas venu à l'esprit que la piÚce, une des plus gaies qui soient au théùtre, est écrite sans la moindre équivoque, sans une pensée, un seul mot dont la pudeur, mÃÂȘme des petites loges, ait à s'alarmer; ce qui pourtant est bien quelque chose, monsieur, dans un siÚcle oÃÂč l'hypocrisie de la décence est poussée presque aussi loin que le relùchement des moeurs. TrÚs volontiers. Tout cela sans doute pouvait n'ÃÂȘtre pas digne de l'attention d'un critique aussi majeur. Mais comment n'a-t-il pas admiré ce que tous les honnÃÂȘtes gens n'ont pu voir sans répandre des larmes de tendresse et de plaisir? Je veux dire la piété filiale de ce bon Figaro, qui ne saurait oublier sa mÚre! Tu connais donc ce tuteur? lui dit le Comte au premier acte. Comme ma mÚre, répond Figaro. Un avare aurait dit; Comme mes poches. Un petit-maÃtre eût répondu Comme moi-mÃÂȘme; un ambitieux Comme le chemin de Versailles; et le journaliste de Bouillon Comme mon libraire; les comparaisons de chacun se tirant toujours de l'objet intéressant. Comme ma mÚre, a dit le fils tendre et respectueux. Dans un autre endroit encore Ah! vous ÃÂȘtes charmant! lui dit le tuteur. Et ce bon, cet honnÃÂȘte garçon qui pouvait gaiement assimiler cet éloge à tous ceux qu'il a reçus de ses maÃtresses, en revient toujours à sa bonne mÚre, et répond à ce mot Vous ÃÂȘtes charmant! - Il est vrai, monsieur, que ma mÚre me l'a dit autrefois. Et le journal de Bouillon ne relÚve point de pareils traits! Il faut avoir le cerveau bien desséché pour ne les pas voir, ou le coeur bien dur pour ne pas les sentir. Sans compter mille autres finesses de l'art répandues à pleines mains dans cet ouvrage. Par exemple, on sait que les comédiens ont multiplié chez eux les emplois à l'infini emplois de grande, moyenne et petite amoureuse; emplois de grands, moyens et petits valets; emplois de niais, d'important, de croquant, de paysan, de tabellion, de bailli mais on sait qu'ils n'ont pas encore appointé celui de bùillant. Qu'a fait l'auteur pour former un comédien peu exercé au talent d'ouvrir largement la bouche au théùtre? Il s'est donné le soin de lui rassembler, dans une seule phrase, toutes les syllabes bùillantes du français Rien... qu'en... l'en... ten... dant... parler syllabes, en effet, qui feraient bùiller un mort, et parviendraient à desserrer les dents mÃÂȘme de l'envie! En cet endroit admirable oÃÂč, pressé par les reproches du tuteur qui lui crie Que direz-vous à ce malheureux qui bùille et dort tout éveillé? Et l'autre qui, depuis trois heures, éternue à se faire sauter le crùne et jaillir la cervelle? Que leur direz-vous? Le naïf barbier répond Eh! parbleu, je dirai à celui qui éternue Dieu vous bénisse! et Va te coucher à celui qui bùille. Réponse en effet si juste, si chrétienne et si admirable, qu'un de ces fiers critiques qui ont leurs entrées au paradis n'a pu s'empÃÂȘcher de s'écrier "Diable! l'auteur a dû rester au moins huit jours à trouver cette réplique!" Et le journal de Bouillon, au lieu de louer ces beautés sans nombre, use encre et papier, approbation et privilÚge, à mettre un pareil ouvrage au-dessous mÃÂȘme de la critique! On me couperait le cou, monsieur, que je ne saurais m'en taire. N'a-t-il pas été jusqu'à dire, le cruel! que, pour ne pas voir expirer ce Barbier sur le théùtre, il a fallu le mutiler, le changer, le refondre, l'élaguer, le réduire en quatre actes, et le purger d'un grand nombre de pasquinades, de calembours, de jeux de mots, en un mot, de bas comique? A le voir ainsi frapper comme un sourd, on juge assez qu'il n'a pas entendu le premier mot de l'ouvrage qu'il décompose. Mais j'ai l'honneur d'assurer ce journaliste, ainsi que le jeune homme qui lui taille ses plumes et ses morceaux, que loin d'avoir purgé la piÚce d'aucun des calembours, jeux de mots, etc., qui lui eussent nui le premier jour, l'auteur a fait rentrer dans les actes restés au théùtre tout ce qu'il en a pu reprendre à l'acte au portefeuille tel un charpentier économe cherche, dans ses copeaux épars sur le chantier, tout ce qui peut servir à cheviller et boucher les moindres trous de son ouvrage. Passerons-nous sous silence le reproche aigu qu'il fait à la jeune personne, d'avoir sous les défauts d'une fille mal élevée? Il est vrai que, pour échapper aux conséquences d'une telle imputation, il tente à la rejeter sur autrui, comme s'il n'en était pas l'auteur, en employant cette expression banale; On trouve à la jeune personne, etc. On trouve!... Que voulait-il donc qu'elle fÃt? Quoi! qu'au lieu de se prÃÂȘter aux vues d'un jeune amant trÚs aimable et qui se trouve un homme de qualité, notre charmante enfant épousùt le vieux podagre médecin? Le noble établissement qu'il lui destinait là ! Et parce qu'on n'est pas de l'avis de monsieur, on a tous les défauts d'une fille mal élevée! En vérité si le journal de Bouillon se fait des amis en France par la justesse et la candeur de ses critiques, il faut avouer qu'il en aura beaucoup moins au-delà des Pyrénées, et qu'il est surtout un peu bien dur pour les dames espagnoles. Eh! qui sait si Son Excellence madame la comtesse Almaviva, l'exemple des femmes de son état, et vivant comme un ange avec son mari, quoiqu'elle ne l'aime plus, ne se ressentira pas un jour des libertés qu'on se donne à Bouillon sur elle avec approbation et privilÚge? L'imprudent journaliste a-t-il au moins réfléchi que Son Excellence, ayant, par le rang de son mari, le plus grand crédit dans les bureaux, eût pu lui faire obtenir quelque pension sur la Gazette d'Espagne, ou la Gazette elle-mÃÂȘme; et que, dans la carriÚre qu'il embrasse, il faut garder plus de ménagements pour les femmes de qualité? Qu'est-ce que cela me fait, à moi? L'on sent bien que c'est pour lui seul que j'en parle. Il est temps de laisser cet adversaire, quoiqu'il soit à la tÃÂȘte des gens qui prétendent que, n'ayant pu me soutenir en cinq actes, je me suis mis en quatre pour ramener le public. Et quand cela serait! Dans un moment d'oppression, ne vaut-il pas mieux sacrifier un cinquiÚme de son bien que de le voir aller tout entier au pillage? Mais ne tombez pas, cher lecteur... monsieur, veux-je dire, ne tombez pas, je vous prie, dans une erreur populaire qui ferait grand tort à votre jugement. Ma piÚce, qui paraÃt n'ÃÂȘtre aujourd'hui qu'en quatre actes, est réellement et de fait, en cinq, qui sont le premier, le deuxiÚme, le troisiÚme, le quatriÚme et le cinquiÚme, à l'ordinaire. Il est vrai que, le jour du combat, voyant les ennemis acharnés, le parterre ondulant, agité, grondant au loin comme les flots de la mer, et trop certain que ces mugissements sourds, précurseurs des tempÃÂȘtes, ont amené plus d'un naufrage, je vins à réfléchir que beaucoup de piÚces en cinq actes comme la mienne, toutes trÚs bien faites d'ailleurs comme la mienne, n'auraient pas été au diable en entier comme la mienne, si l'auteur eût pris un parti vigoureux comme le mien. Le dieu des cabales est irrité, dis-je aux comédiens avec force Enfants! un sacrifice est ici nécessaire. Alors, faisant la part au diable, et déchirant mon manuscrit - Dieu des siffleurs, moucheurs, cracheurs, tousseurs et perturbateurs, m'écriai-je, il te faut du sang; bois mon quatriÚme acte, et que ta fureur s'apaise! A l'instant vous eussiez vu ce bruit infernal, qui faisait pùlir et broncher les acteurs, s'affaiblir, s'éloigner, s'anéantir; l'applaudissement lui succéder, et des bas-fonds du parterre un bravo général s'élever en circulant jusqu'aux hauts bancs du paradis. De cet exposé, monsieur, il suit que ma piÚce est restée en cinq actes, qui sont le premier, le deuxiÚme, le troisiÚme au théùtre, le quatriÚme au diable et le cinquiÚme avec les trois premiers. Tel auteur mÃÂȘme vous soutiendra que ce quatriÚme acte, qu'on n'y voit point, n'en est pas moins celui qui fait le plus de bien à la piÚce, en ce qu'on ne l'y voit point. Laissons jaser le monde; il me suffit d'avoir prouvé mon dire; il me suffit, en faisant mes cinq actes, d'avoir montré mon respect pour Aristote, Horace, Aubignac et les modernes, et d'avoir mis ainsi l'honneur de la rÚgle à couvert. Par le second arrangement, le diable a son affaire mon char n'en roule pas moins bien sans la cinquiÚme roue le public est content, je le suis aussi. Pourquoi le journal de Bouillon ne l'est-il pas? - Ah! pourquoi? C'est qu'il est bien difficile de plaire à des gens qui, par métier, doivent ne jamais trouver les choses gaies assez sérieuses, ni les graves assez enjouées. Je me flatte, monsieur, que cela s'appelle raisonner principes, et que vous n'ÃÂȘtes pas mécontent de mon petit syllogisme. Reste à répondre aux observations dont quelques personnes ont honoré le moins important des drames hasardés depuis un siÚcle au théùtre. Je mets à part les lettres écrites aux comédiens, à moi-mÃÂȘme, sans signature, et vulgairement appelées anonymes; on juge, à l'ùpreté du style, que leurs auteurs, peu versés dans la critique, n'ont pas assez senti qu'une mauvaise piÚce n'est point une mauvaise action, et que telle injure convenable à un méchant homme est toujours déplacée à un méchant écrivain. Passons aux autres. Des connaisseurs ont remarqué que j'étais tombé dans l'inconvénient de faire critiquer des usages français par un plaisant de Séville à Séville; tandis que la vraisemblance exigeait qu'il s'étayùt sur les moeurs espagnoles. Ils ont raison j'y avais mÃÂȘme tellement pensé que, pour rendre la vraisemblance encore plus parfaite, j'avais d'abord résolu d'écrire et de faire jouer la piÚce en langage espagnol; mais un homme de goût m'a fait observer qu'elle en perdrait peut-ÃÂȘtre un peu de sa gaieté pour le public de Paris; raison qui m'a déterminé à l'écrire en français en sorte que j'ai fait, comme on voit, une multitude de sacrifices à la gaieté, mais sans pouvoir parvenir à dérider le journal de Bouillon. Un autre amateur, saisissant l'instant qu'il y avait beaucoup de monde au foyer, m'a reproché, du ton le plus sérieux, que ma piÚce ressemblait à On ne s'avise jamais de tout. - Ressembler, monsieur! Je tiens que ma piÚce est On ne s'avise jamais de tout lui-mÃÂȘme. - Et comment cela? - C'est qu'on ne s'était pas encore avisé de ma piÚce. L'amateur resta court, et l'on en rit d'autant plus, que celui-là qui me reprochait On ne s'avise jamais de tout est un homme qui ne s'est jamais avisé de rien. Quelques jours aprÚs ceci est plus sérieux chez une dame incommodée, un monsieur grave, en habit noir, coiffure bouffante et canne à corbin, lequel touchait légÚrement le poignet de la dame, proposa civilement plusieurs doutes sur la vérité des traits que j'avais lancés contre les médecins. Monsieur, lui dis-je, ÃÂȘtes-vous ami de quelqu'un d'eux? Je serais désolé qu'un badinage... - On ne peut pas moins je vois que vous ne me connaissez pas; je ne prends jamais le parti d'aucun; je parle ici pour le corps en général. - Cela me fit beaucoup chercher quel homme ce pouvait ÃÂȘtre. En fait de plaisanterie, ajoutai-je, vous savez, monsieur, qu'on ne demande jamais si l'histoire est vraie, mais si elle est bonne. - Eh! croyez-vous moins perdre à cet examen qu'au premier? - A merveille, docteur, dit la dame. Le monstre qu'il est! n'a-t-il pas osé parler aussi mal de nous? Faisons cause commune. A ce mot de docteur, je commençai à soupçonner qu'elle parlait à son médecin. - Il est vrai, madame et monsieur, repris-je avec modestie, que je me suis permis ces légers torts d'autant plus aisément qu'ils tirent moins à conséquence. Eh! qui pourrait nuire à deux corps puissants dont l'empire embrasse l'univers et se partage le monde? Malgré les envieux, les belles y régneront toujours par le plaisir, et les médecins par la douleur et la brillante santé nous ramÚne à l'amour, comme la maladie nous rend à la médecine. Cependant je ne sais si, dans la balance des avantages, la Faculté ne l'emporte pas un peu sur la Beauté. Souvent on voit les belles nous renvoyer aux médecins; mais plus souvent encore les médecins nous gardent, et ne nous renvoient plus aux belles. En plaisantant donc, il faudrait peut-ÃÂȘtre avoir égard à la différence des ressentiments, et songer que, si les belles se vengent en se séparant de nous, ce n'est là qu'un mal négatif; au lieu que les médecins se vengent en s'en emparant, ce qui devient trÚs positif. Que, quand ces derniers nous tiennent, ils font de nous tout ce qu'ils veulent; au lieu que les belles, toutes belles qu'elles sont, n'en font jamais que ce qu'elles peuvent. Que le commerce des belles nous les rend bientÎt moins nécessaires; au lieu que l'usage des médecins finit par nous les rendre indispensables. Enfin, que l'un de ces empires ne semble établi que pour assurer la durée de l'autre; puisque, plus la verte jeunesse est livrée à l'amour, plus la pùle vieillesse appartient sûrement à la médecine. Au reste, ayant fait contre moi cause commune, il était juste, madame et monsieur, que je vous offrisse en commun mes justifications. Soyez donc persuadés que, faisant profession d'adorer les belles et de redouter les médecins, c'est toujours en badinant que je dis du mal de la Beauté; comme ce n'est jamais sans trembler que je plaisante un peu la Faculté. Ma déclaration n'est point suspecte à votre égard, mesdames; et mes plus acharnés ennemis sont forcés d'avouer que, dans un instant d'humeur, oÃÂč mon dépit contre une belle allait s'épancher trop librement sur toutes les autres, on m'a vu m'arrÃÂȘter tout court au vingt-cinquiÚme couplet, et, par le plus prompt repentir, faire ainsi, dans le vingt-sixiÚme, amende honorable aux belles irritées Sexe charmant, si je décÚle Votre coeur en proie au désir, Souvent à l'amour infidÚle, Mais toujours fidÚle au plaisir, D'un badinage, Î mes déesses! Ne cherchez point à vous venger Tel glose, hélas! sur vos faiblesses, Qui brûle de les partager. Quant à vous, monsieur le docteur, on sait assez que MoliÚre... - Au désespoir, dit-il en se levant, de ne pouvoir profiter plus longtemps de vos lumiÚres; mais l'humanité qui gémit ne doit pas souffrir de mes plaisirs. Il me laissa, ma foi! la bouche ouverte avec ma phrase en l'air. - Je ne sais pas, dit la belle malade en riant, si je vous pardonne; mais je vois bien que notre docteur ne vous pardonne pas. - Le nÎtre, madame! Il ne sera jamais le mien, - Eh! pourquoi? - Je ne sais; je craindrais qu'il ne fût au-dessous de son état, puisqu'il n'est pas au-dessus des plaisanteries qu'on en peut faire. Ce docteur n'est pas de mes gens. L'homme assez consommé dans son art pour en avouer de bonne foi l'incertitude, assez spirituel pour rire avec moi de ceux qui le disent infaillible, tel est mon médecin. En me rendant ses soins qu'ils appellent des visites, en me donnant ses conseils qu'ils nomment des ordonnances, il remplit dignement, et sous faste, la plus noble fonction d'une ùme éclairée et sensible. Avec plus d'esprit, il calcule plus de rapports, et c'est tout ce qu'on peut dans un art aussi utile qu'incertain. Il me raisonne, il me console, il me guide, et la nature fait le reste. Aussi, loin de s'offenser de la plaisanterie, est-il le premier à l'opposer au pédantisme. A l'infatué qui lui dit gravement "De quatre-vingts fluxions de poitrine que j'ai traitées cet automne, un seul malade a péri dans mes mains", mon docteur répond en souriant; "Pour moi, j'ai prÃÂȘté mes secours à plus de cent cet hiver; hélas! je n'en ai pu sauver qu'un seul." Tel est mon aimable médecin. - Je le connais. - Vous permettez bien que je ne l'échange pas contre le vÎtre. Un pédant n'aura pas plus ma confiance en maladie, qu'une bégueule n'obtiendrait mon hommage en santé. Mais je ne suis qu'un sot. Au lieu de vous rappeler mon amende honorable au beau sexe, je devais lui chanter le couplet de la bégueule; il est tout fait pour lui Pour égayer ma poésie, Au hasard j'assemble des traits; J'en fais, peintre de fantaisie, Des tableaux, jamais des portraits; La femme d'esprit, qui s'en moque, Sourit finement à l'auteur Pour l'imprudente qui s'en choque, Sa colÚre est son délateur. - A propos de chanson, dit la dame, vous ÃÂȘtes bien honnÃÂȘte d'avoir été donner votre piÚce aux Français! moi qui n'ai de petite loge qu'aux Italiens! Pourquoi n'en avoir pas fait un opéra-comique? Ce fut, dit-on, votre premiÚre idée. La piÚce est d'un genre à comporter de la musique. - Je ne sais si elle est propre à la supporter, ou si je m'étais trompé d'abord en le supposant mais, sans entrer dans les raisons qui m'ont fait changer d'avis, celle-ci, madame, répond à tout. Notre musique dramatique ressemble trop encore à notre musique chansonniÚre, pour en attendre un véritable intérÃÂȘt ou de la gaieté franche. Il faudra commencer à l'employer sérieusement au théùtre, quand on sentira bien qu'on ne doit y chanter que pour parler; quand nos musiciens se rapprocheront de la nature, et surtout cesseront de s'imposer l'absurde loi de toujours revenir à la premiÚre partie d'un air aprÚs qu'ils en ont dit la seconde. Est-ce qu'il y a des reprises et des rondeaux dans un drame? Ce cruel radotage est la mort de l'intérÃÂȘt, et dénote un vide insupportable dans les idées. Moi qui ai toujours chéri la musique sans inconstance et mÃÂȘme sans infidélité, souvent, aux piÚces qui m'attachent le plus, je me surprends à pousser de l'épaule, à dire tout bas avec humeur Eh! va donc, musique! pourquoi toujours répéter? N'es-tu pas assez lente? Au lieu de narrer vivement, tu rabùches! au lieu de peindre la passion, tu t'accroches aux mots! Le poÚte se tue à serrer l'événement, et toi tu le délayes! Que lui sert de rendre son style énergique et pressé, si tu l'ensevelis sous d'inutiles fredons? Avec ta stérile abondance, reste, reste aux chansons pour toute nourriture, jusqu'à ce que tu connaisses le langage sublime et tumultueux des passions. En effet, si la déclamation est déjà un abus de la narration au théùtre, le chant, qui est un abus de la déclamation, n'est donc, comme on voit, que l'abus de l'abus. Ajoutez-y la répétition des phrases, et voyez ce que devient l'intérÃÂȘt. Pendant que le vice ici va toujours en croissant, l'intérÃÂȘt marche à sens contraire; l'action s'alanguit; quelque chose me manque; je deviens distrait; l'ennui me gagne; et si je cherche alors à deviner ce que je voudrais, il m'arrive souvent de trouver que je voudrais la fin du spectacle. Il est un autre art d'imitation, en général beaucoup moins avancé que la musique, mais qui semble en ce point lui servir de leçon. Pour la variété seulement, la danse élevée est déjà le modÚle du chant. Voyez le superbe Vestris ou le fier d'Auberval engager un pas de caractÚre. Il ne danse pas encore; mais d'aussi loin qu'il paraÃt, son port libre et dégagé fait déjà lever la tÃÂȘte aux spectateurs. Il inspire autant de fierté qu'il promet de plaisirs. Il est parti... Pendant que le musicien redit vingt fois ses phrases et monotone ses mouvements, le danseur varie les siens à l'infini. Le voyez-vous s'avancer légÚrement à petits bonds, reculer à grands pas, et faire oublier le comble de l'art par la plus ingénieuse négligence? TantÎt sur un pied, gardant le plus savant équilibre, et suspendu sans mouvement pendant plusieurs mesures, il étonne, il surprend par l'immobilité de son aplomb... Et soudain, comme s'il regrettait le temps du repos, il part comme un trait, vole au fond du théùtre, et revient en pirouettant, avec une rapidité que l'oeil peut suivre à peine. L'air a beau recommencer, rigaudonner, se répéter, se radoter, il ne se répÚte point, lui! Tout en déployant les mùles beautés d'un corps souple et puissant, il peint les mouvements violents dont son ùme est agitée il vous lance un regard passionné que ses bras mollement ouverts rendent plus expressif et, comme s'il se lassait bientÎt de vous plaire, il se relÚve avec dédain, se dérobe à l'oeil qui le suit, et la passion la plus fougueuse semble alors naÃtre et sortir de la plus douce ivresse. Impétueux, turbulent, il exprime une colÚre si bouillante et si vraie, qu'il m'arrache à mon siÚge et me fait froncer le sourcil. Mais, reprenant soudain le geste et l'accent d'une volupté paisible, il erre nonchalamment avec une grùce, une mollesse et des mouvements si délicats, qu'il enlÚve autant de suffrages qu'il y a de regards attachés sur sa danse enchanteresse. Compositeurs, chantez comme il danse, et nous aurons, au lieu d'opéras, des mélodrames! Mais j'entends mon éternel censeur je ne sais plus s'il est d'ailleurs ou de Bouillon qui me dit Que prétend-on par ce tableau? Je vois un talent supérieur, et non la danse en général. C'est dans sa marche ordinaire qu'il faut saisir un art pour le comparer, et non dans ses efforts les plus sublimes. N'avons-nous pas... Je l'arrÃÂȘte à mon tour. - Eh quoi! si je veux peindre un coursier et me former une juste idée de ce noble animal, irai-je le chercher hongre et vieux, gémissant au timon du fiacre, ou trottinant sous le plùtrier qui siffle? Je le prends au haras, fier étalon, vigoureux, découplé, l'oeil ardent, frappant la terre et soufflant le feu par les naseaux; bondissant de désirs et d'impatience, ou fendant l'air qu'il électrise, et dont le brusque hennissement réjouit l'homme, et fait tressaillir toutes les cavales de la contrée. Tel est mon danseur. Et quand je crayonne un art, c'est parmi les grands sujets qui l'exercent que j'entends choisir mes modÚles; tous les efforts du génie... Mais je m'éloigne trop de mon sujet, revenons au Barbier de Séville... ou plutÎt, monsieur, n'y revenons pas. C'est assez pour une bagatelle. Insensiblement je tomberais dans le défaut reproché trop justement à nos Français, de toujours faire de petites chansons sur les grandes affaires, et de grandes dissertations sur les petites. Je suis, avec le plus profond respect, Monsieur, Votre trÚs humble et trÚs obéissant serviteur. L'AUTEUR. Personnages Les habits des acteurs doivent ÃÂȘtre dans l'ancien costume espagnol. Le Comte Almaviva, grand d'Espagne, amant inconnu de Rosine, paraÃt, au premier acte, en veste et culotte de satin; il est enveloppé d'un grand manteau brun ou cape espagnole; chapeau noir rabattu, avec un ruban de couleur autour de la forme. Au deuxiÚme acte, habit uniforme de cavalier, avec des moustaches et des bottines. Au troisiÚme, habillé en bachelier; cheveux ronds, grande fraise au cou; veste, culotte, bas et manteau d'abbé. Au quatriÚme acte, il est vÃÂȘtu superbement à l'espagnole avec un riche manteau; par-dessus tout, le large manteau brun dont il se tient enveloppé. Bartholo, médecin, tuteur de Rosine habit noir, court, boutonné; grande perruque; fraise et manchettes relevées; une ceinture noire; et quand il veut sortir de chez lui, un long manteau écarlate. Rosine, jeune personne d'extraction noble, et pupille de Bartholo; habillée à l'espagnole. Figaro, barbier de Séville en habit de majo espagnol. La tÃÂȘte couverte d'un rescille ou filet; chapeau blanc, ruban de couleur autour de la forme, un fichu de soie attaché fort lùche à son cou, gilet et haut-de-chausse de satin, avec des boutons et boutonniÚres frangés d'argent; une grande ceinture de soie, les jarretiÚres nouées avec des glands qui pendent sur chaque jambe; veste de couleur tranchante, à grands revers de la couleur du gilet; bas blancs et souliers gris. Don Bazile, organiste, maÃtre à chanter de Rosine chapeau noir rabattu, soutanelle et long manteau, sans fraise ni manchettes. La Jeunesse, vieux domestique de Bartholo. L'Eveillé, autre valet de Bartholo, garçon niais et endormi. Tous deux habillés en Galiciens; tous les cheveux dans la queue; gilet couleur de chamois; large ceinture de peau avec une boucle; culotte bleue et veste de mÃÂȘme, dont les manches, ouvertes aux épaules pour le passage des bras, sont pendantes par-derriÚre. Un Notaire. Un Alcade, homme de justice, avec une longue baguette blanche à la main. Plusieurs Alguazils et Valets avec des flambeaux. La scÚne est à Séville, dans la rue et sous les fenÃÂȘtres de Rosine, au premier acte, et le reste de la piÚce dans la maison du docteur Bartholo. Acte premier Le théùtre représente une rue de Séville, oÃÂč toutes les croisées sont grillées. ScÚne I Le Comte, seul, en grand manteau brun et chapeau rabattu. Il tire sa montre en se promenant. Le jour est moins avancé que je ne croyais. L'heure à laquelle elle a coutume de se montrer derriÚre sa jalousie est encore éloignée. N'importe; il vaut mieux arriver trop tÎt que de manquer l'instant de la voir. Si quelque aimable de la Cour pouvait me deviner à cent lieues de Madrid, arrÃÂȘté tous les matins sous les fenÃÂȘtres d'une femme à qui je n'ai jamais parlé, il me prendrait pour un Espagnol du temps d'Isabelle... Pourquoi non? Chacun court aprÚs le bonheur. Il est pour moi dans le coeur de Rosine... Mais quoi! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la Cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles? Et c'est cela mÃÂȘme que je fuis. Je suis las des conquÃÂȘtes que l'intérÃÂȘt, la convenance ou la vanité nous présentent sans cesse. Il est si doux d'ÃÂȘtre aimé pour soi-mÃÂȘme! Et si je pouvais m'assurer sous ce déguisement... Au diable l'importun! ScÚne II Figaro, Le Comte, caché. Figaro, une guitare sur le dos, attachée en bandouliÚre avec un large ruban il chantonne gaiement, un papier et un crayon à la main. N° I. Bannissons le chagrin, Il nous consume Sans le feu du bon vin Qui nous rallume, Réduit à languir, L'homme sans plaisir Vivrait comme un sot, Et mourrait bientÎt. Jusque-là ceci ne va pas mal, hein, hein. ... Et mourrait bientÎt. Le vin et la paresse Se disputent mon coeur. Eh non! ils ne se le disputent pas, ils y rÚgnent paisiblement ensemble... Se partagent... mon coeur. Dit-on se partagent?... Eh! mon Dieu, nos faiseurs d'opéras-comiques n'y regardent pas de si prÚs. Aujourd'hui, ce qui ne vaut pas la peine d'ÃÂȘtre dit, on le chante. Il chante. Le vin et la paresse Se partagent mon coeur. Je voudrais finir par quelque chose de beau, de brillant, de scintillant, qui eût l'air d'une pensée. Il met un genou en terre et écrit en chantant. Se partagent mon coeur. Si l'une a ma tendresse... L'autre fait mon bonheur. Fi donc! c'est plat. Ce n'est pas ça... Il me faut une opposition, une antithÚse Si l'une... est ma maÃtresse L'autre... Eh! parbleu, j'y suis... L'autre est mon serviteur. Fort bien, Figaro!... Il écrit en chantant. Le vin et la paresse Se partagent mon coeur; Si l'une est ma maÃtresse, L'autre est mon serviteur. L'autre est mon serviteur. L'autre est mon serviteur. Hen, hen, quand il y aura des accompagnements là -dessous, nous verrons encore, messieurs de la cabale, si je ne sais ce que je dis... Il aperçoit le Comte. J'ai vu cet abbé-là quelque part. Il se relÚve. Le Comte, à part. Cet homme ne m'est pas inconnu. Figaro Eh non, ce n'est pas un abbé! Cet air altier et noble... Le Comte Cette tournure grotesque... Figaro Je ne me trompe point; c'est le comte Almaviva. Le Comte Je crois que c'est ce coquin de Figaro. Figaro C'est lui-mÃÂȘme, Monseigneur. Le Comte Maraud! si tu dis un mot... Figaro Oui, je vous reconnais; voilà les bontés familiÚres dont vous m'avez toujours honoré. Le Comte Je ne te reconnaissais pas, moi. Te voilà si gros et si gras... Figaro Que voulez-vous, Monseigneur, c'est la misÚre. Le Comte Pauvre petit! Mais que fais-tu à Séville? je t'avais autrefois recommandé dans les bureaux pour un emploi. Figaro Je l'ai obtenu, Monseigneur; et ma reconnaissance... Le Comte Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas, à mon déguisement, que je veux ÃÂȘtre inconnu? Figaro Je me retire. Le Comte Au contraire. J'attends ici quelque chose, et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu'un seul qui se promÚne. Ayons l'air de jaser. Eh bien, cet emploi? Figaro Le ministre, ayant égard à la recommandation de Votre Excellence, me fit nommer sur-le-champ garçon apothicaire. Le Comte Dans les hÎpitaux de l'armée? Figaro Non; dans les haras d'Andalousie. Le Comte, riant. Beau début! Figaro Le poste n'était pas mauvais; parce qu'ayant le district des pansements et des drogues, je vendais souvent aux hommes de bonnes médecines de cheval... Le Comte Qui tuaient les sujets du roi! Figaro Ah! Ah! il n'y a point de remÚde universel; mais qui n'ont pas laissé de guérir quelquefois des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats. Le Comte Pourquoi donc l'as-tu quitté? Figaro Quitté? C'est bien lui-mÃÂȘme; on m'a desservi auprÚs des puissances. L'envie aux doigts crochus, au teint pùle et livide... Le Comte Oh! grùce! grùce, ami! Est-ce que tu fais aussi des vers? Je t'ai vu là griffonnant sur ton genou, et chantant dÚs le matin. Figaro Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapporté au ministre que je faisais, je puis dire assez joliment, des bouquets à Cloris; que j'envoyais des énigmes aux journaux, qu'il courait des madrigaux de ma façon; en un mot, quand il a su que j'étais imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique et m'a fait Îter mon emploi, sous prétexte que l'amour des lettres est incompatible avec l'esprit des affaires. Le Comte Puissamment raisonné! Et tu ne lui fis pas représenter... Figaro Je me crus trop heureux d'en ÃÂȘtre oublié, persuadé qu'un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal. Le Comte Tu ne dis pas tout. je me souviens qu'à mon service tu étais un assez mauvais sujet. Figaro Eh! mon Dieu, Monseigneur, c'est qu'on veut que le pauvre soit sans défaut. Le Comte Paresseux, dérangé... Figaro Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaÃt-elle beaucoup de maÃtres qui fussent dignes d'ÃÂȘtre valets? Le Comte, riant. Pas mal. Et tu t'es retiré en cette ville? Figaro Non, pas tout de suite. Le Comte, l'arrÃÂȘtant. Un moment... J'ai cru que c'était elle... Dis toujours, je t'entends de reste. Figaro De retour à Madrid, je voulus essayer de nouveau mes talents littéraires; et le théùtre me parut un champ d'honneur... Le Comte Ah! Miséricorde! Figaro. Pendant sa réplique, le Comte regarde avec attention du cÎté de la jalousie. En vérité, je ne sais comment je n'eus pas le plus grand succÚs, car j'avais rempli le parterre des plus excellents travailleurs; des mains... comme des battoirs; j'avais interdit les gants, les cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissements sourds; et d'honneur, avant la piÚce, le café m'avait paru dans les meilleures dispositions pour moi. Mais les efforts de la cabale... Le Comte Ah! la cabale! monsieur l'auteur tombé! Figaro Tout comme un autre pourquoi pas? Ils m'ont sifflé; mais si jamais je puis les rassembler... Le Comte L'ennui te vengera bien d'eux? Figaro Ah! comme je leur en garde, morbleu! Le Comte Tu jures! Sais-tu qu'on n'a que vingt-quatre heures au palais pour maudire ses juges? Figaro On a vingt-quatre ans au théùtre; la vie est trop courte pour user un pareil ressentiment. Le Comte Ta joyeuse colÚre me réjouit. Mais tu ne me dis pas ce qui t'a fait quitter Madrid. Figaro C'est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien maÃtre. Voyant à Madrid que la république des lettres était celle des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris oÃÂč ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout ce qui s'attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevait de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait; fatigué d'écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abÃmé de dettes et léger d'argent; à la fin convaincu que l'utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j'ai quitté Madrid; et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadure, la Sierra-Morena, l'Andalousie; accueilli dans une ville, emprisonné dans l'autre, et partout supérieur aux événements; loué par ceux-ci, blùmé par ceux-là ; aidant au bon temps, supportant le mauvais; me moquant des sots, bravant les méchants, riant de ma misÚre et faisant la barbe à tout le monde; vous me voyez enfin établi dans Séville, et prÃÂȘt à servir de nouveau Votre Excellence en tout ce qu'il lui plaira m'ordonner. Le Comte Qui t'a donné une philosophie aussi gaie? Figaro L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'ÃÂȘtre obligé d'en pleurer. Que regardez-vous donc toujours de ce cÎté? Le Comte Sauvons-nous. Figaro Pourquoi? Le Comte Viens donc, malheureux! tu me perds. Ils se cachent. ScÚne III Bartholo, Rosine. La jalousie du premier étage s'ouvre, et Bartholo et Rosine se mettent à la fenÃÂȘtre. Rosine Comme le grand air fait plaisir à respirer!... Cette jalousie s'ouvre si rarement... Bartholo Quel papier tenez-vous là ? Rosine Ce sont des couplets de La Précaution inutile, que mon maÃtre à chanter m'a donnés hier. Bartholo Qu'est-ce que La Précaution inutile? Rosine C'est une comédie nouvelle. Bartholo Quelque drame encore! quelque sottise d'un nouveau genre! Rosine Je n'en sais rien. Bartholo Euh, euh, les journaux et l'autorité nous en feront raison. SiÚcle barbare!... Rosine Vous injuriez toujours notre pauvre siÚcle. Bartholo Pardon de la liberté! Qu'a-t-il produit pour qu'on le loue? Sottises de toute espÚce la liberté de penser, l'attraction, l'électricité, le tolérantisme, l'inoculation, le quinquina, L'Encyclopédie, et les drames... Rosine le papier lui échappe et tombe dans la rue. Ah! ma chanson! Ma chanson est tombée en vous écoutant, courez, courez donc, monsieur! Ma chanson, elle sera perdue! Bartholo Que diable aussi, l'on tient ce qu'on tient. Il quitte le balcon. Rosine regarde en dedans et fait signe dans la rue. St, st! Le Comte paraÃt. Ramassez vite et sauvez-vous. Le Comte ne fait qu'un saut, ramasse le papier et rentre. Bartholo sort de la maison et cherche. OÃÂč donc est-il? Je ne vois rien. Rosine Sous le balcon, au pied du mur. Bartholo Vous me donnez là une jolie commission! Il est donc passé quelqu'un? Rosine Je n'ai vu personne. Bartholo, à lui-mÃÂȘme. Et moi qui ai la bonté de chercher!... Bartholo, vous n'ÃÂȘtes qu'un sot, mon ami ceci doit vous apprendre à ne jamais ouvrir de jalousies sur la rue. Il rentre. Rosine, toujours au balcon. Mon excuse est dans mon malheur seule, enfermée, en butte à la persécution d'un homme odieux, est-ce un crime de tenter à sortir d'esclavage? Bartholo, paraissant au balcon. Rentrez, signora; c'est ma faute si vous avez perdu votre chanson; mais ce malheur ne vous arrivera plus, je vous jure. Il ferme la jalousie à la clef. ScÚne IV Le Comte, Figaro. Ils entrent avec précaution. Le Comte A présent qu'ils sont retirés, examinons cette chanson, dans laquelle un mystÚre est sûrement renfermé. C'est un billet! Figaro Il demandait ce que c'est que la Précaution inutile! Le Comte lit vivement. "Votre empressement excite ma curiosité sitÎt que mon tuteur sera sorti, chantez indifféremment, sur l'air connu de ces couplets, quelque chose qui m'apprenne enfin le nom, l'état et les intentions de celui qui paraÃt s'attacher si obstinément à l'infortunée Rosine." Figaro, contrefaisant la voix de Rosine. Ma chanson, ma chanson est tombée; courez, courez donc! Il rit. ah! ah! ah! ah! Oh! ces femmes! Voulez-vous donner de l'adresse à la plus ingénue? Enfermez-la. Le Comte Ma chÚre Rosine! Figaro Monseigneur, je ne suis plus en peine des motifs de votre mascarade; vous faites ici l'amour en perspective. Le Comte Te voilà instruit; mais si tu jases... Figaro Moi, jaser! Je n'emploierai point pour vous rassurer les grandes phrases d'honneur et de dévouement dont on abuse à la journée; je n'ai qu'un mot mon intérÃÂȘt vous répond de moi; pesez tout à cette balance, et... Le Comte Fort bien. Apprends donc que le hasard m'a fait rencontrer au Prado, il y a six mois, une jeune personne d'une beauté!... Tu viens de la voir. Je l'ai fait chercher en vain par tout Madrid. Ce n'est que depuis peu de jours que j'ai découvert qu'elle s'appelle Rosine, est d'un sang noble, orpheline, et mariée à un vieux médecin de cette ville, nommé Bartholo. Figaro Joli oiseau, ma foi! difficile à dénicher! Mais qui vous a dit qu'elle était femme du docteur? Le Comte Tout le monde. Figaro C'est une histoire qu'il a forgée en arrivant de Madrid pour donner le change aux galants et les écarter; elle n'est encore que sa pupille, mais bientÎt... Le Comte, vivement. Jamais, Ah! quelle nouvelle! J'étais résolu de tout oser pour lui présenter mes regrets, et je la trouve libre! Il n'y a pas un moment à perdre; il faut m'en faire aimer, et l'arracher à l'indigne engagement qu'on lui destine. Tu connais donc ce tuteur? Figaro Comme ma mÚre. Le Comte Quel homme est-ce? Figaro, vivement. C'est un beau, gros, court, jeune vieillard, gris pommelé, rusé, rasé, blasé, qui guette, et furette, et gronde, et geint tout à la fois. Le Comte, impatienté. Eh! je l'ai vu. Son caractÚre? Figaro Brutal, avare, amoureux et jaloux à l'excÚs de sa pupille, qui le hait à la mort. Le Comte Ainsi, ses moyens de plaire sont... Figaro Le Comte Tant mieux. Sa probité? Figaro Tout juste autant qu'il en faut pour n'ÃÂȘtre point pendu. Le Comte Tant mieux. Punir un fripon en se rendant heureux... Figaro C'est faire à la fois le bien public et particulier chef-d'oeuvre de morale, en vérité, Monseigneur! Le Comte Tu dis que la crainte des galants lui fait fermer sa porte? Figaro A tout le monde; s'il pouvait la calfeutrer... Le Comte Ah! diable, tant pis. Aurais-tu de l'accÚs chez lui? Figaro Si j'en ai! Primo, la maison que j'occupe appartient au docteur, qui m'y loge gratis... Le Comte Ah! ah! Figaro Et moi, en reconnaissance, je lui promets dix pistoles d'or par an, gratis aussi... Le Comte, impatienté. Tu es son locataire? Figaro De plus, son barbier, son chirurgien, son apothicaire; il ne se donne pas dans sa maison un coup de rasoir, de lancette ou de piston, qui ne soit de la main de votre serviteur. Le Comte l'embrasse. Ah! Figaro, mon ami, tu seras mon ange, mon libérateur, mon dieu tutélaire. Figaro Peste! comme l'utilité vous a bientÎt rapproché les distances! Parlez-moi des gens passionnés! Le Comte Heureux Figaro, tu vas voir ma Rosine! tu vas la voir! Conçois! tu ton bonheur? Figaro C'est bien là un propos d'amant! Est-ce que je l'adore, moi? Puissiez-vous prendre ma place! Le Comte Ah! si l'on pouvait écarter tous les surveillants! Figaro C'est à quoi je rÃÂȘvais. Le Comte Pour douze heures seulement! Figaro En occupant les gens de leur propre intérÃÂȘt, on les empÃÂȘche de nuire à l'intérÃÂȘt d'autrui. Le Comte Sans doute. Eh bien? Figaro, rÃÂȘvant. Je cherche dans ma tÃÂȘte si la pharmacie ne fournirait pas quelques petits moyens innocents... Le Comte Scélérat! Figaro Est-ce que je veux leur nuire? Ils ont tous besoin de mon ministÚre. Il ne s'agit que de les traiter ensemble. Le Comte Mais ce médecin peut prendre un soupçon. Figaro Il faut marcher si vite que le soupçon n'ait pas le temps de naÃtre. Il me vient une idée le régiment de Royal-Infant arrive en cette ville. Le Comte Le colonel est de mes amis. Figaro Bon. Présentez-vous chez le docteur en habit de cavalier, avec un billet de logement; il faudra bien qu'il vous héberge; et moi, je me charge du reste. Le Comte Excellent! Figaro Il ne serait mÃÂȘme pas mal que vous eussiez l'air entre deux vins... Le Comte A quoi bon? Figaro Et le mener un peu lestement sous cette apparence déraisonnable. Le Comte A quoi bon? Figaro Pour qu'il ne prenne aucun ombrage, et vous croie plus pressé de dormir que d'intriguer chez lui. Le Comte Supérieurement vu! Mais que n'y vas-tu, toi? Figaro Ah! oui, moi! Nous serons bien heureux s'il ne vous reconnaÃt pas, vous qu'il n'a jamais vu. Et comment vous introduire aprÚs? Le Comte Tu as raison. Figaro C'est que vous ne pouvez peut-ÃÂȘtre pas soutenir ce personnage difficile. Cavalier... pris de vin... Le Comte Tu te moques de moi. Prenant un ton ivre. N'est-ce point ici la maison du docteur Bartholo, mon ami? Figaro Pas mal, en vérité; vos jambes seulement un peu plus avinées. D'un ton plus ivre. N'est-ce pas ici la maison... Le Comte Fi donc! tu as l'ivresse du peuple. Figaro C'est la bonne, c'est celle du plaisir Le Comte La porte s'ouvre. Figaro C'est notre homme éloignons-nous jusqu'à ce qu'il soit parti. ScÚne V Le Comte et Figaro cachés; Bartholo. Bartholo sort en parlant à la maison. Je reviens à l'instant; qu'on ne laisse entrer personne. Quelle sottise à moi d'ÃÂȘtre descendu! DÚs qu'elle m'en priait, je devais bien me douter... Et Bazile qui ne vient pas! Il devait tout arranger pour que mon mariage se fÃt secrÚtement demain et point de nouvelles! Allons voir ce qui peut l'arrÃÂȘter. ScÚne VI Le Comte, Figaro. Le Comte Qu'ai-je entendu? Demain il épouse Rosine en secret! Figaro Monseigneur, la difficulté de réussir ne fait qu'ajouter à la nécessité d'entreprendre. Le Comte Quel est donc ce Bazile qui se mÃÂȘle de son mariage? Figaro Un pauvre hÚre qui montre la musique à sa pupille, infatué de son art, friponneau, besogneux, à genoux devant un écu, et dont il sera facile de venir à bout, Monseigneur... Regardant à la jalousie. La v'là , la v'là . Le Comte Qui donc? Figaro DerriÚre sa jalousie, la voilà , la voilà . Ne regardez pas, ne regardez donc pas! Le Comte Pourquoi? Figaro Ne vous écrit-elle pas Chantez indifféremment? c'est-à -dire, chantez comme si vous chantiez... seulement pour chanter. Oh! la v'là , la v'là . Le Comte Puisque j'ai commencé à l'intéresser sans ÃÂȘtre connu d'elle, ne quittons point le nom de Lindor que j'ai pris; mon triomphe en aura plus de charmes. Il déploie le papier que Rosine a jeté. Mais comment chanter sur cette musique? Je ne sais pas faire de vers, moi. Figaro Tout ce qui vous viendra, Monseigneur, est excellent en amour, le coeur n'est pas difficile sur les productions de l'esprit... Et prenez ma guitare. Le Comte Que veux-tu que j'en fasse? j'en joue si mal! Figaro Est-ce qu'un homme comme vous ignore quelque chose? Avec le dos de la main; from, from, from... Chanter sans guitare à Séville! vous seriez bientÎt reconnu, ma foi, bientÎt dépisté. Figaro se colle au mur sous le balcon. Le Comte chante en se promenant et s'accompagnant sur sa guitare. N° 2. Premier Couplet Vous l'ordonnez, je me ferai connaÃtre; Plus inconnu, j'osais vous adorer En me nommant, que pourrais-je espérer? N'importe, il faut obéir à son maÃtre. Figaro, bas. Fort bien, parbleu! Courage, Monseigneur! Le Comte DeuxiÚme Couplet Je suis Lindor, ma naissance est commune, Mes voeux sont ceux d'un simple bachelier Que n'ai-je, hélas! d'un brillant chevalier A vous offrir le rang et la fortune! Figaro Eh comment diable! je ne ferais pas mieux, moi qui m'en pique. Le Comte TroisiÚme Couplet Tous les matins, ici, d'une voix tendre, Je chanterai mon amour sans espoir; Je bornerai mes plaisirs à vous voir; Et puissiez-vous en trouver à m'entendre! Figaro Oh! ma foi, pour celui-ci!... Il s'approche, et baise le bas de l'habit de son maÃtre. Le Comte Figaro? Figaro Excellence? Le Comte Crois-tu que l'on m'ait entendu Rosine, en dedans, chante. Air du MaÃtre en droit. Tout me dit que Lindor est charmant, Que je dois l'aimer constamment... On entend une croisée qui se ferme avec bruit. Figaro Croyez-vous qu'on vous ait entendu, cette fois? Le Comte Elle a fermé sa fenÃÂȘtre; quelqu'un apparemment est entré chez elle. Figaro Ah! la pauvre petite! comme elle tremble en chantant! Elle est prise, Monseigneur. Le Comte Elle se sert du moyen qu'elle-mÃÂȘme a indiqué. Tout me dit que Lindor est charmant. Que de grùces! que d'esprit! Figaro Que de ruse! que d'amour! Le Comte Crois-tu qu'elle se donne à moi, Figaro? Figaro Elle passera plutÎt à travers cette jalousie que d'y manquer. Le Comte C'en est fait, je suis à ma Rosine... pour la vie Figaro Vous oubliez, Monseigneur, qu'elle ne vous entend plus. Le Comte Monsieur Figaro! je n'ai qu'un mot à vous dire elle sera ma femme; et si vous servez bien mon projet en lui cachant mon nom... Tu m'entends, tu me connais... Figaro Je me rends. Allons, Figaro, vole à la fortune, mon fils. Le Comte Retirons-nous, crainte de nous rendre suspects. Figaro, vivement. Moi, j'entre ici, oÃÂč, par la force de mon art, je vais, d'un seul coup de baguette, endormir la vigilance, éveiller l'amour, égarer la jalousie, fourvoyer l'intrigue, et renverser tous les obstacles. Vous, Monseigneur, chez moi, l'habit de soldat, le billet de logement, et de l'or dans vos poches. Le Comte Pour qui, de l'or? Figaro, vivement. De l'or, mon Dieu, de l'or c'est le nerf de l'intrigue. Le Comte Ne te fùche pas, Figaro, j'en prendrai beaucoup. Figaro, s'en allant. Je vous rejoins dans peu. Le Comte Figaro! Figaro Qu'est-ce que c'est? Le Comte Et ta guitare? Figaro revient. J'oublie ma guitare, moi! Je suis donc fou! Il s'en va. Le Comte Et ta demeure, étourdi? Figaro revient. Ah! réellement je suis frappé! - Ma boutique à quatre pas d'ici, peinte en bleu, vitrage en plomb, trois palettes en l'air, l'oeil dans la main, Consilio manuque, FIGARO. Il s'enfuit. Acte deuxiÚme Le théùtre représente l'appartement de Rosine, La croisée dans le fond du théùtre est fermée par une jalousie grillée. ScÚne I Rosine, seule, un bougeoir à la main. Elle prend du papier sur la table et se met à écrire. Marceline est malade; tous les gens sont occupés; et personne ne me voit écrire. Je ne sais si ces murs ont des yeux et des oreilles, ou si mon argus a un génie malfaisant qui l'instruit à point nommé; mais je ne puis dire un mot ni faire un pas, dont il ne devine sur-le-champ l'intention... Ah! Lindor! Elle cachette la lettre. Fermons toujours ma lettre, quoique j'ignore quand et comment je pourrai la lui faire tenir. Je l'ai vu à travers ma jalousie parler longtemps au barbier Figaro. C'est un bon homme qui m'a montré quelquefois de la pitié si je pouvais l'entretenir un moment! ScÚne II Rosine, Figaro. Rosine, surprise. Ah! monsieur Figaro, que je suis aise de vous voir! Figaro Votre santé, madame? Rosine Pas trop bonne, monsieur Figaro. L'ennui me tue. Figaro Je le crois; il n'engraisse que les sots. Rosine Avec qui parliez-vous donc là -bas si vivement? Je n'entendais pas; mais... Figaro Avec un jeune bachelier de mes parents, de la plus grande espérance; plein d'esprit, de sentiments, de talents, et d'une figure fort revenante. Rosine Oh! tout à fait bien, je vous assure! Il se nomme?... Figaro Lindor. Il n'a rien; mais s'il n'eût pas quitté brusquement Madrid, il pouvait y trouver quelque bonne place. Rosine Il en trouvera, monsieur Figaro; il en trouvera. Un jeune homme tel que vous le dépeignez n'est pas fait pour rester inconnu. Figaro, à part. Fort bien. Haut. Mais il a un grand défaut qui nuira toujours à son avancement. Rosine Un défaut, monsieur Figaro! Un défaut! en ÃÂȘtes-vous bien sûr? Figaro Il est amoureux. Rosine Il est amoureux! et vous appelez cela un défaut! Figaro A la vérité, ce n'en est un que relativement à sa mauvaise fortune. Rosine Ah! que le sort est injuste! Et nomme-t-il la personne qu'il aime? Je suis d'une curiosité... Figaro Vous ÃÂȘtes la derniÚre, madame, à qui je voudrais faire une confidence de cette nature. Rosine, vivement. Pourquoi, monsieur Figaro? Je suis discrÚte. Ce jeune homme vous appartient, il m'intéresse infiniment... Dites donc. Figaro, la regardant finement. Figurez-vous la plus jolie petite mignonne, douce, tendre, accorte et fraÃche, agaçant l'appétit; pied furtif, taille adroite, élancée, bras dodus, bouche rosée, et des mains! des joues! des dents! des yeux!... Rosine Qui reste en cette ville? Figaro En ce quartier. Rosine Dans cette rue peut-ÃÂȘtre? Figaro A deux pas de moi. Rosine Ah! que c'est charmant... pour monsieur votre parent. Et cette personne est?... Figaro Je ne l'ai pas nommée? Rosine, vivement. C'est la seule chose que vous ayez oubliée, monsieur Figaro. Dites donc, dites donc vite; si l'on rentrait, je ne pourrais plus savoir... Figaro Vous le voulez absolument, madame? Eh bien, cette personne est... la pupille de votre tuteur. Rosine La pupille?... Figaro Du docteur Bartholo; oui, madame. Rosine, avec émotion Ah! monsieur Figaro... Je ne vous crois pas, je vous assure. Figaro Et c'est ce qu'il brûle de venir vous persuader lui-mÃÂȘme. Rosine Vous me faites trembler, monsieur Figaro. Figaro Fi donc, trembler! mauvais calcul, madame. Quand on cÚde à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur. D'ailleurs je viens de vous débarrasser de tous vos surveillants jusqu'à demain. Rosine S'il m'aime, il doit me le prouver en restant absolument tranquille. Figaro Eh! madame! amour et repos peuvent-ils habiter en mÃÂȘme coeur? La pauvre jeunesse est si malheureuse aujourd'hui, qu'elle n'a que ce terrible choix amour sans repos, ou repos sans amour. ROSINE, baissant les yeux. Repos sans amour... paraÃt... Figaro Ah! bien languissant. Il me semble, en effet, qu'amour sans repos se présente de meilleure grùce et pour moi, si j'étais femme... Rosine, avec embarras. Il est certain qu'une jeune personne ne peut empÃÂȘcher un honnÃÂȘte homme de l'estimer. Figaro Aussi mon parent vous estime-t-il infiniment. Rosine Mais s'il allait faire quelque imprudence, monsieur Figaro, il nous perdrait. Figaro, à part. Il nous perdrait! Haut. Si vous le lui défendiez expressément par une petite lettre... Une lettre a bien du pouvoir. Rosine lui donne la lettre qu'elle vient d'écrire. Je n'ai pas le temps de recommencer celle-ci; mais en la lui donnant, dites-lui... dites-lui bien... Elle écoute. Figaro Personne, madame. Rosine Que c'est par pure amitié tout ce que je fais. Figaro Cela parle de soi. Tudieu! l'amour a bien une autre allure! Rosine Que par pure amitié, entendez-vous? Je crains seulement que, rebuté par les difficultés... Figaro Oui, quelque feu follet. Souvenez-vous, madame, que le vent qui éteint une lumiÚre allume un brasier, et que nous sommes ce brasier-là . D'en parler seulement, il exhale un tel feu qu'il m'a presque enfiévré de sa passion, moi qui n'y ai que voir! Rosine Dieux! j'entends mon tuteur. S'il vous trouvait ici... Passez par le cabinet du clavecin, et descendez le plus doucement que vous pourrez. Figaro Soyez tranquille. A part, montrant la lettre. voici, qui vaut mieux que mes observations Il entre dans le cabinet. ScÚne III Rosine, seule. Je meurs d'inquiétude jusqu'à ce qu'il soit dehors... Que je l'aime, ce bon Figaro! c'est un bien honnÃÂȘte homme, un bon parent! Ah! voilà mon tyran; reprenons mon ouvrage. Elle souffle la bougie, s'assied, et prend une broderie au tambour. ScÚne IV Bartholo, Rosine. Bartholo, en colÚre. Ah! malédiction! l'enragé, le scélérat corsaire de Figaro! Là , peut-on sortir un moment de chez soi sans ÃÂȘtre sûr en rentrant?... Rosine Qui vous met donc si fort en colÚre, monsieur? Bartholo Ce damné barbier qui vient d'écloper toute ma maison en un tour de main; il donne un narcotique à l'Eveillé, un sternutatoire à La Jeunesse; il saigne au pied Marceline; il n'y a pas jusqu'à ma mule... Sur les yeux d'une pauvre bÃÂȘte aveugle, un cataplasme! Parce qu'il me doit cent écus, il se presse de faire des mémoires. Ah! qu'il les apporte!... Et personne à l'antichambre! On arrive à cet appartement comme à la place d'armes. Rosine Eh! qui peut y pénétrer que vous, monsieur? Bartholo J'aime mieux craindre sans sujet, que de m'exposer sans précaution. Tout est plein de gens entreprenants, d'audacieux... N'a-t-on pas, ce matin encore, ramassé lestement votre chanson pendant que j'allais la chercher? Oh! je... Rosine C'est bien mettre à plaisir de l'importance à tout! Le vent peut avoir éloigné ce papier, le premier venu; que sais-je? Bartholo Le vent, le premier venu!... Il n'y a point de vent, madame, point de premier venu dans le monde; et c'est toujours quelqu'un posté là exprÚs qui ramasse les papiers qu'une femme a l'air de laisser tomber par mégarde. Rosine A l'air, monsieur? Bartholo Oui, madame, a l'air. Rosine, à part. Oh! le méchant vieillard! Bartholo Mais tout cela n'arrivera plus; car je vais faire sceller cette grille. Rosine Faites mieux; murez les fenÃÂȘtres tout d'un coup; d'une prison à un cachot la différence est si peu de chose! Bartholo Pour celles qui donnent sur la rue, ce ne serait peut-ÃÂȘtre pas si mal... Ce barbier n'est pas entré chez vous, au moins? Rosine Vous donne-t-il aussi de l'inquiétude? Bartholo Tout comme un autre. Rosine Que vos répliques sont honnÃÂȘtes! Bartholo Ah! fiez-vous à tout le monde, et vous aurez bientÎt à la maison une bonne femme pour vous tromper, de bons amis pour vous la souffler, et de bons valets pour les y aider. Rosine Quoi! vous n'accordez pas mÃÂȘme qu'on ait des principes contre la séduction de monsieur Figaro? Bartholo Qui diable entend quelque chose à la bizarrerie des femmes? Et combien j'en ai vu, de ces vertus à principes!... Rosine, en colÚre. Mais, monsieur, s'il suffit d'ÃÂȘtre homme pour nous plaire, pourquoi donc me déplaisez-vous si fort? Bartholo, stupéfait. Pourquoi?... pourquoi?... Vous ne répondez pas à ma question sur ce barbier. Rosine, outrée. Eh bien! oui, cet homme est entré chez moi; je l'ai vu, je lui ai parlé. Je ne vous cache pas mÃÂȘme que je l'ai trouvé fort aimable; et puissiez-vous en mourir de dépit! Elle sort. ScÚne V Bartholo, seul. Oh! les juifs, les chiens de valets! La jeunesse! L'Eveillé! L'Eveillé maudit! ScÚne VI Bartholo, L'Eveillé. L'Eveillé arrive en bùillant, tout endormi. Aah, aah, ah, ah... Bartholo OÃÂč étais-tu, peste d'étourdi, quand ce barbier est entré ici? L'Eveillé Monsieur j'étais... ah, aah, ah.. Bartholo A machiner quelque espiÚglerie, sans doute? Et tu ne l'as pas vu? L'Eveillé Sûrement je l'ai vu, puisqu'il m'a trouvé tout malade, à ce qu'il dit; et faut bien que ça soit vrai, car j'ai commencé à me douloir dans tous les membres, rien qu'en l'en-entendant parl... Ah, ah, aah... Bartholo le contrefait. Rien qu'en l'en-entendant!... OÃÂč donc est ce vaurien de La Jeunesse? Droguer ce petit garçon sans mon ordonnance! Il y a quelque friponnerie là -dessous. ScÚne VII Les acteurs précédents; La Jeunesse arrive en vieillard avec une canne en béquille; il éternue plusieurs fois. L'Eveillé, toujours bùillant. La jeunesse? Bartholo Tu éternueras dimanche. La Jeunesse Voilà plus de cinquante... cinquante fois... dans un moment! Il éternue. je suis brisé. Bartholo Comment! je vous demande à tous deux s'il est entré quelqu'un chez Rosine, et vous ne me dites pas que ce barbier... L'Eveillé, continuant de bùiller. Est-ce que c'est quelqu'un donc, monsieur Figaro? Aah! ah... Bartholo je parie que le rusé s'entend avec lui. L'Eveillé, pleurant comme un sot. Moi... je m'entends!... La Jeunesse, éternuant. Eh! mais, monsieur, y a-t-il... y a-t-il de la justice?... Bartholo De la justice! C'est bon entre vous autres misérables, la justice! je suis votre maÃtre, moi, pour avoir toujours raison. La Jeunesse, éternuant. Mais, pardi, quand une chose est vraie... Bartholo Quand une chose est vraie! Si je ne veux pas qu'elle soit vraie, je prétends bien qu'elle ne soit pas vraie. Il n'y aurait qu'à permettre à tous ces faquins-là d'avoir raison, vous verriez bientÎt ce que deviendrait l'autorité. La Jeunesse, éternuant. J'aime autant recevoir mon congé. Un service terrible, et toujours un train d'enfer! L'Eveillé, pleurant. Un pauvre homme de bien est traité comme un misérable. Bartholo Sors donc, pauvre homme de bien! Il les contrefait. Et t'chi et t'cha; l'un m'éternue au nez, l'autre m'y bùille. La Jeunesse Ah! monsieur, je vous jure que, sans mademoiselle, il n'y aurait... il n'y aurait pas moyen de rester dans la maison. Il sort en éternuant. Bartholo Dans quel état ce Figaro les a mis tous! je vois ce que c'est le maraud voudrait me payer mes cent écus sans bourse délier... ScÚne VIII Bartholo, Don Bazile; Figaro, caché dans le cabinet, paraÃt de temps en temps, et les écoute. Bartholo continue. Ah! don Bazile, vous veniez donner à Rosine sa leçon de musique? Bazile C'est ce qui presse le moins. Bartholo J'ai passé chez vous sans vous trouver. Bazile J'étais sorti pour vos affaires. Apprenez une nouvelle assez fùcheuse. Bartholo Pour vous? Bazile Non, pour vous. Le comte Almaviva est en cette ville. Bartholo Parlez bas. Celui qui faisait chercher Rosine dans tout Madrid? Bazile Il loge à la grande place, et sort tous les jours déguisé. Bartholo Il n'en faut point douter, cela me regarde. Et que faire? Bazile Si c'était un particulier, on viendrait à bout de l'écarter. Bartholo Oui, en s'embusquant le soir, armé, cuirassé... Bazile Bone Deus! se compromettre! Susciter une méchante affaire, à la bonne heure; et pendant la fermentation, calomnier à dire d'experts; concedo. Bartholo Singulier moyen de se défaire d'un homme! Bazile La calomnie, monsieur! Vous ne savez guÚre ce que vous dédaignez; j'ai vu les plus honnÃÂȘtes gens prÚs d'en ÃÂȘtre accablés. Croyez qu'il n'y a pas de plate méchanceté, pas d'horreurs, pas de conte absurde, qu'on ne fasse adopter aux oisifs d'une grande ville en s'y prenant bien et nous avons ici des gens d'une adresse!... D'abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l'orage, pianissimo, murmure et file, et sÚme en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano, vous le glisse en l'oreille adroitement. Le mal est fait; il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez calomnie se dresser, siffler, s'enfler, grandir à vue d'oeil. Elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraÃne, éclate et tonne, et devient, grùce au ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait. Bartholo Mais quel radotage me faites-vous donc là , Bazile? Et quel rapport ce piano-crescendo peut-il avoir à ma situation? Bazile Comment, quel rapport? Ce qu'on fait partout pour écarter son ennemi, il faut le faire ici pour empÃÂȘcher le vÎtre d'approcher. Bartholo D'approcher? je prétends bien épouser Rosine avant qu'elle apprenne seulement que ce Comte existe. Bazile En ce cas, vous n'avez pas un instant à perdre. Bartholo Et à qui tient-il, Bazile? je vous ai chargé de tous les détails de cette affaire. Bazile Oui, mais vous avez lésiné sur les frais; et dans l'harmonie du bon ordre un mariage inégal, un jugement inique, un passe-droit évident, sont des dissonances qu'on doit toujours préparer et sauver par l'accord parfait de l'or. Bartholo, lui donnant de l'argent. Il faut en passer par oÃÂč vous voulez; mais finissons Bazile Cela s'appelle parler. Demain tout sera terminé c'est à vous d'empÃÂȘcher que personne, aujourd'hui, ne puisse instruire la Pupille. Bartholo Fiez-vous-en à moi. Viendrez-vous ce soir, Bazile? Bazile N'y comptez pas. Votre mariage seul m'occupera toute la journée; n'y comptez pas. Bartholo l'accompagne. Bazile Restez, docteur, restez donc. Bartholo Non pas. je veux fermer sur vous la porte de la rue. ScÚne IX Figaro, seul, sortant du cabinet. Oh! la bonne précaution! Ferme, ferme la porte de la rue, et moi je vais la rouvrir au Comte en sortant. C'est un grand maraud que ce Bazile! heureusement il est encore plus sot. Il faut un état, une famille, un nom, un rang, de la consistance enfin, pour faire sensation dans le monde en calomniant. Mais un Bazile! il médirait, qu'on ne le croirait pas. ScÚne X Rosine, accourant; Figaro. Rosine Quoi! vous ÃÂȘtes encore là , monsieur Figaro? Figaro TrÚs heureusement pour vous, mademoiselle. Votre tuteur et votre maÃtre de musique, se croyant seuls ici viennent de parler à coeur ouvert... Rosine Et vous les avez écoutés monsieur Figaro? Mais savez-vous que c'est fort mal! Figaro D'écouter? C'est pourtant ce qu'il y a de mieux pour bien entendre. Apprenez que votre tuteur se dispose à vous épouser demain. Rosine Ah! grands dieux! Figaro Ne craignez rien; nous lui donnerons tant d'ouvrage, qu'il n'aura pas le temps de songer à celui-là . Rosine Le voici qui revient; sortez donc par le petit escalier. Vous me faites mourir de frayeur. Figaro s'enfuit. ScÚne XI Bartholo, Rosine. Rosine Vous étiez ici avec quelqu'un, monsieur? Bartholo Don Bazile que j'ai reconduit, et pour cause. Vous eussiez mieux aimé que c'eût été monsieur Figaro? Rosine Cela m'est fort égal, je vous assure. Bartholo je voudrais bien savoir ce que ce barbier avait de si pressé à vous dire? Rosine Faut-il parler sérieusement? Il m'a rendu compte de l'état de Marceline, qui mÃÂȘme n'est pas trop bien, à ce qu'il dit. Bartholo Vous rendre compte! je vais parier qu'il était chargé de vous remettre quelque lettre. Rosine Et de qui, s'il vous plaÃt? Bartholo Oh! de qui! De quelqu'un que les femmes ne nomment jamais. Que sais-je, moi? Peut-ÃÂȘtre la réponse au papier de la fenÃÂȘtre. Rosine, à part. Il n'en a pas manqué une seule. Haut. Vous mériteriez bien que cela fût. Bartholo regarde les mains de Rosine. Cela est. Vous avez écrit. Rosine, avec embarras. Il serait assez plaisant que vous eussiez le projet de m'en faire convenir. Bartholo, lui prenant la main droite. Moi! point du tout; mais votre doigt est encore taché d'encre! Hein! rusée signora! Rosine, à part. Maudit homme! Bartholo, lui tenant toujours la main. Une femme se croit bien en sûreté, parce qu'elle est seule. Rosine Ah! sans doute... La belle preuve!... Finissez donc, monsieur, vous me tordez le bras. je me suis brûlée en chiffonnant autour de cette bougie; et l'on m'a toujours dit qu'il fallait aussitÎt tremper dans l'encre c'est ce que j'ai fait. Bartholo C'est ce que vous avez fait? Voyons donc si un second témoin confirmera la déposition du premier. C'est ce cahier de papier oÃÂč je suis certain qu'il y avait six feuilles; car je les compte tous les matins, aujourd'hui encore. Rosine, à part. Oh! imbécile! Bartholo, comptant. Trois, quatre, cinq... Rosine La sixiÚme... Bartholo je vois bien qu'elle n'y est pas, la sixiÚme. Rosine, baissant les yeux. La sixiÚme? je l'ai employée à faire un cornet pour des bonbons que j'ai envoyés à la petite Figaro. Bartholo A la petite Figaro? Et la plume qui était toute neuve, comment est-elle devenue noire? Est-ce en écrivant l'adresse de la petite Figaro? Rosine, à part. Cet homme a un instinct de jalousie!... Haut. Elle m'a servi à retracer une fleur effacée sur la veste que je vous brode au tambour. Bartholo Que cela est édifiant! Pour qu'on vous crût, mon enfant, il faudrait ne pas rougir en déguisant coup sur coup la vérité, mais c'est ce que vous ne savez pas encore. Rosine Eh! qui ne rougirait pas, monsieur, de voir tirer des conséquences aussi malignes des choses les plus innocemment faites? Bartholo Certes, j'ai tort. Se brûler le doigt, le tremper dans l'encre, faire des cornets aux bonbons de la petite Figaro, et dessiner ma veste au tambour! quoi de plus innocent? Mais que de mensonges entassés pour cacher un seul fait!... je suis seule, on ne me voit point; je pourrai mentir à mon aise. Mais le bout du doigt reste noir, la plume est tachée, le papier manque! On ne saurait penser à tout. Bien certainement, signora, quand j'irai par la ville, un bon double tour me répondra de vous. ScÚne XII Le Comte, Bartholo, Rosine. Le Comte, en uniforme de cavalerie, ayant l'air d'ÃÂȘtre entre deux vins et chantant Réveillons-la, etc. Bartholo Mais que nous veut cet homme? Un soldat! Rentrez chez vous, signora. Le Comte chante Réveillons-la, et s'avance vers Rosine. Qui de vous deux, mesdames, se nomme le docteur Balordo? A Rosine, bas. je suis Lindor. Bartholo Bartholo! Rosine, à part. Il parle de Lindor. Le Comte Balordo, Barque à l'eau, je m'en moque comme de ça. Il s'agit seulement de savoir laquelle des deux... A Rosine, lui montrant un papier. Prenez cette lettre. Bartholo Laquelle! Vous voyez bien que c'est moi. Laquelle! Rentrez donc, Rosine; cet homme paraÃt avoir du vin. Rosine C'est pour cela, monsieur; vous ÃÂȘtes seul. Une femme en impose quelquefois. Bartholo Rentrez, rentrez; je ne suis pas timide. ScÚne XIII Le Comte, Bartholo. Le Comte Oh! je vous ai reconnu d'abord à votre signalement. Bartholo, au Comte, qui serre la lettre. Qu'est-ce que c'est donc que vous cachez là dans votre poche? Le Comte je le cache dans ma poche, pour que vous ne sachiez pas ce que c'est. Bartholo Mon signalement! Ces gens-là croient toujours parler à des soldats. Le Comte Pensez-vous que ce soit une chose si difficile à faire que votre signalement? Le chef branlant, la tÃÂȘte chauve, Les yeux vairons, le regard fauve, L'air farouche d'un Algonquin... Bartholo Qu'est-ce que cela veut dire? Etes-vous ici pour m'insulter? Délogez à l'instant. Le Comte Déloger! Ah! fi! que c'est mal parler! Savez-vous lire, docteur... Barbe à l'eau? Bartholo Autre question saugrenue. Le Comte Oh! que cela ne vous fasse point de peine; car, moi qui suis pour le moins aussi docteur que vous... Bartholo Comment cela? Le Comte Est-ce que je ne suis 'pas le médecin des chevaux du régiment? Voilà pourquoi l'on m'a exprÚs logé chez un confrÚre. Bartholo Oser comparer un maréchal... Le Comte Air Vive le vin. Sans chanter. Non, docteur, je ne prétends pas Que notre art obtienne le pas Sur Hippocrate et sa brigade. En chantant. Votre savoir, mon camarade, Est d'un succÚs plus général, Car s'il n'emporte point le mal, Il emporte au moins le malade. C'est-il poli ce que je vous dis là ? Bartholo Il vous sied bien, manipuleur ignorant, de ravaler ainsi le premier, le plus grand et le plus utile des arts! Le Comte Utile tout à fait, pour ceux qui l'exercent. Bartholo Un art dont le soleil s'honore d'éclairer les succÚs! Le Comte Et dont la terre s'empresse de couvrir les bévues. Bartholo On voit bien, malappris, que vous n'ÃÂȘtes habitué de parler qu'à des chevaux. Le Comte Parler à des chevaux? Ah! docteur! pour un docteur d'esprit... N'est-il pas de notoriété que le maréchal guérit toujours ses malades sans leur parler; au lieu que le médecin parle beaucoup aux siens... Bartholo Sans les guérir, n'est-ce pas? Le Comte C'est vous qui l'avez dit. Bartholo Qui diable envoie ici ce maudit ivrogne? Le Comte Je crois que vous me lùchez des épigrammes, l'Amour! Bartholo Enfin, que voulez-vous? que demandez-vous? Le Comte, feignant une grande colÚre. Eh bien donc, il s'enflamme! Ce que je veux? Est-ce que vous ne le voyez pas? ScÚne XIV Rosine, Le Comte, Bartholo. Rosine, accourant. Monsieur le soldat, ne vous emportez point, de grùce! A Bartholo. Parlez-lui doucement, monsieur un homme qui déraisonne... Le Comte Vous avez raison; il déraisonne, lui; mais nous sommes raisonnables, nous! Moi poli, et vous jolie... enfin suffit. La vérité, c'est que je ne veux avoir affaire qu'à vous dans la maison. Rosine Que puis-je pour votre service, monsieur le soldat? Le Comte Une petite bagatelle, mon enfant. Mais s'il y a de l'obscurité dans mes phrases... Rosine J'en saisirai l'esprit. Le Comte, lui montrant la lettre. Non, attachez-vous à la lettre, à la lettre. Il s'agit seulement... mais je dis en tout bien, tout. honneur, que vous me donniez à coucher ce soir. Bartholo Rien que cela? Le Comte Pas davantage. Lisez le billet doux que notre maréchal-des-logis vous écrit. Bartholo Voyons. Le Comte cache la lettre et lui donne un autre papier. Bartholo lit. "Le docteur Bartholo recevra, nourrira, hébergera, couchera... Le Comte, appuyant. Bartholo "Pour une nuit seulement, le nommé Lindor, dit l'Ecolier, cavalier au régiment..." Rosine C'est lui, c'est lui-mÃÂȘme. Bartholo, vivement, à Rosine. Qu'est-ce qu'il y a? Le Comte Eh bien! ai-je tort à présent, docteur Barbaro? Bartholo On dirait que cet homme se fait un malin plaisir de m'estropier de toutes les maniÚres possibles. Allez au diable, Barbaro! Barbe à l'eau! et dites à votre impertinent maréchal-des-logis que, depuis mon voyage à Madrid, je suis exempt de loger des gens de guerre. Le Comte, à part. O ciel! fùcheux contretemps! Bartholo Ah! ah! notre ami, cela vous contrarie et vous dégrise un peu! mais n'en décampez pas moins à l'instant. Le Comte, à part. J'ai pensé me trahir. Haut. Décamper! Si vous ÃÂȘtes exempt des gens de guerre, vous n'ÃÂȘtes pas exempt de politesse, peut-ÃÂȘtre? Décamper! Montrez-moi votre brevet d'exemption; quoique je ne sache pas lire, je verrai bientÎt... Bartholo Qu'à cela ne tienne. Il est dans ce bureau. Le Comte, pendant qu'il y va, dit, sans quitter sa place. Ah! ma belle Rosine! Rosine Quoi, Lindor, c'est vous? Le Comte Recevez au moins cette lettre. Rosine Prenez garde, il a les yeux sur nous. Le Comte Tirez votre mouchoir, je la laisserai tomber. Il s'approche. Bartholo Doucement, doucement, seigneur soldat; je n'aime point qu'on regarde ma femme de si prÚs. Le Comte Elle est votre femme? Bartholo Eh! quoi donc? Le Comte Je vous ai pris pour son bisaïeul paternel, maternel, sempiternel il y a au moins trois générations entre elle et vous. Bartholo lit un parchemin. "Sur les bons et fidÚles témoignages qui nous ont été rendus..." Le Comte donne un coup de main sous les parchemins, qui les envoie au plancher. Est-ce que j'ai besoin de tout ce verbiage? Bartholo Savez-vous bien, soldat, que si j'appelle mes gens, je vous fais traiter sur-le-champ comme vous le méritez? Le Comte Bataille? Ah! volontiers, bataille! c'est mon métier, à moi, montrant son pistolet de ceinture et voici de quoi leur jeter de la poudre aux yeux. Vous n'avez peut-ÃÂȘtre jamais vu de bataille, madame? Rosine Ni ne veux en voir. Le Comte Rien n'est pourtant aussi gai que bataille. Figurez-vous poussant le docteur d'abord que l'ennemi est d'un cÎté du ravin, et les amis de l'autre. A Rosine en lui montrant la lettre. Sortez le mouchoir. Il crache à terre. Voilà le ravin, cela s'entend. Rosine tire son mouchoir; le Comte laisse tomber sa lettre entre elle et lui. Bartholo, se baissant. Ah! ah! Le Comte la reprend et dit Tenez... moi qui allais vous apprendre ici les secrets de mon métier... Une femme bien discrÚte, en vérité! Ne voilà -t-il pas un billet doux qu'elle laisse tomber de sa poche? Bartholo Donnez, donnez. Le Comte Dulciter, papa! chacun son affaire. Si une ordonnance de rhubarbe était tombée de la vÎtre?... Rosine avance la main. Ah! je sais ce que c'est, monsieur le soldat. Elle prend la lettre, qu'elle cache dans la petite poche de son tablier. Bartholo Sortez-vous enfin? Le Comte Eh bien, je sors. Adieu, docteur; sans rancune. Un petit compliment, mon coeur priez la mort de m'oublier encore quelques campagnes; la vie ne m'a jamais été si chÚre. Bartholo Allez toujours. Si j'avais ce crédit-là sur la mort... Le Comte Sur la mort? Ah, docteur! Vous faites tant de choses pour elle, qu'elle n'a rien à vous refuser. Il sort. ScÚne XV Bartholo, Rosine. Bartholo le regarde aller. Il est enfin parti, A part. Dissimulons. Rosine Convenez pourtant, monsieur, qu'il est bien gai, ce jeune soldat! A travers son ivresse, on voit qu'il ne manque ni d'esprit, ni d'une certaine éducation. Bartholo Heureux, m'amour, d'avoir pu nous en délivrer! Mais n'es-tu pas un peu curieuse de lire avec moi le papier qu'il t'a remis? Rosine Quel papier? Bartholo Celui qu'il a feint de ramasser pour te le faire accepter. Rosine Bon! c'est la lettre de mon cousin l'officier, qui était tombée de ma poche. Bartholo J'ai idée, moi, qu'il l'a tirée de la sienne. Rosine Je l'ai trÚs bien reconnue. Bartholo Qu'est-ce qu'il coûte d'y regarder? Rosine Je ne sais pas seulement ce que j'en ai fait. Bartholo, montrant la pochette. Tu l'as mise là . Rosine Ah! ah! par distraction. Bartholo Ah! sûrement. Tu vas voir que ce sera quelque folie. Rosine, à part. Si je ne le mets pas en colÚre, il n'y aura pas moyen de refuser. Bartholo Donne donc, mon coeur. Rosine Mais quelle idée avez-vous en insistant, monsieur? Est-ce encore quelque méfiance? Bartholo Mais vous, quelle raison avez-vous de ne pas le montrer? Rosine Je vous répÚte, monsieur, que ce papier n'est autre que la lettre de mon cousin, que vous m'avez rendue hier toute décachetée; et puisqu'il en est question, je vous dirai tout net que cette liberté me déplaÃt excessivement. Bartholo Je ne vous entends pas! Rosine Vais-je examiner les papiers qui vous arrivent? Pourquoi vous donnez-vous les airs de toucher à ceux qui me sont adressés? Si c'est jalousie, elle m'insulte; s'il s'agit de l'abus d'une autorité usurpée, j'en suis plus révoltée encore. Bartholo Comment, révoltée! Vous ne m'avez jamais parlé ainsi. Rosine Si je me suis modérée jusqu'à ce jour, ce n'était pas pour vous donner le droit de m'offenser impunément. Bartholo De quelle offense parlez-vous? Rosine C'est qu'il est inouï qu'on se permette d'ouvrir les lettres de quelqu'un. Bartholo De sa femme? Rosine Je ne la suis pas encore. Mais pourquoi lui donnerait-on la préférence d'une indignité qu'on ne fait à personne? Bartholo Vous voulez me faire prendre le change et détourner mon attention du billet, qui sans doute est une missive de quelque amant. Mais je le verrai, je vous assure. Rosine Vous ne le verrez pas. Si vous m'approchez, je m'enfuis de cette maison, et je demande retraite au premier venu. Bartholo Qui ne vous recevra point. Rosine C'est ce qu'il faudra voir. Bartholo Nous ne sommes pas ici en France, oÃÂč l'on donne toujours raison aux femmes; mais, pour vous en Îter la fantaisie, je vais fermer la porte. Rosine, pendant qu'il y va. Ah ciel! que faire? Mettons vite à la place la lettre de mon cousin, et donnons-lui beau jeu à la prendre. Elle fait l'échange, et met la lettre du cousin dans sa pochette de façon qu'elle sorte un peu. Bartholo, revenant. Ah! j'espÚre maintenant la voir. Rosine De quel droit, s'il vous plaÃt? Bartholo Du droit le plus universellement reconnu; celui du plus fort. Rosine On me tuera plutÎt que de l'obtenir de moi. Bartholo, frappant du pied. Madame! madame!... Rosine tombe sur un fauteuil et feint de se trouver mal. Ah! quelle indignité!... Bartholo Donnez cette lettre, ou craignez ma colÚre. Rosine, renversée. Malheureuse Rosine! Bartholo Qu'avez-vous donc? Rosine Quel avenir affreux! Bartholo Rosine! Rosine J'étouffe de fureur! Bartholo Elle se trouve mal. Rosine Je m'affaiblis, je meurs. Bartholo, à part. Dieux! la lettre! Lisons-la sans qu'elle en soit instruite. Il lui tùte le pouls, et prend la lettre qu'il tùche de lire en se tournant un peu. Rosine, toujours renversée. Infortunée! ah! Bartholo lui quitte le bras, et dit à part Quelle rage a-t-on d'apprendre ce qu'on craint toujours de savoir! Rosine Ah! pauvre Rosine! Bartholo L'usage des odeurs... produit ces affections spasmodiques. Il lit par-derriÚre le fauteuil en lui tùtant le pouls. Rosine se relÚve un peu, le regarde finement, fait un geste de tÃÂȘte, et se remet sans parler. Bartholo, à part. O ciel! c'est la lettre de son cousin. Maudite inquiétude! Comment l'apaiser maintenant? Qu'elle ignore au moins que je l'ai lue. Il fait semblant de la soutenir, et remet la lettre dans la pochette. Rosine soupire. Ah!... Bartholo Eh bien! ce n'est rien, mon enfant un petit mouvement de vapeurs, voilà tout; car ton pouls n'a seulement pas varié. Il va prendre un flacon sur la console. Rosine, à part. Il a remis la lettre! fort bien. Bartholo Ma chÚre Rosine, un peu de cette eau spiritueuse. Rosine Je ne veux rien de vous laissez-moi. Bartholo Je conviens que j'ai montré trop de vivacité sur ce billet. Rosine Il s'agit bien du billet! C'est votre façon de demander les choses qui est révoltante. Bartholo, à genoux. Pardon j'ai bientÎt senti tous mes torts; et tu me vois à tes pieds, prÃÂȘt à les réparer. Rosine Oui, pardon! lorsque vous croyez que cette lettre ne vient pas de mon cousin. Bartholo Qu'elle soit d'un autre ou de lui, je ne veux aucun éclaircissement. Rosine, lui présentant la lettre. Vous voyez qu'avec de bonnes façons on obtient tout de moi. Lisez-la. Bartholo Cet honnÃÂȘte procédé dissiperait mes soupçons, si j'étais assez malheureux pour en conserver. Rosine Lisez-la donc, monsieur. Bartholo se retire. A Dieu ne plaise que je te fasse une pareille injure! Rosine Vous me contrariez de la refuser. Bartholo Reçois en réparation cette marque de ma parfaite confiance. Je vais voir la pauvre Marceline, que ce Figaro a, je ne sais pourquoi, saignée du pied n'y viens-tu pas aussi? Rosine J'y monterai dans un moment. Bartholo Puisque la paix est faite, mignonne, donne-moi ta main. Si tu pouvais m'aimer, ah! comme tu serais heureuse! Rosine, baissant les yeux. Si vous pouviez me plaire, ah! comme je vous aimerais. Bartholo Je te plairai, je te plairai; quand je te dis que je te plaira! Il sort. ScÚne XVI Rosine le regarde aller. Ah! Lindor! il dit qu'il me plaira!... Lisons cette lettre qui a manqué de me causer tant de chagrin. Elle lit s'écrie Ah!... j'ai lu trop tard; il me recommande de tenir une querelle ouverte avec mon tuteur j'en avais une si bonne, et je l'ai laissée échapper. En recevant la lettre, j'ai senti que je rougissais jusqu'aux yeux. Ah! mon tuteur a raison je suis bien loin d'avoir cet usage du monde qui, me dit-il souvent, assure le maintien des femmes en toute occasion! Mais un homme injuste parviendrait à faire une rusée de l'innocence mÃÂȘme. Acte troisiÚme ScÚne I Bartholo, seul et désolé. Quelle humeur! quelle humeur! Elle paraissait apaisée... Là , qu'on me dise qui diable lui a fourré dans la tÃÂȘte de ne plus vouloir prendre leçon de don Bazile! Elle sait qu'il se mÃÂȘle de mon mariage... On heurte à la porte. Faites tout au monde pour plaire aux femmes; si vous omettez un seul petit point... je dis un seul... On heurte une seconde fois. Voyons qui c'est. ScÚne II Bartholo, Le Comte, en bachelier. Le Comte Que la paix et la joie habitent toujours céans! Bartholo, brusquement. Jamais souhait ne vint plus à propos. Que voulez-vous? Le Comte Monsieur, je suis Alonzo, bachelier, licencié... Bartholo Je n'ai pas besoin de précepteur. Le Comte ... ElÚve de don Bazile, organiste du grand couvent, qui a l'honneur de montrer la musique à madame votre... Bartholo Bazile! organiste! qui a l'honneur!... Je le sais; au fait. Le Comte, à part. Quel homme! Haut. Un mal subit qui le force à garder le lit... Bartholo Garder le lit! Bazile! Il a bien fait d'envoyer; je vais le voir à l'instant. Le Comte, à part. Oh! diable! Haut. Quand je dis le lit, monsieur, c'est la chambre que j'entends. Bartholo Ne fût-il qu'incommodé! Marchez devant, je vous suis. Le Comte, embarrassé. Monsieur, j'étais chargé... Personne ne peut-il nous entendre? Bartholo, à part. C'est quelque fripon... Haut. Eh non, monsieur le mystérieux! parlez sans vous troubler, si vous pouvez. Le Comte, à part. Maudit vieillard! Haut. Don Bazile m'avait chargé de vous apprendre... Bartholo Parlez haut, je suis sourd d'une oreille. Le Comte, élevant la voix. Ah! volontiers. Que le comte Almaviva, qui restait à la grande place... Bartholo, effrayé. Parlez bas; parlez bas! Le Comte, plus haut. ... En est délogé ce matin. Comme c'est par moi qu'il a su que le comte Almaviva... Bartholo Bas; parlez bas,. je vous prie. Le Comte, du mÃÂȘme ton. ... Etait en cette ville, et que j'ai découvert que la signora Rosine lui a écrit... Bartholo Lui a écrit? Mon cher ami, parlez plus bas, je vous en conjure! Tenez, asseyons-nous, et jasons d'amitié. Vous avez découvert, dites-vous, que Rosine... Le Comte, fiÚrement. Assurément. Bazile, inquiet pour vous de cette correspondance, m'avait prié de vous montrer sa lettre; mais la maniÚre dont vous prenez les choses... Bartholo Eh! mon Dieu! je les prends bien. Mais ne vous est-il pas possible de parler plus bas? Le Comte Vous ÃÂȘtes sourd d'une oreille, avez-vous dit. Bartholo Pardon, pardon, seigneur Alonzo, si vous m'avez trouvé méfiant et dur; mais je suis tellement entouré d'intrigants, de piÚges... et puis votre tournure, votre ùge, votre air... Pardon, pardon. Eh bien! vous avez la lettre? Le Comte A la bonne heure sur ce ton, monsieur! Mais je crains qu'on ne soit aux écoutes. Bartholo Eh! qui voulez-vous? tous mes valets sur les dents! Rosine enfermée de fureur! Le diable est entré chez moi. Je vais encore m'assurer... Il va ouvrir doucement la porte de Rosine. Le Comte, à part. Je me suis enferré de dépit. Garder la lettre à présent! il faudra m'enfuir autant vaudrait n'ÃÂȘtre pas venu... La lui montrer!... Si je puis en prévenir Rosine, la montrer est un coup de maÃtre. Bartholo revient sur la pointe du pied. Elle est assise auprÚs de sa fenÃÂȘtre, le dos tourné à la porte, occupée à relire une lettre de son cousin l'officier, que j'avais décachetée,... Voyons donc la sienne. Le Comte lui remet la lettre de Rosine. La voici. A part. C'est ma lettre qu'elle relit. Bartholo lit. "Depuis que vous m'avez appris votre nom et votre état." Ah! la perfide! c'est bien là sa main. Le Comte, effrayé. Parlez donc bas à votre tour. Bartholo Quelle obligation, mon cher!... Le Comte Quand tout sera fini, si vous croyez m'en devoir, vous serez le maÃtre. D'aprÚs un travail que fait actuellement don Bazile avec un homme de loi... Bartholo Avec un homme de loi, pour mon mariage? Le Comte Sans doute. Il m'a chargé de vous dire que tout peut ÃÂȘtre prÃÂȘt pour demain. Alors, si elle résiste... Bartholo Elle résistera. Le Comte veut reprendre la lettre, Bartholo la serre. Voilà l'instant oÃÂč je puis vous servir nous lui montrerons sa lettre, et s'il le faut plus mystérieusement, j'irai jusqu'à lui dire que je la tiens d'une femme à qui le Comte l'a sacrifiée. Vous sentez que le trouble, la honte, le dépit, peuvent la porter sur-le-champ... Bartholo, riant. De la calomnie! Mon cher ami, je vois bien maintenant que vous venez de la part de Bazile! Mais pour que ceci n'eût pas l'air concerté, ne serait-il pas bon qu'elle vous connût d'avance? Le Comte réprime un grand mouvement de joie. C'était assez l'avis de don Bazile. Mais comment faire? Il est tard... au peu de temps qui reste... Bartholo Je dirai que vous venez en sa place. Ne lui donnerez-vous pas bien une leçon? Le Comte Il n'y a rien que je ne fasse pour vous plaire. Mais prenez garde que toutes ces histoires de maÃtres supposés sont de vieilles finesses, des moyens de comédie. Si elle va se douter?... Bartholo Présenté par moi, quelle apparence? Vous avez plus l'air d'un amant déguisé que d'un ami officieux. Le Comte Oui? Vous croyez donc que mon air peut aider à la tromperie? Bartholo Je le donne au plus fin à deviner, Elle est ce soir d'une humeur horrible. Mais quand elle ne ferait que vous voir... Son clavecin est dans ce cabinet. Amusez-vous en l'attendant je vais faire l'impossible pour l'amener. Le Comte Gardez-vous bien de lui parler de la lettre. Bartholo Avant l'instant décisif? Elle perdrait tout son effet. Il ne faut pas me dire deux fois les choses il ne faut pas me les dire deux fois. Il s'en va. ScÚne III Le Comte, seul. Me voilà sauvé. Ouf! Que ce diable d'homme est rude à manier! Figaro le connaÃt bien. Je me voyais mentir; cela me donnait un air plat et gauche; et il a des yeux!... Ma foi, sans l'inspiration subite de la lettre, il faut l'avouer, j'étais éconduit comme un sot. O ciel! on dispute là -dedans. Si elle allait s'obstiner à ne pas venir! Ecoutons... Elle refuse de sortir de chez elle, et j'ai perdu le fruit de ma ruse. Il retourne écouter. La voici; ne nous montrons pas d'abord. Il entre dans le cabinet. ScÚne IV Le Comte, Rosine, Bartholo Rosine, avec une colÚre simulée. Tout ce que vous direz est inutile, monsieur. J'ai pris mon parti; je ne veux plus entendre parler de musique. Bartholo Ecoute donc, mon enfant; c'est le seigneur Alonzo, l'élÚve et l'ami de don Bazile, choisi par lui pour ÃÂȘtre un de nos témoins. - La musique te calmera, je t'assure. Rosine Oh! pour cela vous pouvez vous en détacher. Si je chante ce soir!... OÃÂč donc est-il ce maÃtre que vous craignez de renvoyer? je vais, en deux mots, lui donner son compte, et celui de Bazile. Elle aperçoit son amant elle fait un cri. Ah!... Bartholo Qu'avez-vous? Rosine, les deux mains sur son coeur, avec un grand trouble. Ah! mon Dieu, monsieur... Ah! mon Dieu, monsieur... Bartholo Elle se trouve encore mal! Seigneur Alonzo! Non, je ne me trouve pas mal... mais c'est qu'en me tournant... Ah!... Le Comte Le pied vous a tourné, madame? Rosine Ah! oui, le pied m'a tourné. je me suis fait un mal horrible. Le Comte Je m'en suis bien aperçu. Rosine, regardant le Comte. Le coup m'a porté au coeur. Bartholo Un siÚge, un siÚge. Et pas un fauteuil ici? Il va le chercher. Le Comte Ah! Rosine! Rosine Quelle imprudence! Le Comte J'ai mille choses essentielles à vous dire. Rosine Il ne nous quittera pas. Le Comte Figaro va venir nous aider. Bartholo, apportant un fauteuil. Tiens, mignonne, assieds-toi. - Il n'y a pas d'apparence, bachelier, qu'elle prenne de leçon ce soir; ce sera pour un autre jour. Adieu. Rosine, au Comte. Non, attendez; ma douleur est un peu apaisée. A Bartholo. Je sens que j'ai eu tort avec vous, monsieur je veux vous imiter, en réparant sur-le-champ... Bartholo Oh! le bon petit naturel de femme! Mais, aprÚs une pareille émotion, mon enfant, je ne souffrirai pas que tu fasses le moindre effort. Adieu, adieu, bachelier. Rosine, au Comte. Un moment, de grùce! A Bartholo. Je croirai, monsieur, que vous n'aimez pas à m'obliger, si vous m'empÃÂȘchez de vous prouver mes regrets en prenant ma leçon. Le Comte, à part, à Bartholo. Ne la contrariez pas, si vous m'en croyez. Bartholo Voilà qui est fini, mon amoureuse. Je suis si loin de chercher à te déplaire, que je veux rester là tout le temps que tu vas étudier. Rosine Non, monsieur. je sais que la musique n'a nul attrait pour vous. Bartholo Je t'assure que ce soir elle m'enchantera. Rosine, au Comte, à part. Je suis au supplice. Le Comte, prenant un papier de musique sur le pupitre. Est-ce là ce que vous voulez chanter, madame? Rosine Oui, c'est un morceau trÚs agréable de La Précaution inutile. Bartholo Toujours La Précaution inutile! Le Comte C'est ce qu'il y a de plus nouveau aujourd'hui. C'est une image du printemps, d'un genre assez vif. Si madame veut l'essayer... Rosine, regardant le Comte. Avec grand plaisir un tableau du printemps me ravit; c'est la jeunesse de la nature. Au sortir de l'hiver, il semble que le coeur acquiÚre un plus haut degré de sensibilité comme un esclave, enfermé depuis longtemps, goûte avec plus de plaisir le charme de la liberté qui vient de lui ÃÂȘtre offerte. Bartholo, bas au Comte. Toujours des idées romanesques en tÃÂȘte. Le Comte, bas. En sentez-vous l'application? Bartholo Parbleu! Il va s'asseoir dans le fauteuil qu'a occupé Rosine Rosine chante. N° 3. Quand dans la plaine, L'amour ramÚne Le printemps Si chéri des amants, Tout reprend l'ÃÂȘtre, Son feu pénÚtre Dans les fleurs, Et dans les jeunes coeurs. On voit les troupeaux Sortir des hameaux; Dans tous les coteaux Les cris des agneaux Retentissent; Ils bondissent Tout fermente, Tout augmente; Les brebis paissent Les fleurs qui naissent, Les chiens fidÚles Veillent sur elles; Mais Lindor enflammé Ne songe guÚre Qu'au bonheur d'ÃÂȘtre aimé De sa bergÚre. MÃÂȘme air Loin de sa mÚre Cette bergÚre Va chantant OÃÂč son amant l'attend. Par cette ruse, L'amour l'abuse; Mais chanter Sauve-t-il du danger? Les doux chalumeaux, Les chants des oiseaux, Ses charmes naissants, Ses quinze ou seize ans, Tout l'excite, Tout l'agite; La pauvrette S'inquiÚte. De sa retraite, Lindor la guette; Elle s'avance; Lindor s'élance; Il vient de l'embrasser Elle, bien aise, Feint de se courroucer Pour qu'on l'apaise PETITE REPRISE Les soupirs, Les soins, les promesses, Les vives tendresses, Les plaisirs, Le fin badinage, Sont mis, en usage; Et bientÎt la bergÚre Ne sent plus de colÚre. Si quelque jaloux. Trouble un bien si doux, Nos amants d'accord Ont un soin extrÃÂȘme... De voiler leur transport; Mais quand on s'aime, La gÃÂȘne ajoute encor Au plaisir mÃÂȘme. En l'écoutant, Bartholo, s'est assoupi. Le Comte, pendant la petite reprise, se hasarde à prendre une main qu'il couvre de baisers. L'émotion ralentit le chant de Rosine, l'affaiblit, et finit mÃÂȘme par lui couper la voix au milieu de la cadence, au mot extrÃÂȘme. L'orchestre sait le mouvement de la chanteuse, affaiblit son jeu, et se tait avec elle. L'absence du bruit qui avait endormi Bartholo, le réveille. Le Comte se relÚve, Rosine et l'orchestre reprennent subitement la suite de l'air. Si la petite reprise se répÚte, le mÃÂȘme jeu recommence. Le Comte En vérité, c'est un morceau charmant, et madame l'exécute avec une intelligence... Rosine Vous me flattez, seigneur; la gloire est tout entiÚre au maÃtre. Bartholo, bùillant. Moi, je crois que j'ai un peu dormi pendant le morceau charmant. J'ai mes malades. Je vas, je viens, je toupille, et sitÎt que je m'assieds, mes pauvres jambes... Il se lÚve et pousse le fauteuil. Rosine, bas au Comte Figaro ne vient point! Le Comte Filons le temps. Bartholo Mais, bachelier, je l'ai déjà dit à ce vieux Bazile est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de lui faire étudier des choses plus gaies que toutes ces grandes aria, qui vont en haut, en bas, en routant, hi, ho, a, a, a, a, et qui me semblent autant d'enterrements? Là , de ces petits airs qu'on chantait dans ma jeunesse, et que chacun retenait facilement? J'en savais autrefois... Par exemple... Pendant la ritournelle, il cherche en se grattant la tÃÂȘte et chante en faisant claquer ses pouces et dansant des genoux comme les vieillards. Veux-tu, ma Rosinette, Faire emplette Du roi des maris?... Au Comte en riant. Il y a Fanchonnette dans la chanson; mais j'y ai substitué Rosinette pour la lui rendre plus agréable et la faire cadrer aux circonstances. Ah! ah! ah! ah! Fort bien! pas vrai? Le Comte, riant. Ah! ah! ah! Oui, tout au mieux. ScÚne V Figaro, dans le fond Rosine, Bartholo, Le Comte. Bartholo chante. Veux-tu, ma Rosinette, Faire emplette Du roi des maris? Je ne suis point Tircis; Mais la nuit, dans l'ombre, Je vaux encor mon prix; Et quand il fait sombre Les plus beaux chats sont gris. Il répÚte la reprise en dansant, Figaro, derriÚre lui, imite ses mouvements. Je ne suis point Tircis, etc. Apercevant Figaro. Ah! entrez, monsieur le barbier; avancez; vous ÃÂȘtes charmant! Figaro salue. Monsieur, il est vrai que ma mÚre me l'a dit autrefois; mais je suis un peu déformé depuis ce temps-là . A part, au Comte. Bravo, Monseigneur! Pendant toute cette scÚne, le Comte fait ce qu'il peut pour parler à Rosine; mais l'oeil inquiet et vigilant du tuteur l'en empÃÂȘche toujours, ce qui forme un jeu muet de tous les acteurs, étranger au débat du docteur et de Figaro. Bartholo Venez-vous purger encore, saigner, droguer, mettre sur le grabat toute ma maison? Figaro Monsieur, il n'est pas tous les jours fÃÂȘte; mais sans compter les soins quotidiens, monsieur a pu voir que, lorsqu'ils en ont besoin, mon zÚle n'attend pas qu'on lui commande... Bartholo Votre zÚle n'attend pas! Que direz-vous, monsieur le zélé, à ce malheureux qui bùille et dort tout éveillé? et l'autre qui, depuis trois heures, éternue à se faire sauter le crùne et jaillir la cervelle! Que leur direz-vous? Figaro Ce que je leur dirai? Bartholo Oui! Figaro Je leur dirai... Eh! parbleu! je dirai à celui qui éternue Dieu vous bénisse! et Va te coucher, à celui qui bùille. Ce n'est pas cela, monsieur, qui grossira le mémoire. Bartholo Vraiment non; mais c'est la saignée et les médicaments qui le grossiraient, si je voulais y entendre. Est-ce par zÚle aussi que vous avez empaqueté les yeux de ma mule, et votre cataplasme lui rendra-t-il la vue? Figaro S'il ne lui rend pas la vue, ce n'est pas cela non plus qui l'empÃÂȘchera d'y voir. Bartholo Que je le trouve sur le mémoire!... On n'est pas de cette extravagance-là ! Figaro Ma foi, monsieur, les hommes n'ayant guÚre à choisir qu'entre la sottise et la folie, oÃÂč je ne vois pas de profit je veux au moins du plaisir; et vive la joie! Qui sait si le monde durera encore trois semaines! Bartholo Vous feriez bien mieux, monsieur le raisonneur, de me payer mes cent écus et les intérÃÂȘts sans lanterner, je vous en avertis. Figaro Doutez-vous de ma probité, monsieur? Vos cent écus! j'aimerais mieux vous les devoir toute ma vie, que de les nier un seul instant. Bartholo Et dites-moi un peu comment la petite Figaro a trouvé les bonbons que vous lui avez portés. Figaro Quels bonbons? Que voulez-vous dire? Bartholo Oui, ces bonbons, dans ce cornet fait avec cette feuille de papier à lettre, ce matin. Figaro Diable emporte si... Rosine, l'interrompant. Avez-vous eu soin au moins de les lui donner de ma part, monsieur Figaro? Je vous l'avais recommandé. Figaro Ah! ah! les bonbons de ce matin? Que je suis bÃÂȘte, moi! j'avais perdu tout cela de vue... Oh! excellents, madame, admirables! Bartholo Excellents! Admirables! Oui, sans doute, monsieur le barbier, revenez sur vos pas! Vous faites là un joli métier, monsieur! Figaro Qu'est-ce qu'il a donc, monsieur? Bartholo Et qui vous fera une belle réputation, monsieur! Figaro Je la soutiendrai, monsieur. Bartholo Dites que vous la supporterez, monsieur. Figaro Comme il vous plaira, monsieur. Bartholo Vous le prenez bien haut, monsieur! Sachez que quand je dispute avec un fat, je ne lui cÚde jamais. Figaro lui tourne le dos. Nous différons en cela, monsieur; moi, je lui cÚde toujours. Bartholo Hein! qu'est-ce qu'il dit donc, bachelier? Figaro C'est que vous croyez avoir affaire à quelque barbier de village, et qui ne sait manier que le rasoir? Apprenez, monsieur, que j'ai travaillé de la plume à Madrid, et que sans les envieux... Bartholo Eh! que n'y restiez-vous, sans venir ici changer de profession? Figaro On fait comme on peut. Mettez-vous à ma place. Bartholo Me mettre à votre place! Ah! parbleu, je dirais de belles sottises! Figaro Monsieur, vous ne commencez pas trop mal; je m'en rapporte à votre confrÚre qui est là rÃÂȘvassant. Le Comte, revenant à lui. Je... je ne suis pas le confrÚre de Monsieur. Figaro Non? Vous voyant ici à consulter, j'ai pensé que vous poursuiviez le mÃÂȘme objet. Bartholo, en colÚre. Enfin, quel sujet vous amÚne? Y a-t-il quelque lettre à remettre encore ce soir à madame? Parlez, faut-il que je me retire? Figaro Comme vous rudoyez le pauvre monde! Eh! parbleu, monsieur, je viens vous raser, voilà tout; n'est-ce pas aujourd'hui votre jour? Bartholo Vous reviendrez tantÎt. Figaro Ah! oui, revenir! toute la garnison prend médecine demain matin, j'en ai obtenu l'entreprise par mes protections. Jugez donc comme j'ai du temps à perdre! Monsieur passe-t-il chez lui? Bartholo Non, monsieur ne passe point chez lui. Et mais... qui empÃÂȘche qu'on ne me rase ici? Rosine, avec dédain. Vous ÃÂȘtes honnÃÂȘte! Et pourquoi pas dans mon appartement? Bartholo Tu te fùches? Pardon, mon enfant, tu vas achever de prendre ta leçon; c'est pour ne pas perdre un instant le plaisir de t'entendre. Figaro, bas au Comte. On ne le tirera pas d'ici! Haut. Allons, L'Eveillé! La jeunesse! le bassin, de l'eau, tout ce qu'il faut à monsieur. Bartholo Sans doute, appelez-les! Fatigués, harassés, moulus de votre façon, n'a-t-il pas fallu les faire coucher! Figaro Eh bien! j'irai tout chercher. N'est-ce pas dans votre chambre? Bas au Comte. Je vais l'attirer dehors. Bartholo détache son trousseau de clefs, et dit par, réflexion Non, non, j'y vais moi-mÃÂȘme. Bas au Comte en s'en allant. Ayez les yeux sur eux, je vous prie. ScÚne VI Figaro, Le Comte, Rosine. Figaro Ah! que nous l'avons manqué belle! il allait me donner le trousseau. La clef de la jalousie n'y est-elle pas? Rosine C'est la plus neuve de toutes. ScÚne VII Bartholo, Figaro, Le Comte, Rosine. Bartholo, revenant. A part. Bon! je ne sais ce que je fais, de laisser ici ce maudit barbier. A Figaro. Tenez. Il lui donne le trousseau. Dans mon cabinet, sous mon bureau; mais ne touchez à rien. Figaro La peste! il y ferait bon, méfiant comme vous ÃÂȘtes! A part, en s'en allant. Voyez comme le ciel protÚge l'innocence! ScÚne VIII Bartholo, Le Comte, Rosine. Bartholo, bas au Comte. C'est le drÎle qui a porté la lettre au Comte. Le Comte, bas. Il m'a l'air d'un fripon. Bartholo Il ne m'attrapera plus. Le Comte Je crois qu'à cet égard le plus fort est fait. Bartholo Tout considéré, j'ai pensé qu'il était plus prudent de l'envoyer dans ma chambre que de le laisser avec elle. Le Comte Ils n'auraient pas dit un mot que je n'eusse été en tiers. Rosine Il est bien poli, messieurs, de parler bas sans cesse! Et ma leçon? Ici l'on entend un bruit comme de la vaisselle renversée. Bartholo, criant. Qu'est-ce que j'entends donc! Le cruel barbier aura tout laissé tomber par l'escalier, et les plus belles piÚces de mon nécessaire!... Il court dehors. ScÚne IX Le comte, Rosine. Le comte Profitons du moment que l'intelligence de Figaro nous ménage. Accordez-moi ce soir, je vous en conjure, madame, un moment d'entretien indispensable pour vous soustraire à l'esclavage oÃÂč vous allez tomber. Rosine Ah! Lindor! Le comte Je puis monter à votre jalousie, et quant à la lettre que j'ai reçue ce matin, je me suis vu forcé... ScÚne X Rosine, Bartholo, Figaro, Le Comte. Bartholo Je ne m'étais pas trompé; tout est brisé, fracassé. Figaro Voyez le grand malheur pour tant de train! On ne voit goutte sur l'escalier. Il montre la clef au Comte. Moi, en montant j'ai accroché une clef... Bartholo On prend garde à ce qu'on fait. Accrocher une clef! L'habile homme. Figaro Ma foi, monsieur, cherchez-en un plus subtil. ScÚne XI Les acteurs précédents, Don Bazile. Rosine, effrayée. A part. Don Bazile!... Le Comte, à part. Juste ciel! Figaro, à part. C'est le diable! Bartholo va au-devant de lui. Ah! Bazile, mon ami, soyez le bien rétabli. Votre accident n'a donc point eu de suites? En vérité, le seigneur Alonzo m'avait fort effrayé sur votre état; demandez-lui, je partais pour vous aller voir, et s'il ne m'avait point retenu... Bazile, étonné. Le seigneur Alonzo?... Figaro frappe du pied. Eh quoi! toujours des accrocs? Deux heures pour une méchante barbe... Chienne de pratique! Bazile, regardant tout le monde. Me ferez-vous bien le plaisir de me dire, messieurs?... Figaro Vous lui parlerez quand je serai parti. Bazile Mais encore faudrait-il... Le Comte Il faudrait vous taire, Bazile. Croyez-vous apprendre à monsieur quelque chose qu'il ignore? Je lui ai raconté que vous m'aviez chargé de venir donner une leçon de musique à votre place. Bazile, plus étonné. La leçon de musique!... Alonzo!... Rosine, à part, à Bazile. Eh! taisez-vous. Bazile Elle aussi! Le Comte, à Bartholo. Dites-lui donc tout bas que nous en sommes convenus. Bartholo, à Bazile, à part. N'allez pas nous démentir, Bazile, en disant qu'il n'est pas votre élÚve, vous gùteriez tout. Bazile Ah! ah! Bartholo, haut. En vérité, Bazile, on n'a pas plus de talent que votre élÚve. Bazile, stupéfait. Que mon élÚve!... Bas. Je venais pour vous dire que le Comte est déménagé. Bartholo, bas. Je le sais, taisez-vous. Bazile, bas. Qui vous l'a dit? Bartholo, bas. Lui, apparemment! Le Comte, bas. Moi, sans doute écoutez seulement. Rosine, bas à Bazile. Est-il si difficile de vous taire? Figaro, bas à Bazile. Hum! Grand escogriffe! Il est sourd! Bazile, à part. Qui diable est-ce donc qu'on trompe ici? Tout le monde est dans le secret! Bartholo, haut. Eh bien, Bazile, votre homme de loi?... Figaro Vous avez toute la soirée pour parler de l'homme de loi. Bartholo, à Bazile. Un mot; dites-moi seulement si vous ÃÂȘtes content de l'homme de loi. Bazile, effaré. De l'homme de loi? Le Comte, souriant. Vous ne l'avez pas vu, l'homme de loi? Bazile, impatienté. Eh! non, je ne l'ai pas vu, l'homme de loi. Le Comte, à Bartholo, à part. Voulez-vous donc qu'il s'explique ici devant elle? Renvoyez-le. Bartholo, bas au Comte. Vous avez raison. A Bazile. Mais quel mal vous a donc pris si subitement? Bazile, en colÚre. Je ne vous entends pas. Le Comte lui met, à part, une bourse dans la main. Oui monsieur vous demande ce que vous venez faire ici, dans l'état d'indisposition oÃÂč vous ÃÂȘtes. Figaro Il est pùle comme un mort! Bazile Ah! je comprends... Le Comte Allez vous coucher, mon cher Bazile vous n'ÃÂȘtes pas bien, et vous nous faites mourir de frayeur. Allez vous coucher. Figaro Il a la physionomie toute renversée. Allez vous coucher, Bartholo D'honneur, il sent la fiÚvre d'une lieue. Allez vous coucher. Rosine Pourquoi donc ÃÂȘtes-vous sorti? On dit que cela se gagne. Allez vous coucher. Bazile; au dernier étonnement. Que j'aille me coucher! Tous les acteurs ensemble Eh! sans doute. Bazile, les regardant tous. En effet, messieurs, je crois que je ne ferai pas mal de me retirer je sens que je ne suis pas ici dans mon assiette ordinaire. Bartholo A demain, toujours, si vous ÃÂȘtes mieux, Le Comte Bazile, je serai chez vous de trÚs bonne heure. Figaro Croyez-moi, tenez-vous bien chaudement dans votre lit. Rosine Bonsoir, monsieur Bazile. Bazile, à part. Diable emporte si j'y comprends rien! et sans cette bourse... Tous Bonsoir, Bazile, bonsoir. Bazile, en s'en allant. Eh bien, bonsoir donc, bonsoir. Ils l'accompagnent tout en riant. ScÚne XII Les acteurs précédents, excepté Bazile. Bartholo, d'un ton important. Cet homme-là n'est pas bien du tout. Rosine Il a les yeux égarés. Le Comte Le grand air l'aura saisi. Figaro Avez-vous vu comme il parlait tout seul? Ce que c'est que de nous! A Bartholo. Ah çà , vous décidez-vous, cette fois? Il lui pousse un fauteuil trÚs loin du Comte et lui présente le linge. Le Comte Avant de finir, madame, je dois vous dire un mot essentiel au progrÚs de l'art que j'ai l'honneur de vous enseigner. Il s'approche, et lui parle bas à l'oreille. Bartholo, à Figaro. Eh mais! il semble que vous le fassiez exprÚs de vous approcher, et de vous mettre devant moi pour m'empÃÂȘcher de voir... Le Comte, bas à Rosine, Nous avons la clef de la jalousie, et nous serons ici à minuit. Figaro passe le linge au cou de Bartholo. Quoi voir? Si c'était une leçon de danse, on vous passerait d'y regarder; mais du chant!... Aie, aïe! Bartholo Qu'est-ce que c'est? Figaro Je ne sais ce qui m'est entré dans l'oeil. Il rapproche sa tÃÂȘte. Bartholo Ne frottez donc pas. Figaro C'est le gauche. Voudriez-vous me faire le plaisir d'y souffler un peu fort? Bartholo prend la tÃÂȘte de Figaro, regarde par-dessus, il pousse violemment et va derriÚre les amants écouter leur conversation. Le Comte, bas à Rosine. Et quant à votre lettre, je me suis trouvé tantÎt dans un tel embarras pour rester ici... Figaro, de loin pour avertir. Hem!... hem!... Le Comte Désolé de voir encore mon déguisement inutile... Bartholo, passant entre deux. Votre déguisement inutile! Rosine, effrayée. Ah!... Bartholo Fort bien, madame, ne vous gÃÂȘnez pas. Comment! sous mes yeux mÃÂȘmes, en ma présence, on m'ose outrager de la sorte! Le Comte Qu'avez-vous donc, seigneur? Bartholo Perfide Alonzo! Le Comte Seigneur Bartholo, si vous avez souvent des lubies comme celle dont le hasard me rend témoin, je ne suis plus étonné de l'éloignement que mademoiselle a pour devenir votre femme. Rosine Sa femme! Moi! Passer mes jours auprÚs d'un vieux jaloux, qui, pour tout bonheur, offre à ma jeunesse un esclavage abominable! Bartholo Ah! qu'est-ce que j'entends! Rosine Oui, je le dis tout haut je donnerai mon coeur et ma main à celui qui pourra m'arracher de cette horrible prison, oÃÂč ma personne et mon bien sont retenus contre toute justice. Rosine sort. ScÚne XIII Bartholo, Figaro, Le Comte Bartholo La colÚre me suffoque. Le Comte En effet, seigneur, il est difficile qu'une jeune femme... Figaro Oui, une jeune femme et un grand ùge, voilà ce qui trouble la tÃÂȘte d'un vieillard. Bartholo Comment! lorsque je les prends sur le fait! Maudit barbier! il me prend des envies... Figaro Je me retire, il est fou. Le Comte Et moi aussi; d'honneur, il est fou. Figaro Il est fou, il est fou. Ils sortent. ScÚne XIV Bartholo, seul, les poursuit. Je suis fou! Infùmes suborneurs, émissaires du diable, dont vous faites ici l'office, et qui puisse vous emporter tous... Je suis fou!... Je les ai vus comme je vois ce pupitre... Et me soutenir effrontément!... Ah! Il n'y a que Bazile qui puisse m'expliquer ceci. Oui, envoyons-le chercher. Holà ! quelqu'un... Ah! j'oublie que je n'ai personne... Un voisin, le premier venu, n'importe. Il y a de quoi perdre l'esprit! il y a de quoi perdre l'esprit! Pendant l'entracte le théùtre s'obscurcit; on entend un bruit d'orage, et l'orchestre joue celui qui est gravé dans le recueil de la musique du Barbier, N° 5. Acte quatriÚme Le théùtre est obscur. ScÚne I Bartholo, Don Bazile, une lanterne de papier à la main. Bartholo Comment, Bazile, vous ne le connaissez pas! Ce que vous dites est-il possible? Bazile Vous m'interrogeriez cent fois, que je vous ferais toujours la mÃÂȘme réponse. S'il vous a remis la lettre de Rosine, c'est sans doute un des émissaires du Comte. Mais, à la magnificence du présent qu'il m'a fait, il se pourrait que ce fût le Comte lui-mÃÂȘme. Bartholo Quelle apparence? Mais, à propos de ce présent, eh! pourquoi l'avez-vous reçu? Bazile Vous aviez l'air d'accord; je n'y entendais rien; et dans les cas difficiles à juger, une bourse d'or me paraÃt toujours un argument sans réplique. Et puis, comme dit le proverbe, ce qui est bon à prendre... Bartholo J'entends, est bon... Bazile A garder. Bartholo, surpris. Ah! ah! Bazile Oui, j'ai arrangé comme cela plusieurs petits proverbes avec des variations. Mais allons au fait; à quoi vous arrÃÂȘtez-vous? Bartholo En ma place, Bazile, ne feriez-vous pas les derniers efforts pour la posséder? Bazile Ma foi non, docteur. En toute espÚce de biens, posséder est peu de chose; c'est jouir qui rend heureux mon avis est qu'épouser une femme dont on n'est point aimé, c'est s'exposer... Bartholo Vous craindriez les accidents? Bazile Hé, hé, monsieur... on en voit beaucoup cette année. Je ne ferais point violence à son coeur. Bartholo Votre valet, Bazile. Il vaut mieux qu'elle pleure de m'avoir, que moi je meure de ne l'avoir pas... Bazile Il y va de la vie? Epousez, docteur, épousez. Bartholo Aussi ferai-je, et cette nuit mÃÂȘme. Bazile Adieu donc. - Souvenez-vous, en parlant à la pupille de les rendre tous plus noirs que l'enfer. Bartholo Vous avez raison. Bazile La calomnie, docteur, la calomnie! Il faut toujours en venir là . Bartholo Voici la lettre de Rosine que cet Alonzo m'a remise, et il m'a montré, sans le vouloir, l'usage que j'en dois faire auprÚs d'elle. Bazile Adieu, nous serons tous ici à quatre heures. Bartholo Pourquoi pas plus tÎt? Bazile Impossible; le notaire est retenu. Bartholo Pour un mariage? Bazile Oui, chez le barbier Figaro; c'est sa niÚce qu'il marie. Bartholo Sa niÚce? Il n'en a pas. Bazile Voilà ce qu'ils ont dit au notaire. Bartholo Ce drÎle est du complot que diable!... Bazile Est-ce que vous penseriez?... Bartholo Ma foi, ces gens-là sont si alertes! Tenez, mon ami, je ne suis pas tranquille. Retournez chez le notaire. Qu'il vienne ici sur-le-champ avec vous. Bazile Il pleut, il fait un temps du diable; mais rien ne m'arrÃÂȘte pour vous servir. Que faites-vous donc? Bartholo Je vous reconduis n'ont-ils pas fait estropier tout mon monde par ce Figaro! Je suis seul ici. Bazile J'ai ma lanterne. Bartholo Tenez, Bazile, voilà mon passe-partout. Je vous attends, je veille; et vienne qui voudra, hors le notaire et vous, personne n'entrera de la nuit. Bazile Avec ces précautions, vous ÃÂȘtes sûr de votre fait. ScÚne II Rosine, seule, sortant de sa chambre. Il me semblait avoir entendu parler. Il est minuit sonné; Lindor ne vient point! Ce mauvais temps mÃÂȘme était propre à le favoriser. Sûr de ne rencontrer personne... Ah! Lindor! si vous m'aviez trompée!... Quel bruit entends-je?... Dieux! c'est mon tuteur. Rentrons. ScÚne III Rosine, Bartholo. Bartholo rentre avec de la lumiÚre. Ah! Rosine, puisque vous n'ÃÂȘtes pas encore rentrée dans votre appartement... Rosine Je vais me retirer. Bartholo Par le temps affreux qu'il fait, vous ne reposerez pas, et j'ai des choses trÚs pressées à vous dire. Rosine Que voulez-vous, monsieur? N'est-ce donc pas assez d'ÃÂȘtre tourmentée le jour? Bartholo Rosine, écoutez-moi. Rosine Demain je vous entendrai. Bartholo Un moment, de grùce! Rosine, à part. S'il allait venir! Bartholo, lui montre sa lettre. Connaissez-vous cette lettre? Rosine la reconnaÃt. Ah! grands dieux! Bartholo Mon intention, Rosine, n'est point de vous faire de reproches; à votre ùge, on peut s'égarer; mais je suis votre ami; écoutez-moi. Rosine Je n'en puis plus. Bartholo Cette lettre que vous avez écrite au comte Almaviva... Rosine, étonnée. Au comte Almaviva! Bartholo Voyez quel homme affreux est ce Comte aussitÎt qu'il l'a reçue, il en a fait trophée. je la tiens d'une femme à qui il l'a sacrifiée Rosine Le comte Almaviva! Bartholo Vous avez peine à vous persuader cette horreur. L'inexpérience, Rosine, rend votre sexe confiant et crédule; mais apprenez dans quel piÚge on vous attirait. Cette femme m'a fait donner avis de tout, apparemment pour écarter une rivale aussi dangereuse que vous. J'en frémis! Le plus abominable complot entre Almaviva, Figaro et cet Alonzo, cet élÚve supposé de Bazile qui porte un autre nom, et n'est que le vil agent du Comte, allait vous entraÃner dans un abÃme dont rien n'eût pu vous tirer. Rosine, accablée. Quelle horreur!... quoi! Lindor!... quoi! ce jeune homme! Bartholo, à part. Ah! c'est Lindor. Rosine C'est pour le comte Almaviva... C'est pour un autre... Bartholo Voilà ce qu'on m'a dit en me remettant votre lettre. Rosine, outrée. Ah! quelle indignité! Il en sera puni. - Monsieur, vous avez désiré de m'épouser? Bartholo Tu connais la vivacité de mes sentiments. Rosine S'il peut vous en rester encore, je suis à vous. Bartholo Eh bien! le notaire viendra cette nuit mÃÂȘme. Rosine Ce n'est pas tout. O ciel! Suis-je assez humiliée!... Apprenez que dans peu le perfide ose entrer par cette jalousie, dont ils ont eu l'art de vous dérober la clef. Bartholo, regardant au trousseau. Ah! les scélérats! Mon enfant, je ne te quitte plus. Rosine, avec effroi. Ah! monsieur! et s'ils sont armés? Bartholo Tu as raison je perdrais ma vengeance. Monte chez Marceline; enferme-toi chez elle à double tour. Je vais chercher main-forte, et l'attendre auprÚs de la maison. ArrÃÂȘté comme voleur, nous aurons le plaisir d'en ÃÂȘtre à la fois vengés et délivrés! Et compte que mon amour te dédommagera... Rosine, au désespoir. Oubliez seulement mon erreur. A part. Ah! je m'en punis assez. Bartholo, s'en allant. Allons nous embusquer. A la fin je la tiens. Il sort. ScÚne IV Rosine, seule. Son amour me dédommagera!... Malheureuse!... Elle tire son mouchoir et s'abandonne aux larmes. Que faire?... Il va venir. Je veux rester et feindre avec lui, pour le contempler un moment dans toute sa noirceur. La bassesse de son procédé sera mon préservatif... Ah! j'en ai grand besoin. Figure noble, air doux, une voix si tendre!... et ce n'est que le vil agent d'un corrupteur! Ah! malheureuse! malheureuse! Ciel!... on ouvre la jalousie! Elle se sauve. ScÚne V Le Comte; Figaro, enveloppé d'un manteau, paraÃt à la fenÃÂȘtre. Figaro parle en dehors. Quelqu'un s'enfuit entrerai-je? Le Comte, en dehors. Un homme? Figaro Le Comte C'est Rosine, que ta figure atroce aura mise en fuite. Figaro saute dans la chambre. Ma foi, je le crois... Nous voici enfin arrivés, malgré la pluie, la foudre et les éclairs. Le Comte, enveloppé d'un long manteau. Donne-moi la main. Il saute à son tour. A nous la victoire! Figaro jette son manteau. Nous sommes tout percés. Charmant temps, pour aller en bonne fortune! Monseigneur, comment trouvez-vous cette nuit? Le Comte Superbe pour un amant. Figaro Oui, mais pour un confident?... Et si quelqu'un allait nous surprendre ici? Le Comte N'es-tu pas avec moi? J'ai bien une autre inquiétude c'est de la déterminer à quitter sur-le-champ la maison du tuteur. Figaro Vous avez pour vous trois passions toutes-puissantes sur le beau sexe l'amour, la haine et la crainte. Le Comte regarde dans l'obscurité. Comment lui annoncer brusquement que le notaire l'attend chez toi pour nous unir? Elle trouvera mon projet bien hardi elle va me nommer audacieux. Figaro Si elle vous nomme audacieux, vous l'appellerez cruelle. Les femmes aiment beaucoup qu'on les appelle cruelles. Au surplus, si son amour est tel que vous le désirez, vous lui direz qui vous ÃÂȘtes; elle ne doutera plus de vos sentiments. ScÚne VI Le Comte, Rosine, Figaro. Figaro allume toutes les bougies qui sont sur la table. Le Comte La voici. - Ma belle Rosine!... Rosine, d'un ton trÚs composé. Je commençais, monsieur, à craindre que vous ne vinssiez pas. Le Comte Charmante inquiétude!... Mademoiselle, il ne me convient point d'abuser des circonstances pour vous proposer de partager le sort d'un infortuné; mais quelque asile que vous choisissiez, je jure mon honneur... Rosine Monsieur, si le don de ma main n'avait pas dû suivre à l'instant celui de mon coeur, vous ne seriez pas ici. Que la nécessité justifie à vos yeux ce que cette entrevue a d'irrégulier. Le Comte Vous, Rosine! la compagne d'un malheureux, sans fortune, sans naissance!... Rosine La naissance, la fortune! Laissons là les jeux du hasard, et si vous m'assurez que vos intentions sont pures... Le Comte, à ses pieds. Ah! Rosine! je vous adore!... Rosine, indignée. ArrÃÂȘtez, malheureux!... vous osez profaner!... Tu m'adores!... Va! tu n'es plus dangereux pour moi; j'attendais ce mot pour te détester. Mais avant de t'abandonner au remords qui t'attend en pleurant, apprends que je t'aimais; apprends que je faisais mon bonheur de partager ton mauvais sort. Misérable Lindor! j'allais tout quitter pour te suivre. Mais le lùche abus que tu as fait de mes bontés, et l'indignité de cet affreux comte Almaviva, à qui tu me vendais, ont fait rentrer dans mes mains ce témoignage de ma faiblesse. Connais-tu cette lettre? Le Comte, vivement. Que votre tuteur vous a remise? Rosine, fiÚrement. Oui, je lui en ai l'obligation. Le Comte Dieux! que je suis heureux! Il la tient de moi. Dans mon embarras, hier, je m'en suis servi pour arracher sa confiance et je n'ai pu trouver l'instant de vous en informer. Ah! Rosine, il est donc vrai que vous m'aimez véritablement! Figaro Monseigneur, vous cherchiez une femme qui vous aimùt pour vous-mÃÂȘme ... Rosine Monseigneur!... Que dit-il? Le Comte, jetant son large manteau, paraÃt en habit magnifique. O la plus aimée des femmes! il n'est plus temps de vous abuser l'heureux homme que vous voyez à vos pieds n'est point Lindor; je suis le comte Almaviva, qui meurt d'amour, et vous cherche en vain depuis six mois. Rosine tombe dans les bras du Comte. Ah!... Le Comte, effrayé. Figaro! Figaro Point d'inquiétude, Monseigneur la douce émotion de la joie n'a jamais de suites fùcheuses; la voilà , la voilà qui reprend ses sens. Morbleu! qu'elle est belle! Rosine Ah! Lindor!... Ah! monsieur! que je suis coupable! j'allais me donner cette nuit mÃÂȘme à mon tuteur. Le Comte Vous, Rosine! Rosine Ne voyez que ma punition! J'aurais passé ma vie à vous détester. Ah! Lindor! le plus affreux supplice n'est-il pas de haïr, quand on sent qu'on est faite pour aimer? Figaro regarde à la fenÃÂȘtre. Monseigneur, le retour est fermé; l'échelle est enlevée. Le Comte Enlevée! Rosine, troublée. Oui, c'est moi... c'est le docteur. Voilà le fruit de ma crédulité. Il m'a trompée. J'ai tout avoué, tout trahi il sait que vous ÃÂȘtes ici, et va venir avec main-forte. Figaro regarde encore. Monseigneur! on ouvre la porte de la rue. Rosine, courant dans les bras du Comte avec frayeur. Ah! Lindor!... Le comte, avec fermeté. Rosine, vous m'aimez! Je ne crains personne; et vous serez ma femme. J'aurai donc le plaisir de punir à mon gré l'odieux vieillard!... Rosine Non, non; grùce pour lui, cher Lindor! Mon coeur est si plein, que la vengeance ne peut y trouver place. ScÚne VII Le Notaire, Don Bazile, Les acteurs Précédents. Figaro Monseigneur, c'est notre notaire. Le Comte Et l'ami Bazile avec lui! Bazile Ah! qu'est-ce que j'aperçois? Figaro Eh! par quel hasard, notre ami?... Bazile Par quel accident, messieurs?... Le Notaire Sont-ce là les futurs conjoints? Le Comte Oui, monsieur. Vous deviez unir la signora Rosine et moi cette nuit chez le barbier Figaro; mais nous avons préféré cette maison pour des raisons que vous saurez. Avez-vous notre contrat? Le Notaire J'ai donc l'honneur de parler à Son Excellence monsieur le comte Almaviva? Figaro Précisément. Bazile, à part. Si c'est pour cela qu'il m'a donné le passe-partout... Le Notaire C'est que j'ai deux contrats de mariage, Monseigneur. Ne confondons point voici le vÎtre; et c'est ici celui du seigneur Bartholo avec la signora... Rosine aussi? Les demoiselles apparemment sont deux soeurs qui portent le mÃÂȘme nom. Le Comte Signons toujours. Don Bazile voudra bien nous servir de second témoin.Ils signent. Bazile Mais, Votre Excellence..., je ne comprends pas... Le Comte Mon maÃtre Bazile, un rien vous embarrasse, et tout vous étonne. Bazile Monseigneur... Mais si le docteur... Le Comte, lui jetant une bourse. Vous faites l'enfant! Signez donc vite. Bazile, étonné. Ah! ah!... Figaro OÃÂč donc est la difficulté de signer? Bazile, pesant la bourse. Il n'y en a plus. Mais c'est que moi, quand j'ai donné ma parole une fois, il faut des motifs d'un grand poids... Il signe. ScÚne VIII Bartholo, un Alcade, des Alguazils, des Valets avec des flambeaux, et les Acteurs précédents. Bartholo voit le comte baiser la main de Rosine et Figaro qui embrasse grotesquement don Bazile; il crie en prenant le notaire à la gorge Rosine avec ces fripons! ArrÃÂȘtez tout le monde. J'en tiens un au collet. Le Notaire C'est votre notaire. Bazile C'est votre notaire. Vous moquez-vous? Bartholo Ah! don Bazile! Eh! comment ÃÂȘtes-vous ici? Bazile Mais plutÎt vous, comment n'y ÃÂȘtes-vous pas? L'Alcade, montrant Figaro. Un moment! je connais celui-ci. Que viens-tu faire en cette maison, à des heures indues? Figaro Heure indue? Monsieur voit bien qu'il est aussi prÚs du matin que du soir. D'ailleurs, je suis de la compagnie de Son Excellence monseigneur le comte Almaviva. Bartholo Almaviva! L'Alcade Ce ne sont donc pas des voleurs? Bartholo Laissons cela. - Partout ailleurs, monsieur le Comte, je suis le serviteur de Votre Excellence; mais vous sentez que la supériorité du rang est ici sans force. Ayez, s'il vous plaÃt, la bonté de vous retirer. Le Comte Oui, le rang doit ÃÂȘtre ici sans force; mais ce qui en a beaucoup est la préférence que mademoiselle vient de m'accorder sur vous, en se donnant à moi volontairement. Bartholo Que dit-il, Rosine? Rosine Il dit vrai. D'oÃÂč naÃt votre étonnement? Ne devais-je pas, cette nuit mÃÂȘme, ÃÂȘtre vengée d'un trompeur? Je le suis. Bazile Quand je vous disais que c'était le Comte lui-mÃÂȘme, docteur? Bartholo Que m'importe à moi? Plaisant mariage! OÃÂč sont les témoins? Le Notaire Il n'y manque rien. Je suis assisté de ces deux messieurs. Bartholo Comment, Bazile! vous avez signé? Bazile Que voulez-vous! Ce diable d'homme a toujours ses poches pleines d'arguments irrésistibles. Bartholo Je me moque de ses arguments. J'userai de mon autorité. Le Comte Vous l'avez perdue en en abusant. Bartholo La demoiselle est mineure. Figaro Elle vient de s'émanciper. Bartholo Qui te parle à toi, maÃtre fripon? Le Comte Mademoiselle est noble et belle; je suis homme de qualité, jeune et riche; elle est ma femme à ce titre qui nous honore également, prétend-on me la disputer? Bartholo Jamais on ne l'Îtera de mes mains. Le Comte Elle n'est plus en votre pouvoir. Je la mets sous l'autorité des lois; et monsieur, que vous avez amené vous-mÃÂȘme, la protégera contre la violence que vous voulez lui faire. Les vrais magistrats sont les soutiens de tous ceux qu'on opprime. L'alcade Certainement. Et cette inutile résistance au plus honorable mariage indique assez sa frayeur sur la mauvaise administration des biens de sa pupille, dont il faudra qu'il rende compte. Le Comte Ah! qu'il consente à tout, et je ne lui demande rien. Figaro Que la quittance de mes cent écus ne perdons pas la tÃÂȘte. Bartholo, irrité. Ils étaient tous contre moi; je me suis fourré la tÃÂȘte dans un guÃÂȘpier. Bazile Quel guÃÂȘpier? Ne pouvant avoir la femme, calculez, docteur, que l'argent vous reste; et... Bartholo Eh! laissez-moi donc en repos, Bazile! Vous ne songez qu'à l'argent. Je me soucie bien de l'argent, moi! A la bonne heure, je le garde mais croyez-vous que ce soit le motif qui me détermine? Il signe. Figaro, riant. Ah! ah! ah! Monseigneur! ils sont de la mÃÂȘme famille. Le Notaire Mais, messieurs, je n'y comprends plus rien. Est-ce qu'elles ne sont pas deux demoiselles qui portent le mÃÂȘme nom? Figaro Non, monsieur, elles ne sont qu'une. Bartholo, se désolant. Et moi qui leur ai enlevé l'échelle pour que le mariage fût plus sûr! Ah! je me suis perdu faute de soins. Figaro Faute de sens. Mais soyons vrais, docteur quand la jeunesse et l'amour sont d'accord pour tromper un vieillard, tout ce qu'il fait pour l'empÃÂȘcher peut bien s'appeler à bon droit la Précaution inutile. FIN DU QUATRIEME ET DERNIER ACTE. La Folle Journée ou le Mariage de Figaro EpÃtre dédicatoire aux personnes trompées sur ma piÚce et qui n'ont pas voulu la voir. O vous que je ne nommerai point! Coeurs généreux, esprits justes, à qui l'on a donné des préventions contre un ouvrage réfléchi, beaucoup plus gai qu'il n'est frivole; soit que vous l'acceptiez ou non, je vous en fais l'hommage, et c'est tromper l'envie dans une de ses mesures. Si le hasard vous la fait lire, il la trompera dans une autre, en vous montrant quelle confiance est due à tant de rapports qu'on vous fait! Un objet de pur agrément peut s'élever encore à l'honneur d'un plus grand mérite c'est de vous rappeler cette vérité de tous les temps, qu'on connaÃt mal les hommes et les ouvrages quand on les juge sur la foi d'autrui; que les personnes, surtout dont l'opinion est d'un grand poids, s'exposent à glacer sans le vouloir ce qu'il fallait peut-ÃÂȘtre encourager, lorsqu'elles négligent de prendre pour base de leurs jugements le seul conseil qui soit bien pur celui de leurs propres lumiÚres. Ma résignation égale mon profond respect. L'AUTEUR. Préface En écrivant cette préface, mon but n'est pas de rechercher oiseusement si j'ai mis au théùtre une piÚce bonne ou mauvaise; il n'est plus temps pour moi mais d'examiner scrupuleusement, et je le dois toujours, si j'ai fait une oeuvre blùmable. Personne n'étant tenu de faire une comédie qui ressemble aux autres, si je me suis écarté d'un chemin trop battu, pour des raisons qui m'ont paru solides, ira-t-on me juger, comme l'ont fait MM. tels, sur des rÚgles qui ne sont pas les miennes? imprimer puérilement que je reporte l'art à son enfance, parce que j'entreprends de frayer un nouveau sentier à cet art dont la loi premiÚre, et peut-ÃÂȘtre la seule, est d'amuser en instruisant? Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Il y a souvent trÚs loin du mal que l'on dit d'un ouvrage à celui qu'on en pense. Le trait qui nous poursuit, le mot qui importune reste enseveli dans le coeur, pendant que la bouche se venge en blùmant presque tout le reste. De sorte qu'on peut regarder comme un point établi au théùtre, qu'en fait de reproche à l'auteur, ce qui nous affecte le plus est ce dont on parle le moins. Il est peut-ÃÂȘtre utile de dévoiler, aux yeux de tous, ce double aspect des comédies; et j'aurai fait encore un bon usage de la mienne, si je parviens, en la scrutant, à fixer l'opinion publique sur ce qu'on doit entendre par ces mots Qu'est-ce que LA DECENCE THEATRALE? A force de nous montrer délicats, fins connaisseurs et d'affecter, comme j'ai dit autre part, l'hypocrisie de la décence auprÚs du relùchement des moeurs, nous devenons des ÃÂȘtres nuls, incapables de s'amuser et de juger de ce qui leur convient faut-il le dire enfin? des bégueules rassasiées qui ne savent plus ce qu'elles veulent, ni ce qu'elles doivent aimer ou rejeter. Déjà ces mots si rebattus, bon ton, bonne compagnie, toujours ajustés au niveau de chaque insipide coterie, et dont la latitude est si grande qu'on ne sait oÃÂč ils commencent et finissent, ont détruit la franche et vraie gaieté qui distinguait de tout autre le comique de notre nation. Ajoutez-y le pédantesque abus de ces autres grands mots, décence et bonnes moeurs, qui donnent un air si important, si supérieur, que nos jugeurs de comédies seraient désolés de n'avoir pas à les prononcer sur toutes les piÚces de théùtre, et vous connaÃtrez à peu prÚs ce qui garrotte le génie, intimide tous les auteurs, et porte un coup mortel à la vigueur de l'intrigue, sans laquelle il n'y a pourtant que du bel esprit à la glace et des comédies de quatre jours. Enfin, pour dernier mal, tous les états de la société sont parvenus à se soustraire à la censure dramatique on ne pourrait mettre au théùtre Les Plaideurs de Racine, sans entendre aujourd'hui les Dandins et les Brid'oisons, mÃÂȘme des gens plus éclairés, s'écrier qu'il n'y a plus ni moeurs, ni respect pour les magistrats. On ne ferait point le Turcaret, sans avoir à l'instant sur les bras fermes, sous-fermes, traites et gabelles, droits réunis, tailles, taillons, le trop-plein, le trop-bu, tous les impositeurs royaux. Il est vrai qu'aujourd'hui Turcaret n'a plus de modÚles. On l'offrirait sous d'autres traits, l'obstacle resterait le mÃÂȘme. On ne jouerait point les fùcheux, les marquis, les emprunteurs de MoliÚre, sans révolter à la fois la haute, la moyenne, la moderne et l'antique noblesse. Ses Femmes savantes irriteraient nos féminins bureaux d'esprit. Mais quel calculateur peut évaluer la force et la longueur du levier qu'il faudrait, de nos jours, pour élever jusqu'au théùtre l'oeuvre sublime du Tartuffe? Aussi l'auteur qui se compromet avec le public pour l'amuser ou pour l'instruire, au lieu d'intriguer à son choix son ouvrage, est-il obligé de tourniller dans des incidents impossibles, de persifler au lieu de rire, et de prendre ses modÚles hors de la société, crainte de se trouver mille ennemis, dont il ne connaissait aucun en composant son triste drame. J'ai donc réfléchi que, si quelque homme courageux ne secouait pas toute cette poussiÚre, bientÎt l'ennui des piÚces françaises porterait la nation au frivole opéra-comique, et plus loin encore, aux boulevards, à ce ramas infect de tréteaux élevés à notre honte, oÃÂč la décente liberté, bannie du théùtre français, se change en une licence effrénée; oÃÂč la jeunesse va se nourrir de grossiÚres inepties, et perdre, avec ses moeurs, le goût de la décence et des chefs-d'oeuvre de nos maÃtres. J'ai tenté d'ÃÂȘtre cet homme; et si je n'ai pas mis plus de talent à mes ouvrages, au moins mon intention s'est-elle manifestée dans tous. J'ai pensé, je pense encore, qu'on n'obtient ni grand pathétique, ni profonde moralité, ni bon et vrai comique au théùtre, sans des situations fortes, et qui naissent toujours d'une disconvenance sociale, dans le sujet qu'on veut traiter. L'auteur tragique, hardi dans ses moyens, ose admettre le crime atroce les conspirations, l'usurpation du trÎne, le meurtre, l'empoisonnement, l'inceste dans Oedipe et PhÚdre; le fratricide dans VendÎme; le parricide dans Mahomet; le régicide dans Macbeth, etc., etc. La comédie, moins audacieuse, n'excÚde pas les disconvenances, parce que ses tableaux sont tirés de nos moeurs, ses sujets de la société. Mais comment frapper sur l'avarice, à moins de mettre en scÚne un méprisable avare? démasquer l'hypocrisie, sans montrer, comme Orgon, dans le Tartuffe, un abominable hypocrite, épousant sa fille et convoitant sa femme? un homme à bonnes fortunes, sans le faire parcourir un cercle entier de femmes galantes? un joueur effréné, sans l'envelopper de fripons, s'il ne l'est pas déjà lui-mÃÂȘme? Tous ces gens-là sont loin d'ÃÂȘtre vertueux; l'auteur ne les donne pas pour tels il n'est le patron d'aucun d'eux, il est le peintre de leurs vices. Et parce que le lion est féroce, le loup vorace et glouton, le renard rusé, cauteleux, la fable est-elle sans moralité? Quand l'auteur la dirige contre un sot que la louange enivre, il fait choir du bec du corbeau le fromage dans la gueule du renard, sa moralité est remplie; s'il la tournait contre le bas flatteur, il finirait son apologue ainsi Le renard s'en saisit, le dévore; mais le fromage était empoisonné. La fable est une comédie légÚre, et toute comédie n'est qu'un long apologue leur différence est que dans la fable les animaux ont de l'esprit, et que dans notre comédie les hommes sont souvent des bÃÂȘtes, et, qui pis est, des bÃÂȘtes méchantes. Ainsi, lorsque MoliÚre, qui fut si tourmenté par les sots, donne à l'avare un fils prodigue et vicieux qui lui vole sa cassette et l'injurie en face, est-ce des vertus ou des vices, qu'il tire sa moralité? que lui importent ces fantÎmes? c'est vous qu'il entend corriger. Il est vrai que les afficheurs et balayeurs littéraires de son temps ne manquÚrent pas d'apprendre au bon public combien tout cela était horrible! Il est aussi prouvé que des envieux trÚs importants, ou des importants trÚs envieux, se déchaÃnÚrent contre lui. Voyez le sévÚre Boileau, dans son épÃtre au grand Racine, venger son ami qui n'est plus, en rappelant ainsi les faits L'Ignorance et l'Erreur, à ses naissantes piÚces, En habits de marquis, en robes de comtesses, Venaient pour diffamer son chef-d'oeuvre nouveau, Et secouaient la tÃÂȘte à l'endroit le plus beau. Le commandeur voulait la scÚne plus exacte; Le vicomte, indigné, sortait au second acte L'un, défenseur zélé des dévots mis en jeu, Pour prix de ses bons mots le condamnait au feu; L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre, Voulait venger la Cour immolée au parterre. On voit mÃÂȘme dans un placet de MoliÚre à Louis XIV, qui fut si grand en protégeant les arts, et sans le goût éclairé duquel notre théùtre n'aurait pas un seul chef-d'oeuvre de MoliÚre; on voit ce philosophe auteur se plaindre amÚrement au roi que, pour avoir démasqué les hypocrites, ils imprimaient partout qu'il était un libertin, un impie, un athée, un démon vÃÂȘtu de chair, habillé en homme; et cela s'imprimait avec APPROBATION ET PRIVILEGE de ce roi qui le protégeait rien là -dessus n'est empiré. Mais, parce que les personnages d'une piÚce s'y montrent sous des moeurs vicieuses, faut-il les bannir de la scÚne? Que poursuivrait-on au théùtre? les travers et les ridicules? Cela vaut bien la peine d'écrire! Ils sont chez nous comme les modes on ne s'en corrige point, on en change. Les vices, les abus, voilà ce qui ne change point, mais se déguise en mille formes sous le masque des moeurs dominantes leur arracher ce masque et les montrer à découvert, telle est la noble tùche de l'homme qui se voue au théùtre. Soit qu'il moralise en riant, soit qu'il pleure en moralisant, Héraclite ou Démocrite, il n'a pas un autre devoir. Malheur à lui, s'il s'en écarte! On ne peut corriger les hommes qu'en les faisant voir tels qu'ils sont. La comédie utile et véridique n'est point un éloge menteur, un vain discours d'académie. Mais gardons-nous bien de confondre cette critique générale, un des plus nobles buts de l'art, avec la satire odieuse et personnelle l'avantage de la premiÚre est de corriger sans blesser. Faites prononcer au théùtre, par l'homme juste, aigri de l'horrible abus des bienfaits, tous les hommes sont des ingrats quoique chacun soit bien prÚs de penser comme lui, personne ne s'en offensera. Ne pouvant y avoir un ingrat sans qu'il existe un bienfaiteur, ce reproche mÃÂȘme établit une balance égale entre les bons et les mauvais coeurs, on le sent et cela console. Que si l'humoriste répond qu'un bienfaiteur fait cent ingrats, on répliquera justement qu'il n'y a peut-ÃÂȘtre pas un ingrat qui n'ait été plusieurs fois bienfaiteur et cela console encore. Et c'est ainsi qu'en généralisant, la critique la plus amÚre porte du fruit sans nous blesser, quand la satire personnelle, aussi stérile que funeste, blesse toujours et ne produit jamais. Je hais partout cette derniÚre, et je la crois un si punissable abus, que j'ai plusieurs fois d'office invoqué la vigilance du magistrat pour empÃÂȘcher que le théùtre ne devÃnt une arÚne de gladiateurs, oÃÂč le puissant se crût en droit de faire exercer ses vengeances par les plumes vénales, et malheureusement trop communes, qui mettent leur bassesse à l'enchÚre. N'ont-ils donc pas assez, ces Grands, des mille et un feuillistes, faiseurs de bulletins, afficheurs, pour y trier les plus mauvais, en choisir un bien lùche, et dénigrer qui les offusque? On tolÚre un si léger mal, parce qu'il est sans conséquence, et que la vermine éphémÚre démange un instant et périt; mais le théùtre est un géant qui blesse à mort tout ce qu'il frappe. On doit réserver ses grands coups pour les abus et pour les maux publics. Ce n'est donc ni le vice ni les incidents qu'il amÚne, qui font l'indécence théùtrale; mais le défaut de leçons et de moralité. Si l'auteur ou faible ou timide, n'ose en tirer de son sujet voilà ce qui rend sa piÚce équivoque ou vicieuse. Lorsque je mis Eugénie au théùtre et il faut bien que je me cite, puisque c'est toujours moi qu'on attaque, lorsque je mis Eugénie au théùtre tous nos jurés-crieurs à la décence jetaient des flammes dans les foyers sur ce que j'avais osé montrer un seigneur libertin, habillant ses valets en prÃÂȘtres, et feignant d'épouser une jeune personne qui paraÃt enceinte au théùtre sans avoir été mariée. Malgré leurs cris, la piÚce a été jugée, sinon le meilleur, au moins le plus moral des drames, constamment jouée sur tous les théùtres, et traduite dans toutes les langues. Les bons esprits ont vu que la moralité, que l'intérÃÂȘt y naissaient entiÚrement de l'abus qu'un homme puissant et vicieux fait de son nom, de son crédit pour tourmenter une faible fille sans appui, trompée, vertueuse et délaissée. Ainsi tout ce que l'ouvrage a d'utile et de bon naÃt du courage qu'eut l'auteur d'oser porter la disconvenance sociale au plus haut point de liberté. Depuis, j'ai fait Les Deux Amis, piÚce dans laquelle un pÚre avoue à sa prétendue niÚce qu'elle est sa fille illégitime. Ce drame est aussi trÚs moral, parce qu'à travers les sacrifices de la plus parfaite amitié, l'auteur s'attache à y montrer les devoirs qu'impose la nature sur les fruits d'un ancien amour, que la rigoureuse dureté des convenances sociales, ou plutÎt leur abus, laisse trop souvent sans appui. Entre autres critiques de la piÚce, j'entendis dans une loge, auprÚs de celle que j'occupais, un jeune important de la Cour qui disait gaiement à des dames "L'auteur, sans doute, est un garçon fripier qui ne voit rien de plus élevé que des commis des Fermes et des marchands d'étoffes; et c'est au fond d'un magasin qu'il va chercher les nobles amis qu'il traduit à la scÚne française. - Hélas! monsieur, lui dis-je en m'avançant, il a fallu du moins les prendre oÃÂč il n'est pas impossible de les supposer. Vous ririez bien plus de l'auteur s'il eût tiré deux vrais amis de l'Oeil-de-boeuf ou des carrosses? Il faut un peu de vraisemblance, mÃÂȘme dans les actes vertueux." Me livrant à mon gai caractÚre, j'ai depuis tenté, dans Le Barbier de Séville, de ramener au théùtre l'ancienne et franche gaieté, en l'alliant avec le ton léger de notre plaisanterie actuelle, mais comme cela mÃÂȘme était une espÚce de nouveauté, la piÚce fut vivement poursuivie. Il semblait que j'eusse ébranlé l'Etat; l'excÚs des précautions qu'on prit et des cris qu'on fit contre moi décelait surtout la frayeur que certains vicieux de ce temps avaient de s'y voir démasqués. La piÚce fut censurée quatre fois, cartonnée trois fois sur l'affiche à l'instant d'ÃÂȘtre jouée, dénoncée mÃÂȘme au Parlement d'alors, et moi, frappé de ce tumulte, je persistais à demander que le public restùt le juge de ce que j'avais destiné à l'amusement du public. Je l'obtins au bout de trois ans. AprÚs les clameurs, les éloges, et chacun me disait tout bas. "Faites-nous donc des piÚces de ce genre, puisqu'il n'y a plus que vous qui osiez rire en face." Un auteur désolé par la cabale et les criards, mais qui voit sa piÚce marcher, reprend courage; et c'est ce que j'ai fait. Feu M. le prince de Conti, de patriotique mémoire car, en frappant l'air de son nom, l'on sent vibrer le vieux mot patrie, feu M. le prince de Conti, donc, me porta le défi public de mettre au théùtre ma préface du Barbier, plus gaie, disait-il, que la piÚce, et d'y montrer la famille de Figaro, que j'indiquais dans cette préface. "Monseigneur, lui répondis-je, si je mettais une seconde fois ce caractÚre sur la scÚne, comme je le montrerais plus ùgé, qu'il en saurait quelque peu davantage, ce serait bien un autre bruit; et qui sait s'il verrait le jour?" Cependant, par respect, j'acceptai le défi; je composai cette Folle journée, qui cause aujourd'hui la rumeur. Il daigna la voir le premier. C'était un homme d'un grand caractÚre, un prince auguste, un esprit noble et fier le dirai-je? il en fut content. Mais quel piÚge, hélas! j'ai tendu au jugement de nos critiques en appelant ma comédie du vain nom de Folle journée! Mon objet était bien de lui Îter quelque importance; mais je ne savais pas encore à quel point un changement d'annonce peut égarer tous les esprits. En lui laissant son véritable titre, on eût lu L'Epoux suborneur. C'était pour eux une autre piste, on me courait différemment. Mais ce nom de Folle journée les a mis à cent lieues de moi ils n'ont plus rien vu dans l'ouvrage que ce qui n'y sera jamais; et cette remarque un peu sévÚre sur la facilité de prendre le change a plus d'étendue qu'on ne croit. Au lieu du nom de George Dandin, si MoliÚre eût appelé son drame La Sottise des alliances, il eût porté bien plus de fruit; si Regnard eût nommé son Légataire, La Punition du célibat, la piÚce nous eût fait frémir. Ce à quoi il ne songea pas, je l'ai fait avec réflexion. Mais qu'on ferait un beau chapitre sur tous les jugements des hommes et la morale du théùtre, et qu'on pourrait intituler De l'influence de l'affiche! Quoi qu'il en soit, La Folle journée resta cinq ans au portefeuille; les comédiens ont su que je l'avais, ils me l'ont enfin arrachée. S'ils ont bien ou mal fait pour eux, c'est ce qu'on a pu voir depuis. Soit que la difficulté de la rendre excitùt leur émulation, soit qu'ils sentissent avec le public que pour lui plaire en comédie il fallait de nouveaux efforts, jamais piÚce aussi difficile n'a été jouée avec autant d'ensemble, et si l'auteur comme on le dit est resté au-dessous de lui-mÃÂȘme, il n'y a pas un seul acteur dont cet ouvrage n'ait établi, augmenté ou confirmé la réputation. Mais revenons à sa lecture, à l'adoption des comédiens. Sur l'éloge outré qu'ils en firent, toutes les sociétés voulurent le connaÃtre, et dÚs lors il fallut me faire des querelles de toute espÚce, ou céder aux instances universelles. DÚs lors aussi les grands ennemis de l'auteur ne manquÚrent pas de répandre à la Cour qu'il blessait dans cet ouvrage, d'ailleurs un tissu de bÃÂȘtises, la religion, le gouvernement, tous les états de la société, les bonnes moeurs, et qu'enfin la vertu y était opprimée et le vice triomphant, comme de raison, ajoutait-on. Si les graves messieurs qui l'ont tant répété me font l'honneur de lire cette préface, ils y verront au moins que j'ai cité bien juste; et la bourgeoise intégrité que je mets à mes citations n'en fera que mieux ressortir la noble infidélité des leurs. Ainsi, dans Le Barbier de Séville, je n'avais qu'ébranlé l'Etat; dans ce nouvel essai, plus infùme et plus séditieux, je le renversais de fond en comble. Il n'y avait plus rien de sacré, si l'on permettait cet ouvrage. On abusait l'autorité par les plus insidieux rapports; on cabalait auprÚs des corps puissants; on alarmait les dames timorées; on me faisait des ennemis sur le prie-Dieu des oratoires et moi, selon les hommes et les lieux, je repoussais la basse intrigue par mon excessive patience, par la roideur de mon respect, l'obstination de ma docilité; par la raison, quand on voulait l'entendre. Ce combat a duré quatre ans. Ajoutez-les aux cinq du portefeuille que reste-t-il des allusions qu'on s'efforce à voir dans l'ouvrage? Hélas! quand il fut composé, tout ce qui fleurit aujourd'hui n'avait pas mÃÂȘme encore germé c'était tout un autre univers. Pendant ces quatre ans de débat, je ne demandais qu'un censeur; on m'en accorda cinq ou six. Que virent-ils dans l'ouvrage, objet d'un tel déchaÃnement? La plus badine des intrigues. Un grand seigneur espagnol, amoureux d'une jeune fille qu'il veut séduire, et les efforts que cette fiancée, celui qu'elle doit épouser, et la femme du seigneur, réunissent pour faire échouer dans son dessein un maÃtre absolu, que son rang, sa fortune et sa prodigalité rendent tout-puissant pour l'accomplir. Voilà tout, rien de plus. La piÚce est sous vos yeux. D'oÃÂč naissaient donc ces cris perçants? De ce qu'au lieu de poursuivre un seul caractÚre vicieux, comme le joueur, l'ambitieux, l'avare, ou l'hypocrite, ce qui ne lui eût mis sur les bras qu'une seule classe d'ennemis, l'auteur a profité d'une composition légÚre, ou plutÎt a formé son plan de façon à y faire entrer la critique d'une foule d'abus qui désolent la société. Mais comme ce n'est pas là ce qui gùte un ouvrage aux yeux du censeur éclairé, tous, en l'approuvant, l'ont réclamé pour le théùtre. Il a donc fallu l'y souffrir alors les grands du monde ont vu jouer avec scandale Cette piÚce oÃÂč l'on peint un insolent valet Disputant sans pudeur son épouse à son maÃtre. M. GUDIN. Oh! que j'ai de regret de n'avoir pas fait de ce sujet moral une tragédie bien sanguinaire! Mettant un poignard à la main de l'époux outragé, que je n'aurais pas nommé Figaro, dans sa jalouse fureur je lui aurais fait noblement poignarder le Puissant vicieux; et comme il aurait vengé son honneur dans des vers carrés, bien ronflants, et que mon jaloux, tout au moins général d'armée, aurait eu pour rival quelque tyran bien horrible et régnant au plus mal sur un peuple désolé, tout cela, trÚs loin de nos moeurs, n'aurait, je crois, blessé personne, on eût crié bravo ! ouvrage bien moral! Nous étions sauvés, moi et mon Figaro sauvage. Mais ne voulant qu'amuser nos Français et non faire ruisseler les larmes de leurs épouses, de mon coupable amant j'ai fait un jeune seigneur de ce temps-là , prodigue, assez galant, mÃÂȘme un peu libertin, à peu prÚs comme les autres seigneurs de ce temps-là . Mais qu'oserait-on dire au théùtre d'un seigneur, sans les offenser tous, sinon de lui reprocher son trop de galanterie? N'est-ce pas là le défaut le moins contesté par eux-mÃÂȘmes? J'en vois beaucoup, d'ici, rougir modestement et c'est un noble effort en convenant que j'ai raison. Voulant donc faire le mien coupable, j'ai eu le respect généreux de ne lui prÃÂȘter aucun des vices du peuple. Direz-vous que je ne le pouvais pas, que c'eût été blesser toutes les vraisemblances? Concluez donc en faveur de ma piÚce, puisque enfin je ne l'ai pas fait. Le défaut mÃÂȘme dont je l'accuse n'aurait produit aucun mouvement comique, si je ne lui avais gaiement opposé l'homme le plus dégourdi de sa nation, le véritable Figaro, qui, tout en défendant Suzanne, sa propriété, se moque des projets de son maÃtre, et s'indigne trÚs plaisamment qu'il ose jouter de ruse avec lui, maÃtre passé dans ce genre d'escrime. Ainsi, d'une lutte assez vive entre l'abus de la puissance, l'oubli des principes, la prodigalité, l'occasion, tout ce que la séduction a de plus entraÃnant, et le feu, l'esprit, les ressources que l'infériorité piquée au jeu peut opposer à cette attaque, il naÃt dans ma piÚce un jeu plaisant d'intrigue, oÃÂč l'époux suborneur, contrarié, lassé, harassé, toujours arrÃÂȘté dans ses vues, est obligé, trois fois dans cette journée, de tomber aux pieds de sa femme, qui, bonne, indulgente et sensible, finit par lui pardonner c'est ce qu'elles font toujours. Qu'a donc cette moralité de blùmable, messieurs? La trouvez-vous un peu badine pour le ton grave que je prends? Accueillez-en une plus sévÚre qui blesse vos yeux dans l'ouvrage, quoique vous ne l'y cherchiez pas c'est qu'un seigneur assez vicieux pour vouloir prostituer à ses caprices tout ce qui lui est subordonné, pour se jouer, dans ses domaines, de la pudicité de toutes ses jeunes vassales, doit finir, comme celui-ci, par ÃÂȘtre la risée de ses valets. Et c'est ce que l'auteur a. trÚs fortement prononcé, lorsqu'en fureur, au cinquiÚme acte, Almaviva, croyant confondre une femme infidÚle, montre à son jardinier un cabinet, en lui criant Entres-y, toi, Antonio; conduis devant son juge l'infùme qui m'a déshonoré; et que celui-ci lui répond Il y a, parguenne, une bonne Providence! Vous en avez tant fait dans le pays, qu'il faut bien aussi qu'à votre tour... ! Cette profonde moralité se fait sentir dans tout l'ouvrage; et s'il convenait à l'auteur de démontrer aux adversaires qu'à travers sa forte leçon il a porté la considération pour la dignité du coupable plus loin qu'on ne devait l'attendre de la fermeté de son pinceau, je leur ferais remarquer que, croisé dans tous ses projets, le comte Almaviva se voit toujours humilié, sans ÃÂȘtre jamais avili. En effet, si la Comtesse usait de ruse pour aveugler sa jalousie dans le dessein de le trahir, devenue coupable elle-mÃÂȘme, elle ne pourrait mettre à ses pieds son époux sans le dégrader à nos yeux. La vicieuse intention de l'épouse brisant un lien respecté, l'on reprocherait justement à l'auteur d'avoir tracé des moeurs blùmables car nos jugements sur les moeurs se rapportent toujours aux femmes; on n'estime pas assez les hommes pour tant exiger d'eux sur ce point délicat. Mais loin qu'elle ait ce vil projet, ce qu'il y a de mieux établi dans l'ouvrage est que nul ne veut faire une tromperie au Comte, mais seulement l'empÃÂȘcher d'en faire à tout le monde. C'est la pureté des motifs qui sauve ici les moyens du reproche; et de cela seul que la Comtesse ne veut que ramener son mari, toutes les confusions qu'il éprouve sont certainement trÚs morales, aucune n'est avilissante. Pour que cette vérité vous frappe davantage, l'auteur oppose à ce mari peu délicat, la plus vertueuse des femmes par goût et par principes. Abandonnée d'un époux trop aimé, quand l'expose-t-on à vos regards? Dans le moment critique oÃÂč sa bienveillance pour un aimable enfant, son filleul, peut devenir un goût dangereux, si elle permet au ressentiment qui l'appuie de prendre trop d'empire sur elle. C'est pour mieux faire ressortir l'amour vrai du devoir, que l'auteur la met un moment aux prises avec un goût naissant qui le combat. Oh! combien on s'est étayé de ce léger mouvement dramatique pour nous accuser d'indécence! On accorde à la tragédie que toutes les reines, les princesses, aient des passions bien allumées qu'elles combattent plus ou moins; et l'on ne souffre pas que, dans la comédie, une femme ordinaire puisse lutter contre la moindre faiblesse! O grande influence de l'affiche! jugement sûr et conséquent! Avec la différence du genre, on blùme ici ce qu'on approuvait là . Et cependant, en ces deux cas, c'est toujours le mÃÂȘme principe point de vertu sans sacrifice. J'ose en appeler à vous, jeunes infortunées que votre malheur attache à des Almaviva! Distingueriez-vous toujours votre vertu de vos chagrins, si quelque intérÃÂȘt importun, tendant trop à les dissiper, ne vous avertissait enfin qu'il est temps de combattre pour elle? Le chagrin de perdre un mari n'est pas ici ce qui nous touche, un regret aussi personnel est trop loin d'ÃÂȘtre une vertu. Ce qui nous plaÃt dans la Comtesse, c'est de la voir lutter franchement contre un goût naissant qu'elle blùme, et des ressentiments légitimes. Les efforts qu'elle fait alors pour ramener son infidÚle époux, mettant dans le plus heureux jour les deux sacrifices pénibles de son goût et de sa colÚre, on n'a nul besoin d'y penser pour applaudir à son triomphe; elle est un modÚle de vertu, l'exemple de son sexe et l'amour du nÎtre. Si cette métaphysique de l'honnÃÂȘteté des scÚnes, si ce principe avoué de toute décence théùtrale n'a point frappé nos juges à la représentation, c'est vainement que j'en étendrais ici le développement, les conséquences; un tribunal d'iniquité n'écoute point les défenses de l'accusé qu'il est chargé de perdre, et ma Comtesse n'est point traduite au parlement de la nation c'est une commission qui la juge. On a vu la légÚre esquisse de son aimable caractÚre dans la charmante piÚce d'Heureusement. Le goût naissant que la jeune femme éprouve pour son petit cousin l'officier, n'y parut blùmable à personne, quoique la tournure des scÚnes pût laisser à penser que la soirée eût fini d'autre maniÚre, si l'époux ne fût pas rentré, comme dit l'auteur, heureusement. Heureusement aussi l'on n'avait pas le projet de calomnier cet auteur chacun se livra de bonne foi à ce doux intérÃÂȘt qu'inspire une jeune femme honnÃÂȘte et sensible, qui réprime ses premiers goûts; et notez que, dans cette piÚce, l'époux ne paraÃt qu'un peu sot; dans la mienne, il est infidÚle ma Comtesse a plus de mérite. Aussi, dans l'ouvrage que je défends, le plus véritable intérÃÂȘt se porte-t-il sur la Comtesse; le reste est dans le mÃÂȘme esprit. Pourquoi Suzanne la camariste, spirituelle, adroite et rieuse, a-t-elle aussi le droit de nous intéresser? C'est qu'attaquée par un séducteur puissant, avec plus d'avantage qu'il n'en faudrait pour vaincre une fille de son état, elle n'hésite pas à confier les intentions du Comte aux deux personnes les plus intéressées à bien surveiller sa conduite sa maÃtresse et son fiancé. C'est que, dans tout son rÎle, presque le plus long de la piÚce, il n'y a pas une phrase, un mot qui ne respire la sagesse et l'attachement à ses devoirs la seule ruse qu'elle se permette est en faveur de sa maÃtresse, à qui son dévouement est cher, et dont tous les voeux sont honnÃÂȘtes. Pourquoi, dans ses libertés sur son maÃtre, Figaro m'amuse-t-il au lieu de m'indigner? C'est que, l'opposé des valets, il n'est pas, et vous le savez, le malhonnÃÂȘte homme de la piÚce en le voyant forcé, par son état, de repousser l'insulte avec adresse, on lui pardonne tout, dÚs qu'on sait qu'il ne ruse avec son seigneur que pour garantir ce qu'il aime et sauver sa propriété. Donc, hors le Comte et ses agents, chacun fait dans la piÚce à peu prÚs ce qu'il doit. Si vous les croyez malhonnÃÂȘtes parce qu'ils disent du mal les uns des autres, c'est une rÚgle trÚs fautive. Voyez nos honnÃÂȘtes gens du siÚcle on passe la vie à ne faire autre chose! Il est mÃÂȘme tellement reçu de déchirer sans pitié les absents, que moi, qui les défends toujours, j'entends murmurer trÚs souvent "Quel diable d'homme, et qu'il est contrariant! il dit du bien de tout le monde!" Est-ce mon page, enfin, qui vous scandalise, et l'immoralité qu'on reproche au fond de l'ouvrage serait-elle dans l'accessoire? O censeurs délicats, beaux esprits sans fatigue, inquisiteurs pour la morale, qui condamnez en un clin d'oeil les réflexions de cinq années, soyez justes une fois, sans tirer à conséquence. Un enfant de treize ans, aux premiers battements du coeur, cherchant tout sans rien démÃÂȘler, idolùtre, ainsi qu'on l'est à cet ùge heureux, d'un objet céleste pour lui, dont le hasard fit sa marraine est-il un sujet de scandale? Aimé de tout le monde au chùteau, vif, espiÚgle et brûlant comme tous les enfants spirituels, par son agitation extrÃÂȘme, il dérange dix fois sans le vouloir les coupables projets du Comte. Jeune adepte de la nature, tout ce qu'il voit a droit de l'agiter peut-ÃÂȘtre il n'est plus un enfant, mais il n'est pas encore un homme; et c'est le moment que j'ai choisi pour qu'il obtÃnt de l'intérÃÂȘt, sans forcer personne à rougir. Ce qu'il éprouve innocemment, il l'inspire partout de mÃÂȘme. Direz-vous qu'on l'aime d'amour? Censeurs, ce n'est pas là le mot. Vous ÃÂȘtes trop éclairés pour ignorer que l'amour, mÃÂȘme le plus pur, a un motif intéressé on ne l'aime donc pas encore; on sent qu'un jour on l'aimera. Et c'est ce que l'auteur a mis avec gaieté dans la bouche de Suzanne, quand elle dit à cet enfant Oh ! dans trois ou quatre ans, je prédis que vous serez le plus grand petit vaurien... Pour lui imprimer plus fortement le caractÚre de l'enfance, nous le faisons exprÚs tutoyer par Figaro. Supposez-lui deux ans de plus, quel valet dans le chùteau prendrait ces libertés? Voyez-le à la fin de son rÎle; à peine a-t-il un habit d'officier, qu'il porte la main à l'épée aux premiÚres railleries du Comte, sur le quiproquo d'un soufflet. Il sera fier, notre étourdi! mais c'est un enfant, rien de plus. N'ai-je pas vu nos dames, dans les loges, aimer mon page à la folie? Que lui voulaient-elles? Hélas! rien c'était de l'intérÃÂȘt aussi; mais, comme celui de la Comtesse, un pur et naïf intérÃÂȘt un intérÃÂȘt... sans intérÃÂȘt. Mais est-ce la personne du page, ou la conscience du seigneur, qui fait le tourment du dernier toutes les fois que l'auteur les condamne à se rencontrer dans la piÚce? Fixez ce léger aperçu, il peut vous mettre sur la voie; ou plutÎt apprenez de lui que cet enfant n'est amené que pour ajouter à la moralité de l'ouvrage, en vous montrant que l'homme le plus absolu chez lui, dÚs qu'il suit un projet coupable, peut ÃÂȘtre mis au désespoir par l'ÃÂȘtre le moins important, par celui qui redoute le plus de se rencontrer sur sa route. Quand mon page aura dix-huit ans, avec le caractÚre vif et bouillant que je lui ai donné, je serai coupable à mon tour si je le montre sur la scÚne. Mais à treize ans, qu'inspire-t-il? Quelque chose de sensible et doux, qui n'est amitié ni amour, et qui tient un peu de tous deux. J'aurais de la peine à faire croire à l'innocence de ces impressions, si nous vivions dans un siÚcle moins chaste, dans un de ces siÚcles de calcul, oÃÂč, voulant tout prématuré comme les fruits de leurs serres chaudes, les Grands mariaient leurs enfants à douze ans, et faisaient plier la nature, la décence et le goût aux plus sordides convenances, en se hùtant surtout d'arracher de ces ÃÂȘtres non formés des enfants encore moins formables, dont le bonheur n'occupait personne, et qui n'étaient que le prétexte d'un certain trafic d'avantages qui n'avait nul rapport à eux, mais uniquement à leur nom. Heureusement nous en sommes bien loin et le caractÚre de mon page, sans conséquence pour lui-mÃÂȘme, en a une relative au Comte, que le moraliste aperçoit, mais qui n'a pas encore frappé le grand commun de nos jugeurs. Ainsi, dans cet ouvrage, chaque rÎle important a quelque but moral. Le seul qui semble y déroger est le rÎle de Marceline. Coupable d'un ancien égarement dont son Figaro fut le fruit, elle devrait, dit-on, se voir au moins punie par la confusion de sa faute, lorsqu'elle reconnaÃt son fils. L'auteur eût pu en tirer une moralité plus profonde dans les moeurs qu'il veut corriger, la faute d'une jeune fille séduite est celle des hommes et non la sienne. Pourquoi donc ne l'a-t-il pas fait? Il l'a fait, censeurs raisonnables! Etudiez la scÚne suivante, qui, faisait le nerf du troisiÚme acte, et que les comédiens m'ont prié de retrancher, craignant qu'un morceau si sévÚre n'obscurcÃt la gaieté, de l'action. Quand MoliÚre a bien humilié la coquette ou coquine du Misanthrope par la lecture publique de ses lettres à tous ses amants, il la laisse avilie sous les coups qu'il lui a portés il a raison; qu'en ferait-il? Vicieuse par goût et par choix, veuve aguerrie, femme de Cour, sans aucune excuse d'erreur, et fléau d'un fort honnÃÂȘte homme, il l'abandonne à nos mépris, et telle est sa moralité. Quant à moi; saisissant l'aveu naïf de Marceline au moment de la reconnaissance, je montrais cette femme humiliée, et Bartholo qui la refuse, et Figaro, leur fils commun, dirigeant l'attention publique sur les vrais fauteurs du désordre oÃÂč l'on entraÃne sans pitié toutes les jeunes filles du peuple douées d'une jolie figure. Telle est la marche de la scÚne. Brid'oison, parlant de Figaro, qui vient de reconnaÃtre sa mÚre en Marceline. C'est clair il ne l'épousera pas. Bartholo Ni moi non plus. Marceline Ni vous! et votre fils? Vous m'aviez juré... Bartholo J'étais fou. Si pareils souvenirs engageaient, on serait tenu d'épouser tout le monde. Brid'oison Et si l'on y regardait de si prÚs, personne n'épouserait personne. Bartholo Des fautes si connues! une jeunesse déplorable! Marceline, s'échauffant par degrés. Oui, déplorable, et plus qu'on ne croit! je n'entends pas nier mes fautes; ce jour les a trop bien prouvées! Mais qu'il est dur de les expier aprÚs trente ans d'une vie modeste! J'étais née, moi, pour ÃÂȘtre sage, et je le suis devenue sitÎt qu'on m'a permis d'user de ma raison. Mais dans l'ùge des illusions, de l'inexpérience et des besoins, oÃÂč les séducteurs nous assiÚgent pendant que la misÚre nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d'ennemis rassemblés? Tel nous juge ici sévÚrement, qui peut-ÃÂȘtre en sa vie a perdu dix infortunées! Figaro Les plus coupables sont les moins généreux, c'est la rÚgle. Marceline, vivement. Hommes plus qu'ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets de vos passions, vos victimes, c'est vous qu'il faut punir des erreurs de notre jeunesse vous et vos magistrats si vains du droit de nous juger, et qui nous laissent enlever, par leur coupable négligence, tout honnÃÂȘte moyen de subsister! Est-il un seul état pour les malheureuses filles? Elles avaient un droit naturel à toute la parure des femmes; on y laisse former mille ouvriers de l'autre sexe. Figaro Ils font broder jusqu'aux soldats! Marceline, exaltée. Dans les rangs mÃÂȘme plus élevés, les femmes n'obtiennent de vous qu'une considération dérisoire. Leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ah! sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié. Figaro Elle a raison. Le Comte, à part. Que trop raison. Brid'oison Elle a, mon-on Dieu, raison. Marceline Mais que nous font, mon fils, les refus d'un homme injuste? Ne regarde pas d'oÃÂč tu viens, vois oÃÂč tu vas; cela seul importe à chacun. Dans quelques mois ta fiancée ne dépendra plus que d'elle-mÃÂȘme; elle t'acceptera, j'en réponds vis entre une épouse, une mÚre tendres, qui te chériront à qui mieux mieux. Sois indulgent pour elles, heureux pour toi, mon fils, gai, libre et bon pour tout le monde, il ne manquera rien à ta mÚre. Figaro Tu parles d'or, maman, et je me tiens à ton avis. Qu'on est sot, en effet! Il y a des mille, mille ans que le monde roule et dans cet océan de durée, oÃÂč j'ai par hasard attrapé quelques chétifs trente ans qui ne reviendront plus, j'irais me tourmenter pour savoir à qui je les dois! Tant pis pour qui s'en inquiÚte. Passer ainsi la vie à chamailler, c'est peser sur le collier sans relùche, comme les malheureux chevaux de la remonte des fleuves, qui ne reposent pas, mÃÂȘme quand ils s'arrÃÂȘtent, et qui tirent toujours, quoiqu'ils cessent de marcher. Nous attendrons. J'ai bien regretté ce morceau; et maintenant que la piÚce est connue, si les comédiens avaient le courage de le restituer à ma priÚre, je pense que le public leur en saurait beaucoup de gré Ils n'auraient plus mÃÂȘme à répondre, comme je fus forcé de le faire à certains censeurs du beau monde, qui me reprochaient à la lecture, de les intéresser pour une femme de mauvaises moeurs - Non, messieurs, je n'en parle pas pour excuser ses moeurs, mais pour vous faire rougir des vÎtres sur le point le plus destructeur de toute honnÃÂȘteté publique, la corruption des jeunes personnes; et j'avais raison de le dire, que vous trouvez ma piÚce trop gaie, parce qu'elle est souvent trop sévÚre. Il n'y a que façon de s'entendre. - Mais votre Figaro est un soleil tournant, qui brûle, en jaillissant, les manchettes de tout le monde. - Tout le monde est exagéré. Qu'on me sache gré du moins s'il ne brûle pas aussi les doigts de ceux qui croient s'y reconnaÃtre au temps qui court, on a beau jeu sur cette matiÚre au théùtre. M'est-il permis de composer en auteur qui sort du collÚge? de toujours faire rire des enfants, sans jamais rien dire à des hommes? Et ne devez-vous pas me passer un peu de morale en faveur de ma gaieté, comme on passe aux Français un peu de folie en faveur de leur raison? Si je n'ai versé sur nos sottises qu'un peu de critique badine, ce n'est pas que je ne sache en former de plus sévÚres quiconque a dit tout ce qu'il sait dans son ouvrage, y a mis plus que moi dans le mien. Mais je garde une foule d'idées qui me pressent pour un des sujets les plus moraux du théùtre, aujourd'hui sur mon chantier La MÚre coupable; et si le dégoût dont on m'abreuve me permet jamais de l'achever, mon projet étant d'y faire verser des larmes à toutes les femmes sensibles, j'élÚverai mon langage à la hauteur de mes situations; j'y prodiguerai les traits de la plus austÚre morale, et je tonnerai fortement sur les vices que j'ai trop ménagés. ApprÃÂȘtez-vous donc bien, messieurs, à me tourmenter de nouveau ma poitrine a déjà grondé; j'ai noirci beaucoup de papier au service de votre colÚre. Et vous, honnÃÂȘtes indifférents qui jouissez de tout sans prendre parti sur rien; jeunes personnes modestes et timides, qui vous plaisez à ma Folle journée et je n'entreprends sa défense que pour justifier votre goût, lorsque vous verrez dans le monde un de ces hommes tranchants critiquer vaguement la piÚce, tout blùmer sans rien désigner, surtout la trouver indécente, examinez bien cet homme-là , sachez son rang, son état, son caractÚre, et vous connaÃtrez sur-le-champ le mot qui l'a blessé dans l'ouvrage. On sent bien que je ne parle pas de ces écumeurs littéraires qui vendent leurs bulletins ou leurs affiches à tant de liards le paragraphe. Ceux-là , comme l'abbé Bazile, peuvent calomnier; ils médiraient, qu'on ne les croirait pas. Je parle moins encore de ces libellistes honteux qui n'ont trouvé d'autre moyen de satisfaire leur rage, l'assassinat étant trop dangereux, que de lancer, du cintre de nos salles, des vers infùmes contre l'auteur, pendant que l'on jouait sa piÚce. Ils savent que je les connais; si j'avais eu dessein de les nommer, ç'aurait été au ministÚre public; leur supplice est de l'avoir craint, il suffit à mon ressentiment. Mais on n'imaginera jamais jusqu'oÃÂč ils ont osé élever les soupçons du public sur une aussi lùche épigramme! semblables à ces vils charlatans du Pont-Neuf, qui, pour accréditer leurs drogues, farcissent d'ordres, de cordons, le tableau qui leur sert d'enseigne. Non, je cite nos importants, qui, blessés, on ne sait pourquoi, des critiques semées dans l'ouvrage, se chargent d'en dire du mal, sans cesser de venir aux noces. C'est un plaisir assez piquant de les voir d'en bas au spectacle, dans le trÚs plaisant embarras de n'oser montrer ni satisfaction ni colÚre; s'avançant sur le bord des loges, prÃÂȘts à se moquer de l'auteur, et se retirant aussitÎt pour celer un peu de grimace; emportés par un mot de la scÚne et soudainement rembrunis par le pinceau du moraliste, au plus léger trait de gaieté jouer tristement les étonnés, prendre un air gauche en faisant les pudiques, et regardant les femmes dans les yeux, comme pour leur reprocher de soutenir un tel scandale; puis, aux grands applaudissements, lancer sur le public un regard méprisant, dont il est écrasé; toujours prÃÂȘts à lui dire, comme ce courtisan dont parle MoliÚre, lequel, outré du succÚs de L'Ecole des femmes, criait des balcons au public Ris donc, public, ris donc! En vérité, c'est un plaisir, et j'en ai joui bien des fois. Celui-là m'en rappelle un autre. Le premier jour de La Folle journée, on s'échauffait dans le foyer mÃÂȘme d'honnÃÂȘtes plébéiens sur ce qu'ils nommaient spirituellement mon audace. Un petit vieillard sec et brusque; impatienté de tous ces cris, frappe le plancher de sa canne, et dit en s'en allant Nos Français sont comme les enfants, qui braillent quand on les éberne. Il avait du sens, ce vieillard! Peut-ÃÂȘtre on pouvait mieux parler, mais pour mieux penser, j'en défie. Avec cette intention de tout blùmer, on conçoit que les traits les plus sensés ont été pris en mauvaise part. N'ai-je pas entendu vingt fois un murmure descendre des loges à cette réponse de Figaro Le Comte Une réputation détestable! Figaro Et si je vaux mieux qu'elle! Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant? Je dis, moi, qu'il n'y en a point, qu'il ne saurait y en avoir, à moins d'une exception bien rare. Un homme obscur ou peu connu peut valoir mieux que sa réputation, qui n'est que l'opinion d'autrui. Mais de mÃÂȘme qu'un sot en place en parait une fois plus sot, parce qu'il ne peut plus rien cacher, de mÃÂȘme un grand seigneur, l'homme élevé en dignités, que la fortune et sa naissance ont placé sur le grand théùtre, et qui en entrant dans le monde, eut toutes les préventions pour lui, vaut presque toujours moins que sa réputation, s'il parvient à la rendre mauvaise. Une assertion si simple et si loin du sarcasme devait-elle exciter le murmure? Si son application paraÃt fùcheuse aux Grands peu soigneux de leur gloire, en quel sens fait-elle épigramme sur ceux qui méritent nos respects? Et quelle maxime plus juste au théùtre peut servir de frein aux puissants, et tenir lieu de leçon à ceux qui n'en reçoivent point d'autres? Non qu'il faille oublier a dit un écrivain sévÚre, et je me plais à le citer parce que je suis de son avis, "non qu'il faille oublier, dit-il, ce qu'on doit aux rangs élevés il est juste, au contraire, que l'avantage de la naissance soit le moins contesté de tous, parce que ce bienfait gratuit de l'hérédité, relatif aux exploits, vertus ou qualités des aïeux de qui le reçut, ne peut aucunement blesser l'amour-propre de ceux auxquels il fut refusé; parce que, dans une monarchie, si l'on Îtait les rangs intermédiaires, il y aurait trop loin du monarque aux sujets; bientÎt on n'y verrait qu'un despote et des esclaves le maintien d'une échelle graduée du laboureur au potentat intéresse également les hommes de tous les rangs, et peut-ÃÂȘtre est le plus ferme appui de la constitution monarchique." Mais quel auteur parlait ainsi? qui faisait cette profession de foi sur la noblesse, dont on me suppose si loin? C'était PIERRE AUGUSTIN CARON DE BEAUMARCHAIS, plaidant par écrit au Parlement d'Aix, en 1778, une grande et sévÚre question qui décida bientÎt de l'honneur d'un noble et du sien. Dans l'ouvrage que je défends, on n'attaque point les états, mais les abus de chaque état les gens seuls qui s'en rendent coupables ont intérÃÂȘt à le trouver mauvais. Voilà les rumeurs expliquées mais quoi donc! les abus sont-ils devenus si sacrés, qu'on n'en puisse attaquer aucun sans lui trouver vingt défenseurs? Un avocat célÚbre, un magistrat respectable, iront-ils donc s'approprier le plaidoyer d'un Bartholo, le jugement d'un Brid'oison? Ce mot de Figaro sur l'indigne abus des plaidoiries de nos jours C'est dégrader le plus noble institut a bien montré le cas que je fais du noble métier d'avocat; et mon respect pour la magistrature ne sera pas plus suspecté quand on saura dans quelle école j'en ai recherché la leçon, quand on lira le morceau suivant, aussi tiré d'un moraliste, lequel parlant des magistrats, s'exprime en ces termes formels "Quel homme aisé voudrait, pour le plus modique honoraire, faire le métier cruel de se lever à quatre heures, pour aller au Palais tous les jours s'occuper, sous des formes prescrites, d'intérÃÂȘts qui ne sont jamais les siens? d'éprouver sans cesse l'ennui de l'importunité, le dégoût des sollicitations, le bavardage des plaideurs, la monotonie des audiences, la fatigue des délibérations, et la contention d'esprit nécessaire aux prononcés des arrÃÂȘts, s'il ne se croyait pas payé de cette vie laborieuse et pénible par l'estime et la considération publiques? Et cette estime est-elle autre chose qu'un jugement, qui n'est mÃÂȘme aussi flatteur pour les bons magistrats qu'en raison de sa rigueur excessive contre les mauvais?" Mais quel écrivain m'instruisait ainsi par ses leçons? Vous allez croire encore que c'est PIERRE-AUGUSTIN; vous l'avez dit c'est lui, en 1773, dans son quatriÚme Mémoire, en défendant jusqu'à la mort sa triste existence, attaquée par un soi-disant magistrat. Je respecte donc hautement ce que chacun doit honorer, et je blùme ce qui peut nuire. - Mais dans cette Folle journée, au lieu de saper les abus, vous vous donnez des libertés trÚs répréhensibles au théùtre; votre monologue surtout contient, sur les gens disgraciés, des traits qui passent la licence! - Eh! croyez-vous, messieurs, que j'eusse un talisman pour tromper, séduire, enchaÃner la censure et l'autorité, quand je leur soumis mon ouvrage? que je n'aie pas dû justifier ce que j'avais osé écrire? Que fais-je dire à Figaro, parlant à l'homme déplacé? Que les sottises imprimées n'ont d'importance qu'aux lieux oÃÂč l'on en gÃÂȘne le cours. Est-ce donc là une vérité d'une conséquence dangereuse? Au lieu de ces inquisitions puériles et fatigantes, et qui seules donnent de l'importance à ce qui n'en aurait jamais; si, comme en Angleterre, on était assez sage ici pour traiter les sottises avec ce mépris qui les tue, loin de sortir du vil fumier qui les enfante, elles y pourriraient en germant, et ne se propageraient point. Ce qui multiplie les libelles est la faiblesse de les craindre; ce qui fait vendre les sottises est la sottise de les défendre. Et comment conclut Figaro? Que sans la liberté de blùmer, il n'est point d'éloge flatteur; et qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. Sont-ce là des hardiesses coupables, ou bien des aiguillons de gloire? des moralités insidieuses, ou des maximes réfléchies, aussi justes qu'encourageantes? Supposez-les le fruit des souvenirs. Lorsque, satisfait du présent, l'auteur veille pour l'avenir, dans la critique du passé, qui peut avoir droit de s'en plaindre? Et si, ne désignant ni temps, ni lieu, ni personnes, il ouvre la voie au théùtre à des réformes désirables, n'est-ce pas aller à son but? La Folle journée explique donc comment, dans un temps prospÚre, sous un roi juste et des ministres modérés, l'écrivain peut tonner sur les oppresseurs, sans craindre de blesser personne. C'est pendant le rÚgne d'un bon prince qu'on écrit sans danger l'histoire des méchants rois; et plus le gouvernement est sage, est éclairé, moins la liberté de dire est en presse chacun y faisant son devoir, on n'y craint pas les allusions; nul homme en place ne redoutant ce qu'il est forcé d'estimer, on n'affecte point alors d'opprimer chez nous cette mÃÂȘme littérature qui fait notre gloire au-dehors, et nous y donne une sorte de primauté que nous ne pouvons tirer d'ailleurs. En effet, à quel titre y prétendrions-nous? Chaque peuple tient à son culte et chérit son gouvernement. Nous ne sommes pas restés plus braves que ceux qui nous ont battus à leur tour. Nos moeurs plus douces, mais non meilleures, n'ont rien qui nous élÚve au-dessus d'eux. Notre littérature seule, estimée de toutes les nations, étend l'empire de la langue française et nous obtient de l'Europe entiÚre une prédilection avouée qui justifie, en l'honorant, la protection que le gouvernement lui accorde. Et comme chacun cherche toujours le seul avantage qui lui manque, c'est alors qu'on peut voir dans nos académies l'homme de la Cour siéger avec les gens de lettres; les talents personnels et la considération héritée se disputer ce noble objet, et les archives académiques se remplir presque également de papiers et de parchemins. Revenons à La Folle journée. Un monsieur de beaucoup d'esprit, mais qui l'économise un peu trop, me disait un soir au spectacle - Expliquez-moi donc, je vous prie, pourquoi dans votre piÚce on trouve autant de phrases négligées qui ne sont pas de votre style? - De mon style, monsieur? Si par malheur j'en avais un, je m'efforcerais de l'oublier quand je fais une comédie, ne connaissant rien d'insipide au théùtre comme ces fades camaïeux oÃÂč tout est bleu, oÃÂč tout est rose, oÃÂč tout est l'auteur, quel qu'il soit. Lorsque mon sujet me saisit, j'évoque tous mes personnages et les mets en situation. - Songe à toi, Figaro, ton maÃtre va te deviner. Sauvez-vous vite, Chérubin, c'est le Comte que vous touchez. - Ah! Comtesse, quelle imprudence avec un époux si violent! - Ce qu'ils diront, je n'en sais rien, c'est ce qu'ils feront qui m'occupe. Puis, quand ils sont bien animés, j'écris sous leur dictée rapide, sûr qu'ils ne me tromperont pas; que je reconnaÃtrai Bazile, lequel n'a pas l'esprit de Figaro, qui n'a pas le ton noble du Comte, qui n'a pas la sensibilité de la Comtesse, qui n'a pas la gaieté de Suzanne, qui n'a pas l'espiÚglerie du page, et surtout aucun d'eux la sublimité de Brid'oison. Chacun y parle son langage eh! que le dieu du naturel les préserve d'en parler d'autre! Ne nous attachons donc qu'à l'examen de leurs idées, et non à rechercher si j'ai dû leur prÃÂȘter mon style. Quelques malveillants ont voulu jeter de la défaveur sur cette phrase de Figaro Sommes-nous des soldats qui tuent et se font tuer pour des intérÃÂȘts qu'ils ignorent? Je veux savoir, moi, pourquoi je me fùche! A travers le nuage d'une conception indigeste, ils ont feint d'apercevoir que je répands une lumiÚre décourageante sur l'état pénible du soldat; et il y a des choses qu'il ne faut jamais dire. Voilà dans toute sa force l'argument de la méchanceté; reste à en prouver la bÃÂȘtise. Si, comparant la dureté du service à la modicité de la paye, ou discutant tel autre inconvénient de la guerre et comptant la gloire pour rien, je versais de la défaveur sur ce plus noble des affreux métiers, on me demanderait justement compte d'un mot indiscrÚtement échappé. Mais du soldat au colonel, au général exclusivement, quel imbécile homme de guerre a jamais eu la prétention qu'il dût pénétrer les secrets du cabinet, pour lesquels il fait la campagne? C'est de cela seul qu'il s'agit dans la phrase de Figaro. Que ce fou-là se montre, s'il existe; nous l'enverrons étudier sous le philosophe Babouc, lequel éclaircit disertement ce point de discipline militaire. En raisonnant sur l'usage que l'homme fait de sa liberté dans les occasions difficiles, Figaro pouvait également opposer à sa situation tout état qui exige une obéissance implicite, et le cénobite zélé dont le devoir est de tout croire sans jamais rien examiner, comme le guerrier valeureux, dont la gloire est de tout affronter sur des ordres non motivés, de tuer et se faire tuer pour des intérÃÂȘts qu'il ignore. Le mot de Figaro ne dit donc rien, sinon qu'un homme libre de ses actions doit agir sur d'autres principes que ceux dont le devoir est d'obéir aveuglément. Qu'aurait-ce été, bon Dieu! si j'avais fait usage d'un mot qu'on attribue au grand Condé, et que j'entends louer à outrance par ces mÃÂȘmes logiciens qui déraisonnent sur ma phrase? A les croire, le grand Condé montra la plus noble présence d'esprit lorsque, arrÃÂȘtant Louis XIV prÃÂȘt à pousser son cheval dans le Rhin, il dit à ce monarque Sire, avez-vous besoin du bùton de maréchal? Heureusement on ne prouve nulle part que ce grand homme ait dit cette grande sottise. C'eût été dire au roi, devant toute son armée "Vous moquez-vous donc, Sire, de vous exposer dans un fleuve? Pour courir de pareils dangers, il faut avoir besoin d'avancement ou de fortune!" Ainsi l'homme le plus vaillant, le plus grand général du siÚcle aurait compté pour rien l'honneur, le patriotisme et la gloire! Un misérable calcul d'intérÃÂȘt eût été, selon lui, le seul principe de la bravoure! Il eût dit là un affreux mot, et si j'en avais pris le sens pour l'enfermer dans quelque trait, je mériterais le reproche qu'on fait gratuitement au mien. Laissons donc les cerveaux fumeux louer ou blùmer au hasard, sans se rendre compte de rien; s'extasier sur une sottise qui n'a pu jamais ÃÂȘtre dite, et proscrire un mot juste et simple, qui ne montre que du bon sens. Un autre reproche assez fort, mais dont je n'ai pu me laver, est d'avoir assigné pour retraite à la Comtesse un certain couvent d'Ursulines. Ursulines! a dit un seigneur, joignant les mains avec éclat. Ursulines! a dit une dame, en se renversant de surprise sur un jeune Anglais de sa loge. Ursulines! ah! milord! si vous entendiez le français!... - Je sens, je sens beaucoup, madame, dit le jeune homme en rougissant. - C'est qu'on n'a jamais mis au théùtre aucune femme aux Ursulines! Abbé, parlez-nous donc! L'abbé toujours appuyée sur l'Anglais, comment trouvez-vous Ursulines? - Fort indécent, répond l'abbé, sans cesser de lorgner Suzanne. Et tout le beau monde a répété Ursulines est fort indécent. Pauvre auteur! on te croit jugé, quand chacun songe à son affaire. En vain j'essayais d'établir que, dans l'événement de la scÚne, moins la Comtesse a dessein de se cloÃtrer, plus elle doit le feindre et faire croire à son époux que sa retraite est bien choisie ils ont proscrit mes Ursulines! Dans le plus fort de la rumeur, moi, bon homme, j'avais été jusqu'à prier une des actrices qui font le charme de ma piÚce de demander aux mécontents à quel autre couvent de filles ils estimaient qu'il fût décent que l'on fÃt entrer la Comtesse? A moi, cela m'était égal; je l'aurais mise oÃÂč l'on aurait voulu aux Augustines, aux Célestines, aux Clairettes, aux Visitandines, mÃÂȘme aux Petites CordeliÚres, tant je tiens peu aux Ursulines. Mais on agit si durement! Enfin, le bruit croissant toujours, pour arranger l'affaire avec douceur, j'ai laissé le mot Ursulines à la place oÃÂč je l'avais mis chacun alors content de soi, de tout l'esprit qu'il avait montré, s'est apaisé sur Ursulines, et l'on a parlé d'autre chose. Je ne suis point, comme l'on voit, l'ennemi de mes ennemis. En disant bien du mal de moi, ils n'en ont point fait à ma piÚce; et s'ils sentaient seulement autant de joie à la déchirer que j'eus de plaisir à la faire, il n'y aurait personne d'affligé. Le malheur est qu'ils ne rient point; et ils ne rient point à ma piÚce, parce qu'on ne rit point à la leur. Je connais plusieurs amateurs qui sont mÃÂȘme beaucoup maigris depuis le succÚs du Mariage excusons donc l'effet de leur colÚre. A des moralités d'ensemble et de détail, répandues dans les flots d'une inaltérable gaieté; à un dialogue assez vif, dont la facilité nous cache le travail, si l'auteur a joint une intrigue aisément filée, oÃÂč l'art se dérobe sous l'art, qui se noue et se dénoue sans cesse, à travers une foule de situations comiques, de tableaux piquants et variés qui soutiennent, sans la fatiguer l'attention du public pendant les trois heures et demie que dure le mÃÂȘme spectacle essai que nul homme de lettres n'avait encore osé tenter!, que reste-t-il à faire à de pauvres méchants que tout cela irrite? Attaquer, poursuivre l'auteur par des injures verbales, manuscrites, imprimées c'est ce qu'on a fait sans relùche. Ils ont mÃÂȘme épuisé jusqu'à la calomnie, pour tùcher de me perdre dans l'esprit de tout ce qui influe en France sur le repos d'un citoyen. Heureusement que mon ouvrage est sous les yeux de la nation, qui depuis dix grands mois le voit, le juge et l'apprécie. Le laisser jouer tant qu'il fera plaisir est la seule vengeance que je me sois permise. Je n'écris point ceci pour les lecteurs actuels le récit d'un mal trop connu touche peu; mais dans quatre-vingts ans il portera son fruit. Les auteurs de ce temps-là compareront leur sort au nÎtre, et nos enfants sauront à quel prix on pouvait amuser leurs pÚres. Allons au fait; ce n'est pas tout cela qui blesse. Le vrai motif qui se cache, et qui dans les replis du coeur produit tous les autres reproches, est renfermé dans ce quatrain Pourquoi ce Figaro qu'on va tant écouter Est-il avec fureur déchiré par les sots? Recevoir, prendre et demander, Voilà le secret en trois mots! En effet, Figaro parlant du métier de courtisan, le définit dans ces termes sévÚres. Je ne puis le nier, je l'ai dit. Mais reviendrai-je sur ce point? Si c'est un mal, le remÚde serait pire il faudrait poser méthodiquement ce que je n'ai fait qu'indiquer; revenir à montrer qu'il n'y a point de synonyme, en français entre l'homme de la Cour, l'homme de Cour, et le courtisan par métier. Il faudrait répéter qu'homme de la Cour peint seulement un noble état; qu'il s'entend de l'homme de qualité, vivant avec la noblesse et l'éclat que son rang lui impose; que si cet homme de la Cour aime le bien par goût, sans intérÃÂȘt, si, loin de jamais nuire à personne, il se fait estimer de ses maÃtres, aimer de ses égaux et respecter des autres; alors cette acception reçoit un nouveau lustre, et j'en connais plus d'un que je nommerais avec plaisir, s'il en était question. Il faudrait montrer qu'homme de Cour, en bon français, est moins l'énoncé d'un état que le résumé d'un caractÚre adroit, liant, mais réservé; pressant la main de tout le monde en glissant chemin à travers; menant finement son intrigue avec l'ait de toujours servir; ne se faisant point d'ennemis, mais donnant prés d'un fossé, dans l'occasion, de l'épaule au meilleur ami, pour assurer sa chute et le remplacer sur la crÃÂȘte; laissant à part tout préjugé qui pourrait ralentir sa marche; souriant à ce qui lui déplaÃt, et critiquant ce qu'il approuve, selon les hommes qui l'écoutent; dans les liaisons utiles de sa femme ou de sa maÃtresse, ne voyant que ce qu'il doit voir, enfin... Prenant! tout, pour le faire court, En véritable homme de Cour. LA FONTAINE. Cette acception n'est pas aussi défavorable que celle du courtisan par métier, et c'est l'homme dont parle Figaro. Mais quand j'étendrais la définition de ce dernier; quand parcourant tous les possibles, je le montrerais avec son maintien équivoque, haut et bas à la fois; rampant avec orgueil, ayant toutes les prétentions sans en justifier une; se donnant l'air du protégement pour se faire chef de parti; dénigrant tous les concurrents qui balanceraient son crédit; faisant un métier lucratif de ce qui ne devrait qu'honorer; vendant ses maÃtresses à son maÃtre; lui faisant payer ses plaisirs, etc., etc., et quatre pages d'etc., il faudrait toujours revenir au distique de Figaro Recevoir, prendre et demander, Voilà le secret en trois mots. Pour ceux-ci, je n'en connais point; il y en eut, dit-on, sous Henri III, sous d'autres rois encore; mais c'est l'affaire de l'historien, et, quant à moi, je suis d'avis que les vicieux du siÚcle en sont comme les saints; qu'il faut cent ans pour les canoniser. Mais puisque j'ai promis la critique de ma piÚce, il faut enfin que je la donne. En général son grand défaut est que je ne l'ai point faite en observant le monde; qu'elle ne peint rien de ce qui existe, et ne rappelle jamais l'image de la société oÃÂč l'on vit; que ses moeurs, basses et corrompues, n'ont pas mÃÂȘme le mérite d'ÃÂȘtre vraies. Et c'est ce qu'on lisait derniÚrement dans un beau discours imprimé, composé par un homme de bien, auquel il n'a manqué qu'un peu d'esprit pour ÃÂȘtre un écrivain médiocre. Mais médiocre ou non, moi qui ne fis jamais usage de cette allure oblique et torse avec laquelle un sbire, qui n'a pas l'air de vous regarder, vous donne du stylet au flanc, je suis de l'avis de celui-ci. Je conviens qu'à la vérité la génération passée ressemblait beaucoup à ma piÚce; que la génération future lui ressemblera beaucoup aussi; mais que pour la génération présente, elle ne lui ressemble aucunement; que je n'ai jamais rencontré ni mari suborneur, ni seigneur libertin, ni courtisan avide, ni juge ignorant ou passionné, ni avocat injuriant, ni gens médiocres avancés, ni traducteur bassement jaloux. Et que si des ùmes pures, qui ne s'y reconnaissent point du tout, s'irritent contre ma piÚce et la déchirent sans relùche, c'est uniquement par respect pour leurs grands-pÚres et sensibilité pour leurs petits-enfants. J'espÚre, aprÚs cette déclaration, qu'on me laissera bien tranquille ET J'AI FINI. CaractÚres et habillements de la piÚce Le Comte Almaviva doit ÃÂȘtre joué trÚs noblement, mais avec grùce et liberté. La corruption du coeur ne doit rien Îter au bon ton de ses maniÚres. Dans les moeurs de ce temps-là les Grands traitaient en badinant toute entreprise sur les femmes. Ce rÎle est d'autant plus pénible à bien rendre, que le personnage est toujours sacrifié. Mais joué par un comédien excellent M. Molé, il a fait ressortir tous les rÎles, et assuré le succÚs de la piÚce. Son vÃÂȘtement des premier et second actes est un habit de chasse avec des bottines à mi-jambe, de l'ancien costume espagnol. Du troisiÚme acte jusqu'à la fin, un habit superbe de ce costume. La Comtesse, agitée de deux sentiments contraires, ne doit montrer qu'une sensibilité réprimée, ou une colÚre trÚs modérée; rien surtout qui dégrade, aux yeux du spectateur, son caractÚre aimable et vertueux. Ce rÎle, un des plus difficiles de la piÚce, a fait infiniment d'honneur au grand talent de mademoiselle Saint-Val cadette. Son vÃÂȘtement des premier, second et quatriÚme actes, est une lévite commode et nul ornement sur la tÃÂȘte elle est chez elle, et censée incommodée. Au cinquiÚme acte, elle a l'habillement et la haute coiffure de Suzanne. Figaro. L'on ne peut trop recommander à l'acteur qui jouera ce rÎle de bien se pénétrer de son esprit, comme l'a fait M. Dazincourt. S'il y voyait autre chose que de la raison assaisonnée de gaieté et de saillies, surtout s'il y mettait la moindre charge, il avilirait un rÎle que le premier comique du théùtre, M. Préville, a jugé devoir honorer le talent de tout comédien qui saurait en saisir les nuances multipliées, et pourrait s'élever à son entiÚre conception. Son vÃÂȘtement comme dans le Barbier de Séville. Suzanne. Jeune personne adroite, spirituelle et rieuse, mais non de cette gaieté presque effrontée de nos soubrettes corruptrices; son joli caractÚre est dessiné dans la préface, et c'est là que l'actrice qui n'a point vu mademoiselle Contat doit l'étudier pour le bien rendre. Son vÃÂȘtement des quatre premiers actes est un juste blanc à basquines, trÚs élégant, la jupe de mÃÂȘme, avec une toque, appelée depuis par nos marchandes à la Suzanne. Dans la fÃÂȘte du quatriÚme acte, le Comte lui pose sur la tÚte une toque à long voile, à hautes plumes et à rubans blancs. Elle porte au cinquiÚme acte la lévite de sa maÃtresse, et nul ornement sur la tÃÂȘte. Marceline est une femme d'esprit, née un peu vive, mais dont les fautes et l'expérience ont réformé le caractÚre. Si l'actrice qui le joue s'élÚve avec une fierté bien placée à la hauteur trÚs morale qui suit la reconnaissance du troisiÚme acte, elle ajoutera beaucoup à l'intérÃÂȘt de l'ouvrage. Son vÃÂȘtement est celui des duÚgnes espagnoles, d'une couleur modeste, un bonnet noir sur la tÃÂȘte. Antonio ne doit montrer qu'une demi-ivresse, qui se dissipe par degrés; de sorte qu'au cinquiÚme acte on ne s'en aperçoive presque plus. Son vÃÂȘtement est celui d'un paysan espagnol, oÃÂč les manches pendent par-derriÚre; un chapeau et des souliers blancs. Fanchette est une enfant de douze ans, trÚs naïve. Son petit habit est un juste brun avec des ganses et des boutons d'argent, la jupe de couleur tranchante, et une toque noire à plumes sur la tÃÂȘte. Il sera celui des autres paysannes de la noce. Chérubin. Ce rÎle ne peut ÃÂȘtre joué, comme il l'a été, que par une jeune et trÚs jolie femme; nous n'avons point à nos théùtres de trÚs jeune homme assez formé pour en bien sentir les finesses. Timide à l'excÚs devant la Comtesse, ailleurs un charmant polisson; un désir inquiet et vague est le fond de son caractÚre. Il s'élance à la puberté, mais sans projet, sans connaissances, et tout entier à chaque événement; enfin il est ce que toute mÚre, au fond du coeur, voudrait peut-ÃÂȘtre que fût son fils, quoiqu'elle dût beaucoup en souffrir. Son riche vÃÂȘtement, au premier et second actes, est celui d'un page de Cour espagnol, blanc et brodé d'argent; le léger manteau bleu sur l'épaule, et un chapeau chargé de plumes. Au quatriÚme acte, il a le corset, la jupe et la toque des jeunes paysannes qui l'amÚnent. Au cinquiÚme acte, un habit uniforme d'officier, une cocarde et une épée. Bartholo. Le caractÚre et l'habit comme dans Le Barbier de Séville; il n'est ici qu'un rÎle secondaire. Bazile. CaractÚre et vÃÂȘtement comme dans Le Barbier de Séville; il n'est aussi qu'un rÎle secondaire. Brid'oison doit avoir cette bonne et franche assurance des bÃÂȘtes qui n'ont plus leur timidité. Son bégaiement n'est qu'une grùce de plus, qui doit ÃÂȘtre à peine sentie; et l'acteur se tromperait lourdement et jouerait à contre-sens, s'il y cherchait le plaisant de son rÎle. Il est tout entier dans l'opposition de la gravité de son état au ridicule du caractÚre; et moins l'acteur le chargera, plus il montrera de vrai talent. Son habit est une robe de juge espagnol moins ample que celle de nos procureurs, presque une soutane; une grosse perruque, une gonille ou rabat espagnol au cou, et une longue baguette blanche à la main. Double-Main. VÃÂȘtu comme le juge; mais la baguette blanche plus courte. L'Huissier ou Alguazil. Habit, manteau, épée de Crispin, mais portée à son cÎté sans ceinture de cuir. Point de bottines, une chaussure noire, une perruque blanche naissante et longue, à mille boucles, une courte baguette blanche. Gripe-Soleil. Habit de paysan, les manches pendantes, veste de couleur tranchée, chapeau blanc. Une Jeune BergÚre. Son vÃÂȘtement comme celui de Fanchette. Pédrille. En veste, gilet, ceinture, fouet, et bottes de poste, une résille sur la tÃÂȘte, chapeau de courrier. Personnages muets, les uns en habits de juges, d'autres et habits de paysans, les autres en habits de livrée. Personnages Le Comte Almaviva, grand corrégidor d'Andalousie. La Comtesse, sa femme. Figaro, valet de chambre du Comte et concierge du chùteau. Suzanne, premiÚre camariste de la Comtesse et fiancée de Figaro. Marceline, femme de charge. Antonio, jardinier du chùteau, oncle de Suzanne et pÚre de Fanchette. Fanchette, fille d'Antonio. Chérubin, premier page du Comte. Bartholo, médecin de Séville. Bazile, maÃtre de clavecin de la Comtesse. Don Gusman Brid'oison, lieutenant du siÚge. Double-Main, greffier, secrétaire de don Gusman. Un Huissier Audiencier. Gripe-Soleil, jeune patoureau. Une Jeune BergÚre. Pédrille, piqueur du Comte. Personnages muets Troupe de valets. Troupe de paysannes. Troupe de paysans. La scÚne est au chùteau d'Aguas-Frescas, à trois lieues de Séville. Placement des acteurs Pour faciliter les jeux du théùtre, on a eu l'attention d'écrire au commencement de chaque scÚne le nom des personnages dans l'ordre oÃÂč le spectateur les voit. S'ils font quelque mouvement grave dans la scÚne, il est désigné par un nouvel ordre de noms, écrit en marge à l'instant qu'il arrive. Il est important de conserver les bonnes positions théùtrales; le relùchement dans la tradition donnée par les premiers acteurs en produit bientÎt un total dans le jeu des piÚces, qui finit par assimiler les troupes négligentes au plus faibles comédiens de société. Acte premier Le théùtre représente une chambre à demi démeublée; un grand fauteuil de malade est au milieu. Figaro, avec une toise, mesure le plancher. Suzanne attache à sa tÃÂȘte, devant une glace, le petit bouquet de fleurs d'orange, appelé chapeau de la mariée. ScÚne I Figaro, Suzanne. Figaro Dix-neuf pieds sur vingt-six. Suzanne Tiens, Figaro, voilà mon petit chapeau le trouves-tu mieux ainsi? Figaro lui prend les mains. Sans comparaison, ma charmante. Oh! que ce joli bouquet virginal, élevé sur la tÃÂȘte d'une belle fille, est doux, le matin des noces, à l'oeil amoureux d'un époux!... Suzanne se retire. Que mesures-tu donc là , mon fils? Figaro Je regarde, ma petite Suzanne, si ce beau lit que Monseigneur nous donne aura bonne grùce ici. Suzanne Dans cette chambre? Figaro Il nous la cÚde. Suzanne Et moi, je n'en veux point. Figaro Pourquoi? Suzanne Je n'en veux point. Figaro Mais encore? Suzanne Elle me déplaÃt. Figaro On dit une raison. Suzanne Si je n'en veux pas dire? Figaro Oh! quand elles sont sûres de nous! Suzanne Prouver que j'ai raison serait accorder que je puis avoir tort. Es-tu mon serviteur; ou non? Figaro Tu prends de l'humeur contre la chambre du chùteau la plus commode, et qui tient le milieu des deux appartements. La nuit, si madame est incommodée, elle sonnera de son cÎté; zeste, en deux pas tu es chez elle. Monseigneur veut-il quelque chose il n'a qu'à tinter du sien; crac, en trois sauts me voilà rendu. Suzanne Fort bien! Mais quand il aura tinté le matin, pour te donner quelque bonne et longue commission, zeste, en deux pas, il est à ma porte, et crac, en trois sauts... Figaro Qu'entendez-vous par ces paroles? Suzanne Il faudrait m'écouter tranquillement. Figaro Eh, qu'est-ce qu'il y a? bon Dieu! Suzanne Il y a, mon ami, que, las de courtiser les beautés des environs, monsieur le comte Almaviva veut rentrer au chùteau, mais non pas chez sa femme; c'est sur la tienne, entends-tu, qu'il a jeté ses vues, auxquelles il espÚre que ce logement ne nuira pas. Et c'est ce que le loyal Bazile, honnÃÂȘte agent de ses plaisirs, et mon noble maÃtre à chanter, me répÚte chaque jour, en me donnant leçon. Figaro Bazile! Î mon mignon, si jamais volée de bois vert, appliquée sur une échine, a dûment redressé, la moelle épiniÚre à quelqu'un... Suzanne Tu croyais, bon garçon, que cette dot qu'on me donne était pour les beaux yeux de ton mérite? Figaro J'avais assez fait pour l'espérer. Suzanne Que les gens d'esprit sont bÃÂȘtes! Figaro On le dit. Suzanne Mais c'est qu'on ne veut pas le croire. Figaro On a tort. Suzanne Apprends qu'il la destine à obtenir de moi secrÚtement, certain quart d'heure, seul à seule, qu'un ancien droit du seigneur... Tu sais s'il était triste! Figaro Je le sais tellement, que si monsieur le Comte, en se mariant, n'eût pas aboli ce droit honteux, jamais je ne t'eusse épousée dans ses domaines. Suzanne Eh bien, s'il l'a détruit, il s'en repent; et c'est de ta fiancée qu'il veut le racheter en secret aujourd'hui. Figaro, se frottant la tÃÂȘte. Ma tÃÂȘte s'amollit de surprise, et mon front fertilisé... Suzanne Ne le frotte donc pas! Figaro Quel danger? Suzanne, riant. S'il y venait un petit bouton, des gens superstitieux... Figaro Tu ris, friponne! Ah! s'il y avait moyen d'attraper ce grand trompeur, de le faire donner dans un bon piÚge, et d'empocher son or! Suzanne De l'intrigue et de l'argent, te voilà dans ta sphÚre. Figaro Ce n'est pas la honte qui me retient. Suzanne La crainte? Figaro Ce n'est rien d'entreprendre une chose dangereuse, mais d'échapper au péril en la menant à bien car d'entrer cher quelqu'un la nuit, de lui souffler sa femme, et d'y recevoir cent coups de fouet pour la peine, il n'est rien plus aisé; mille sots coquins l'ont fait. Mais... On sonne de l'intérieur. Suzanne Voilà madame éveillée; elle m'a bien recommandé d'ÃÂȘtre la premiÚre à lui parler le matin de mes noces. Figaro Y a-t-il encore quelque chose là -dessous? Suzanne Le berger dit que cela porte bonheur aux épouses délaissées. Adieu, mon petit Fi, Fi, Figaro; rÃÂȘve à notre affaire. Figaro Pour m'ouvrir l'esprit, donne un petit baiser. Suzanne A mon amant aujourd'hui? Je t'en souhaite! Et qu'en dirait demain mon mari? Figaro l'embrasse. Suzanne Hé bien! hé bien! Figaro C'est que tu n'as pas d'idée de mon amour. Suzanne, se défripant. Quand cesserez-vous, importun, de m'en parler du matin au soir? Figaro, mystérieusement. Quand je pourrai te le prouver du soir jusqu'au matin. On sonne une seconde fois. Suzanne, de loin, les doigts unis sur sa bouche. Voilà votre baiser, monsieur; je n'ai plus rien à vous. Figaro court aprÚs elle. Oh! mais ce n'est pas ainsi que vous l'avez reçu. ScÚne II Figaro, seul. La charmante fille! toujours riante, verdissante, pleine de gaieté, d'esprit, d'amour et de délices! mais sage! Il marche vivement en se frottant les mains. Ah! Monseigneur! mon cher Monseigneur! vous voulez m'en donner... à garder? Je cherchais aussi pourquoi m'ayant nommé concierge, il m'emmÚne à son ambassade, et m'établit courrier de dépÃÂȘches. J'entends, monsieur le Comte; trois promotions à la fois vous, compagnon ministre; moi, casse-cou politique, et Suzon, dame du lieu, l'ambassadrice de poche, et puis; fouette courrier! Pendant que je galoperais d'un cÎté, vous feriez faire de l'autre à ma belle un joli chemin! Me crottant, m'échinant pour la gloire de votre famille; vous, daignant concourir à l'accroissement de la mienne! Quelle douce réciprocité! Mais, Monseigneur, il y a de l'abus. Faire à Londres, en mÃÂȘme temps, les affaires de votre maÃtre et celles de votre valet! représenter à la fois le Roi et moi dans une Cour étrangÚre, c'est trop de moitié, c'est trop. - Pour toi, Bazile! fripon mon cadet! je veux t'apprendre à clocher devant les boiteux; je veux... Non, dissimulons avec eux, pour les enferrer l'un par l'autre. Attention sur la journée, monsieur Figaro! D'abord avancer l'heure de votre petite fÃÂȘte, pour épouser plus sûrement; écarter une Marceline qui de vous est friande en diable; empocher l'or et les présents; donner le change aux petites passions de monsieur le Comte; étriller rondement monsieur du Bazile, et... ScÚne III Marceline, Bartholo, Figaro. Figaro s'interrompt. Héééé, voilà le gros docteur la fÃÂȘte sera complÚte. Hé! bonjour, cher docteur de mon coeur! Est-ce ma noce avec Suzon qui vous attire au chùteau? Bartholo, avec dédain. Ah! mon cher monsieur, point du tout. Figaro Cela serait bien généreux! Bartholo Certainement, et par trop sot. Figaro Moi qui eus le malheur de troubler la vÎtre! Bartholo Avez-vous autre chose à nous dire? Figaro On n'aura pas pris soin de votre mule! Bartholo, en colÚre. Bavard enragé! laissez-nous. Figaro Vous vous fùchez, docteur? Les gens de votre état sont bien durs! Pas plus de pitié des pauvres animaux... en vérité... que si c'était des hommes! Adieu, Marceline avez-vous toujours envie de plaider contre moi? Pour n'aimer pas, faut-il qu'on se haïsse? Je m'en rapporte au docteur. Bartholo Qu'est-ce que c'est? Figaro Elle vous le contera de reste. Il sort. ScÚne IV Marceline, Bartholo. Bartholo le regarde aller. Ce drÎle est toujours le mÃÂȘme! Et à moins qu'on ne l'écorche vif, je prédis qu'il mourra dans la peau du plus fier insolent... Marceline le retourne. Enfin, vous voilà donc, éternel docteur! toujours si grave et compassé, qu'on pourrait mourir en attendant vos secours, comme on s'est marié jadis, malgré vos précautions. Bartholo Toujours amÚre et provocante! Hé bien, qui rend donc ma présence au chùteau si nécessaire? Monsieur le Comte a-t-il eu quelque accident? Marceline Non, docteur. Bartholo, La Rosine, sa trompeuse Comtesse, est-elle incommodée, Dieu merci? Marceline Elle languit. Bartholo Et de quoi? Marceline Son mari la néglige. Bartholo, avec joie. Ah! le digne époux qui me venge! Marceline On ne sait comment définir le Comte; il est jaloux et libertin. Bartholo Libertin par ennui, jaloux par vanité; cela va sans dire. Marceline Aujourd'hui, par exemple, il marie notre Suzanne à son Figaro, qu'il comble en faveur de cette union... Bartholo Que Son Excellence a rendue nécessaire! Marceline Pas tout à fait; mais dont Son Excellence voudrait égayer en secret l'événement avec l'épousée... Bartholo De monsieur Figaro? C'est un marché, qu'on peut conclure avec lui. Marceline Bazile assure que non. Bartholo Cet autre maraud loge ici? C'est une caverne! Hé! qu'y fait-il? Marceline Tout le mal dont il est capable. Mais le pis que j'y trouve est cette ennuyeuse passion qu'il a pour moi depuis si longtemps. Bartholo Je me serais débarrassé vingt fois de sa poursuite. Marceline De quelle maniÚre? Bartholo En l'épousant. Marceline Railleur fade et cruel, que ne vous débarrassez-vous de la mienne à ce prix? Ne le devez-vous pas? OÃÂč est le souvenir de vos engagements? Qu'est devenu celui de notre petit Emmanuel, ce fruit d'un amour oublié, qui devait nous conduire à des noces? Bartholo Îtant son chapeau. Est-ce pour écouter ces sornettes que vous m'avez fait venir de Séville? Et cet accÚs d'hymen qui vous reprend si vif... Marceline Eh bien! n'en parlons plus. Mais, si rien n'a pu vous porter à la justice de m'épouser, aidez-moi donc du moins à en épouser un autre. Bartholo Ah! volontiers parlons. Mais quel mortel abandonné du ciel et des femmes?... Marceline Eh! qui pourrait-ce ÃÂȘtre, docteur, sinon le beau, le gai, l'aimable Figaro? Bartholo Ce fripon-là ? Marceline Jamais fùché, toujours en belle humeur; donnant le présent à la joie, et s'inquiétant de l'avenir tout aussi peu que du passé; sémillant, généreux! généreux... Bartholo Comme un voleur. Marceline Comme un seigneur. Charmant enfin mais c'est le plus grand monstre! Bartholo Et sa Suzanne? Marceline Elle ne l'aurait pas, la rusée, si vous vouliez m'aider, mon petit docteur, à faire valoir un engagement que j'ai de lui. Bartholo Le jour de son mariage? Marceline On en rompt de plus avancés et, si je ne craignais d'éventer un petit secret des femmes!... Bartholo En ont-elles pour le médecin du corps? Marceline Ah! vous savez que je n'en ai pas pour vous. Mon sexe est ardent, mais timide un certain charme a beau nous attirer vers le plaisir, la femme la plus aventurée sent en elle une voix qui lui dit Sois belle, si tu peux, sage si tu veux; mais sois considérée, il le faut. Or, puisqu'il faut ÃÂȘtre au moins considérée, que toute femme en sent l'importance, effrayons d'abord la Suzanne sur la divulgation des offres qu'on lui fait. Bartholo OÃÂč cela mÚnera-t-il? Marceline Que, la honte la prenant au collet, elle continuera de refuser le Comte, lequel, pour se venger, appuiera l'opposition que j'ai faite à son mariage alors le mien devient certain. Bartholo Elle a raison. Parbleu! c'est un bon tour que de faire épouser ma vieille gouvernante au coquin qui fit enlever ma jeune maÃtresse. Marceline, vite. Et qui croit ajouter à ses plaisirs en trompant mes espérances. Bartholo, vite. Et qui m'a volé dans le temps cent écus que j'ai sur le coeur. Marceline Ah! quelle volupté!... Bartholo De punir un scélérat... Marceline De l'épouser, docteur, de l'épouser! ScÚne V Marceline, Bartholo, Suzanne. Suzanne, un bonnet de femme avec un large ruban dans la main, une robe de femme sur le bras. L'épouser, l'épouser! Qui donc? Mon Figaro? Marceline, aigrement. Pourquoi non? Vous l'épousez bien! Bartholo, riant. Le bon argument de femme en colÚre! Nous parlions, belle Suzon, du bonheur qu'il aura de vous posséder. Marceline Sans compter Monseigneur, dont on ne parle pas. Suzanne, une révérence. Votre servante, madame; il y a toujours quelque chose d'amer dans vos propos. Marceline, une révérence. Bien la vÎtre, madame; oÃÂč donc est l'amertume? N'est-il pas juste qu'un libéral seigneur partage un peu la joie qu'il procure à ses gens? Suzanne Qu'il procure? Marceline Oui, madame. Suzanne Heureusement, la jalousie de madame est aussi connue que ses droits sur Figaro sont légers. Marceline On eût pu les rendre plus forts en les cimentant à la façon de madame. Suzanne Oh, cette façon, madame, est celle des dames savantes. Marceline Et l'enfant ne l'est pas du tout! Innocente comme un vieux juge! Bartholo, attirant Marceline. Adieu, jolie fiancée de notre Figaro. Marceline, une révérence. L'accordée secrÚte de Monseigneur. Suzanne, une révérence. Qui vous estime beaucoup, madame. Marceline, une révérence. Me fera-t-elle aussi l'honneur de me chérir un peu, madame? Suzanne, une révérence. A cet égard, madame n'a rien à désirer. Marceline, une révérence. C'est une si jolie personne que madame! Suzanne, une révérence. Eh mais! assez pour désoler madame. Marceline, une révérence. Surtout bien respectable! Suzanne, une révérence. C'est aux duÚgnes à l'ÃÂȘtre. Marceline, outrée. Aux duÚgnes! aux duégnes! Bartholo, l'arrÃÂȘtant. Marceline! Marceline Allons, docteur, car je n'y tiendrais pas. Bonjour, madame. Une révérence. ScÚne VI Suzanne, seule. Allez, madame! allez, pédante! je crains aussi peu vos efforts que je méprise vos outrages. - Voyez cette vieille sibylle! parce qu'elle a fait quelques études et tourmenté la jeunesse de madame, elle veut tout dominer au chùteau! Elle jette la robe qu'elle tient sur une chaise. Je ne sais plus ce que je venais prendre. ScÚne VII Suzanne, Chérubin. Chérubin, accourant. Ah! Suzon, depuis deux heures j'épie le moment de te trouver seule. Hélas! tu te maries, et moi je vais partir. Suzanne Comment mon mariage éloigne-t-il du chùteau le premier page de Monseigneur? Chérubin, piteusement. Suzanne, il me renvoie. Suzanne, le contrefait. Chérubin, quelque sottise! Chérubin Il m'a trouvé hier au soir chez ta cousine Fanchette, à qui je faisais répéter son petit rÎle d'innocente, pour la fÃÂȘte de ce soir il s'est mis dans une fureur en me voyant! - Sortez, m'a-t-il dit, petit... Je n'ose pas prononcer devant une femme le gros mot qu'il a dit sortez, et demain vous ne coucherez pas au chùteau. Si madame, si ma belle marraine ne parvient pas à l'apaiser, c'est fait, Suzon, je suis à jamais privé du bonheur de te voir. Suzanne De me voir! moi? c'est mon tour! Ce n'est donc plus pour ma maÃtresse que vous soupirez en secret? Chérubin Ah! Suzon, qu'elle est noble et belle! mais qu'elle est imposante! Suzanne C'est-à -dire que je ne le suis pas, et qu'on peut oser avec moi... Chérubin Tu sais trop bien, méchante, que je n'ose pas oser. Mais que tu es heureuse! à tous moments la voir, lui parler, l'habiller le matin et la déshabiller le soir, épingle à épingle!... Ah! Suzon! je donnerais... Qu'est-ce que tu tiens donc là ? Suzanne, raillant. Hélas! l'heureux bonnet et le fortuné ruban qui renferment la nuit les cheveux de cette belle marraine... Chérubin, vivement. Son ruban de nuit! donne-le-moi, mon coeur. Suzanne, le retirant Eh! que non pas! - Son coeur! Comme il est familier donc! Si ce n'était pas un morveux sans conséquence... Chérubin arrache le ruban. Ah! le ruban! Chérubin, tourne autour du grand fauteuil. Tu diras qu'il est égaré, gùté; qu'il est perdu. Tu diras tout ce que tu voudras. Suzanne, tourne aprÚs lui. Oh! dans trois ou quatre ans, je prédis que vous serez le plus grand petit vaurien!... Rendez-vous le ruban? Elle veut le reprendre. Chérubin, tire une romance de sa poche. Laisse, ah! laisse-le-moi, Suzon; je te donnerai ma romance; et pendant que le souvenir de ta belle maÃtresse attristera tous mes moments, le tien y versera le seul rayon de joie qui puisse encore amuser mon coeur. Suzanne, arrache la romance. Amuser votre coeur, petit scélérat! vous croyez parler à votre Fanchette. On vous surprend chez elle, et vous soupirez pour madame; et vous m'en contez à moi, par-dessus le marché! Chérubin, exalté. Cela est vrai, d'honneur! Je ne sais plus ce que je suis; mais depuis quelque temps je sens ma poitrine agitée; mon coeur palpite au seul aspect d'une femme; les mots amour et volupté le font tressaillir et le troublent. Enfin le besoin de dire à quelqu'un Je vous aime, est devenu pour moi si pressant, que je le dis tout seul, en courant dans le parc, à ta maÃtresse, à toi, aux arbres, aux nuages, au vent qui les emporte avec mes paroles perdues. - Hier je rencontrai Marceline... Suzanne, riant. Ah! ah! ah! ah! Chérubin Pourquoi non? elle est femme, elle est fille! Une fille! une femme! ah! que ces noms sont doux! qu'ils sont intéressants! Suzanne Il devient fou! Chérubin Fanchette est douce; elle m'écoute au moins tu ne l'es pas, toi! Suzanne C'est bien dommage; écoutez donc monsieur! Elle veut arracher le ruban. Chérubin, tourne en fuyant. Ah! ouiche! on ne l'aura, vois-tu, qu'avec ma vie. Mais si tu n'es pas contente du prix, j'y joindrai mille baisers. Il lui donne chasse à son tour. Suzanne, tourne en fuyant. Mille soufflets, si vous approchez. Je vais m'en plaindre à ma maÃtresse; et loin de supplier pour vous, je dirai moi-mÃÂȘme à Monseigneur C'est bien fait, Monseigneur; chassez-nous ce petit voleur; renvoyez à ses parents un petit mauvais sujet qui se donne les airs d'aimer madame, et qui veut toujours m'embrasser par contrecoup. Chérubin, voit le Comte entrer; il se jette derriÚre le fauteuil avec effroi. Je suis perdu! Suzanne Quelle frayeur?... ScÚne VIII Suzanne, Le Comte, Chérubin, caché. Suzanne aperçoit le Comte. Ah!... Elle s'approche du fauteuil pour masquer Chérubin. Le Comte s'avance. Tu es émue, Suzon! tu parlais seule, et ton petit coeur paraÃt dans une agitation... bien pardonnable, au reste, un jour comme celui-ci. Suzanne, troublée. Monseigneur, que me voulez-vous? Si l'on vous trouvait avec moi... Le Comte Je serais désolé qu'on m'y surprÃt; mais tu sais tout l'intérÃÂȘt que je prends à toi. Bazile ne t'a pas laissé ignorer mon amour. Je n'ai qu'un instant pour t'expliquer mes vues; écoute. Il s'assied dans le fauteuil. Suzanne, vivement. Je n'écoute rien. Le Comte, lui prend la main. Un seul mot. Tu sais que le Roi m'a nommé son ambassadeur à Londres. J'emmÚne avec moi Figaro; je lui donne un excellent poste; et, comme le devoir d'une femme est de suivre son mari... Suzanne Ah! si j'osais parler! Le Comte, la rapproche de lui. Parle, parle, ma chÚre; use aujourd'hui d'un droit que tu prends sur moi pour la vie. Suzanne, effrayée. Je n'en veux point, Monseigneur, je n'en veux point. Quittez-moi, je vous prie. Le Comte Mais dis auparavant. Suzanne, en colÚre. Je ne sais plus ce que je disais. Le Comte Sur le devoir des femmes. Suzanne Eh bien, lorsque Monseigneur enleva la sienne de chez le docteur, et qu'il l'épousa par amour; lorsqu'il abolit pour elle un certain affreux droit du seigneur... Le Comte, gaiement. Qui faisait bien de la peine aux filles! Ah! Suzette! ce droit charmant! Si tu venais en jaser sur la brune au jardin, je mettrais un tel prix à cette légÚre faveur... Bazile, parle en dehors. Il n'est pas chez lui, Monseigneur. Le Comte, se lÚve. Quelle est cette voix? Suzanne Que je suis malheureuse! Le Comte Sors, pour qu'on n'entre pas. Suzanne, troublée. Que je vous laisse ici? Bazile, crie en dehors. Monseigneur était chez Madame, il en est sorti; je vais voir. Le Comte Et pas un lieu pour se cacher! Ah! derriÚre ce fauteuil... assez mal; mais renvoie-le bien vite. Suzanne lui barre le chemin; il la pousse doucement, elle recule, et se met ainsi entre lui et le petit page; mais, pendant que le Comte s'abaisse et prend sa place, Chérubin tourne et se jette effrayé sur le fauteuil à genoux et s'y blottit. Suzanne prend la robe qu'elle apportait, en couvre le page, et se met devant le fauteuil. ScÚne IX Le Comte et Chérubin cachés, Suzanne, Bazile. Bazile N'auriez-vous pas vu Monseigneur, mademoiselle? Suzanne, brusquement. Hé, pourquoi l'aurais-je vu? Laissez-moi. Bazile s'approche. Si vous étiez plus raisonnable, il n'y aurait rien d'étonnant à ma question. C'est Figaro qui le cherche. Suzanne Il cherche donc l'homme qui lui veut le plus de mal aprÚs vous? Le Comte, à part. Voyons un peu comme il me sert. Bazile Désirer du bien à une femme, est-ce vouloir du mal à son mari? Suzanne Non, dans vos affreux principes, agent de corruption! Bazile Que vous demande-t-on ici que vous n'alliez prodiguer à un autre? Grùce à la douce cérémonie, ce qu'on vous défendait hier, on vous le prescrira demain. Suzanne Indigne! Bazile De toutes les choses sérieuses le mariage étant la plus bouffonne, j'avais pensé... Suzanne, outrée. Des horreurs! Qui vous permet d'entrer ici? Bazile Là , là , mauvaise! Dieu vous apaise! Il n'en sera que ce que vous voulez mais ne croyez pas non plus que je regarde monsieur Figaro comme l'obstacle qui nuit à Monseigneur; et sans le petit page... Suzanne, timidement. Don Chérubin? Bazile la contrefait. Cherubino di amore, qui tourne autour de vous sans cesse, et qui ce matin encore rÎdait ici pour y entrer, quand je vous ai quittée. Dites que cela n'est pas vrai? Suzanne Quelle imposture! Allez-vous-en, méchant homme! Bazile On est un méchant homme, parce qu'on y voit clair. N'est-ce pas pour vous aussi, cette romance dont il fait mystÚre? Suzanne, en colÚre. Ah! oui, pour moi!... Bazile A moins qu'il ne l'ait composée pour madame! En effet, quand il sert à table, on dit qu'il la regarde avec des yeux!... Mais, peste, qu'il ne s'y joue pas! Monseigneur est brutal sur l'article. Suzanne, outrée. Et vous bien scélérat, d'aller semant de pareils bruits pour perdre un malheureux enfant tombé dans la disgrùce de son maÃtre. Bazile L'ai-je inventé? Je le dis, parce que tout le monde en parle. Le Comte se lÚve. Comment, tout le monde en parle! Suzanne Ah ciel! Bazile Ha! ha! Le Comte Courez, Bazile, et qu'on le chasse. Bazile Ah! que je suis fùché d'ÃÂȘtre entré! Suzanne, troublée. Mon Dieu! Mon Dieu! Le Comte, à Bazile. Elle est saisie. Asseyons-la dans ce fauteuil. Suzanne le repousse vivement. Je ne veux pas m'asseoir. Entrer ainsi librement, c'est indigne! Le Comte Nous sommes deux avec toi, ma chÚre. Il n'y a plus le moindre danger! Bazile Moi je suis désolé de m'ÃÂȘtre égayé sur le page, puisque vous l'entendiez. je n'en usais ainsi que pour pénétrer ses sentiments; car au fond... Le Comte Cinquante pistoles, un cheval, et qu'on le renvoie à ses parents. Bazile Monseigneur, pour un badinage? Le Comte Un petit libertin que j'ai surpris encore hier avec la fille du jardinier. Bazile Avec Fanchette? Le Comte Et dans sa chambre. Suzanne, outrée. OÃÂč Monseigneur avait sans doute affaire aussi! Le Comte, gaiement. J'en aime assez la remarque. Bazile Elle est d'un bon augure. Le Comte, gaiement. Mais non; j'allais chercher ton oncle Antonio, mon ivrogne de jardinier, pour lui donner des ordres. Je frappe, on est longtemps à m'ouvrir; ta cousine a l'air empÃÂȘtré; je prends un soupçon, je lui parle, et tout en causant j'examine. Il y avait derriÚre la porte une espÚce de rideau, de portemanteau, de je ne sais pas quoi, lui couvrait des hardes; sans faire semblant de rien, je vais doucement, doucement lever ce rideau pour imiter le geste, il lÚve la robe du fauteuil, et je vois... Il aperçoit le page. Ah!... Bazile Ha! ha! Le Comte Ce tour-ci vaut l'autre. Bazile Encore mieux. Le Comte, à Suzanne. A merveille, mademoiselle! à peine fiancée, vous faites de ces apprÃÂȘts? C'était pour recevoir mon page que vous désiriez d'ÃÂȘtre seule? Et vous, monsieur, qui ne changez point de conduite, il vous manquait de vous adresser, sans respect pour votre marraine, à sa premiÚre camariste, à la femme le votre ami! Mais je ne souffrirai pas que Figaro, qu'un homme que j'estime et que j'aime, soit victime une pareille tromperie. Etait-il avec vous, Bazile? Suzanne, outrée. Il n'y a ni tromperie ni victime; il était là lorsque vous me parliez. Le Comte, emporté. Puisses-tu mentir en le disant! Son plus cruel ennemi n'oserait lui souhaiter ce malheur. Suzanne Il me priait d'engager madame à vous demander sa grùce. Votre arrivée l'a si fort troublé, qu'il s'est masqué de ce fauteuil. Le Comte, en colÚre Ruse d'enfer! Je m'y suis assis en entrant. Chérubin Hélas! Monseigneur, j'étais tremblant derriÚre. Le Comte Autre fourberie! Je viens de m'y placer moi-mÃÂȘme. Chérubin Pardon; mais c'est alors que je me suis blotti dedans. Le Comte, plus outré. C'est donc une couleuvre que ce petit... serpent-là ! Il nous écoutait! Chérubin Au contraire, Monseigneur, j'ai fait ce que j'ai pu pour ne rien entendre. Le Comte O perfidie! A Suzanne. Tu n'épouseras pas Figaro. Bazile Contenez-vous, on vient. Le Comte, tirant Chérubin du fauteuil et le mettant sur ses pieds. Il resterait là devant toute la terre! ScÚne X Chérubin, Suzanne, Figaro, La Comtesse, Le Comte, Fanchette, Bazile. Beaucoup de valets, paysannes, paysans velus de blanc. Figaro, tenant une toque de femme, garnie de plumes blanches et de rubans blancs, parle à la Comtesse. Il n'y a que vous, madame, qui puissiez nous obtenir cette faveur. La Comtesse Vous le voyez, monsieur le Comte, ils me supposent un crédit que je n'ai point, mais comme leur demande n'est pas déraisonnable... Le Comte, embarrassé. Il faudrait qu'elle le fût beaucoup... Figaro, bas à Suzanne. Soutiens bien mes efforts. Suzanne, bas à Figaro. Qui ne mÚneront à rien. Figaro, bas. Va toujours. Le Comte, à Figaro. Que voulez-vous?, Figaro Monseigneur, vos vassaux, touchés de l'abolition d'un certain droit fùcheux, que votre amour pour madame... Le Comte Hé bien, ce droit n'existe plus. Que veux-tu dire? Figaro, malignement. Qu'il est bien temps que la vertu d'un si bon maÃtre éclate; elle m'est d'un tel avantage aujourd'hui, que je désire ÃÂȘtre le premier à la célébrer à mes noces. Le Compte, plus embarrassé. Tu te moques, ami! L'abolition d'un droit honteux n'est que l'acquit d'une dette envers l'honnÃÂȘteté. Un Espagnol peut vouloir conquérir la beauté par des soins; mais en exiger le premier, le plus doux emploi, comme une servile redevance, ah! c'est la tyrannie d'un Vandale, et non le droit avoué d'un noble Castillan. Figaro, tenant Suzanne par la main. Permettez donc que cette jeune cré
AvecRĂ©tro Match, suivez l’actualitĂ© Ă  travers les archives de Paris Match. Elise Ventre, comĂ©dienne et ancienne Ă©pouse de Guillaume Depardieu, s’est Ă©teinte. La triste nouvelle a Ă©tĂ©
[Refrain] x2 Au quartier c'est la merde, oui viens on s'fait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, y'a rien Ă  faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă  Pattaya[Couplet 1] Pattaya on arrive T'es pas prĂȘt, tu connais pas l'dĂ©lire À la citĂ© tout part Ă  la dĂ©rive Tu ressens la sĂšre-mi sur la tĂȘte Ă  Karim Changement de dĂ©cor, on se casse Ă  l'aĂ©roport Vas-y prends seulement ton passeport On va fuck, on va fuck, on va fuck À peine arrivĂ© je veux plus rentrer Ă  la maison J'parle français, anglais ou thaĂŻlandais c'est avec l'accent Tout est contrefaçon, on s'en bat les couilles 'toutes façons Loin de tous mes ennemis Tu peux pas comprendre car tu connais pas nos vies[Refrain] x2 Au quartier c'est la merde, oui viens on s'fait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, y'a rien Ă  faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă  Pattaya[Couplet 2] Ouais ouais ouais on connaĂźt T'as ken un ladyboy on t'a cramĂ© Le dancefloor est rempli de BelvĂ©s Si t'es jaloux c'est peut-ĂȘtre que tu me remets BĂ©bĂ© j'suis le meilleur Tu trouveras pas mieux ailleurs Si tu me mets de mauvais humeur Je te plaque, je te plaque, je te plaque C'est le paradis des cailles-ra, 12 heures d'avion Rien Ă  foutre j'ai les poches pleines de bahts Je dĂ©pense, j'suis le patron On se donne en spectacle T-Max noir mĂąte, pas d'plaque On s'dĂ©foule au centre de tirs Tu peux pas comprendre car tu connais pas nos vies[Refrain] x2 Au quartier c'est la merde, oui viens on s'fait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, y'a rien Ă  faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă  Pattaya[Pont] + [Refrain] Pattaya, ouais ouais Pattaya, Pattaya Pattaya, ouais ouais Pattaya, Pattaya Pattaya, ouais ouais Pattaya, Pattaya Pattaya, ouais ouais Pattaya, Pattaya Lesyeux encore plein de sommeil, Les cheveux tout raplapla. Quel scandale Ă  son rĂ©veil . Si les hommes le voyaient comme ça. Alors en tournoyant . Elle l’a forcĂ© Ă  se Paroles de On met les voiles Bande originale du film "Pattaya" par AlonzoKore, Alonzâ€Č, yeah MamĂ© Au quartier c'est la merde, oui viens on sâ€Čfait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, y'a rien Ă  faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă  Pattaya Au quartier câ€Čest la merde, oui viens on sâ€Čfait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, yâ€Ča rien Ă  faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă  Pattaya Pattaya on arrive T'es pas prĂȘt, tu connais pas lâ€ČdĂ©lire À la citĂ© tout part Ă  la dĂ©rive Tu ressens la sĂšre-mi sur la tĂȘte Ă  Karim Changement de dĂ©cor, on se casse Ă  l'aĂ©roport Vas-y prends seulement ton passeport On va fuck, on va fuck, on va fuck À peine arrivĂ© je veux plus rentrer Ă  la maison Jâ€Čparle français, anglais ou thaĂŻlandais c'est avec l'accent Tout est contrefaçon, on sâ€Čen bats les couilles â€Čtoute façon Loin de tous mes ennemis Tu peux pas comprendre car tu connais pas nos vies Au quartier c'est la merde, oui viens on sâ€Čfait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, yâ€Ča rien Ă  faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă  Pattaya Au quartier c'est la merde, oui viens on sâ€Čfait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, y'a rien Ă  faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă  Pattaya Ouais ouais ouais on connaĂźt Tâ€Čas ken un ladyboy on tâ€Ča cramĂ© Le dancefloor est rempli de BelvĂ©s Si t'es jaloux câ€Čest peut-ĂȘtre que tu me remets BĂ©bĂ© j'suis le meilleur Tu trouveras pas mieux ailleurs Si tu me mets de mauvais humeur Je te plaque, je te plaque, je te plaque Câ€Čest le paradis des cailles-ra, tout XXX Rien Ă  foutre j'ai les poches pleines de bahts Je dĂ©pense, jâ€Čsuis le patron On se donne en spectacle T'es ma sport, ma XXX black On s'dĂ©foule au centre de tirs Tu peux pas comprendre car tu connais pas nos vies Au quartier câ€Čest la merde, oui viens on sâ€Čfait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, yâ€Ča rien Ă  faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă  Pattaya Au quartier c'est la merde, oui viens on sâ€Čfait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, yâ€Ča rien Ă  faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă  Pattaya Pattaya, ouais ouais Pattaya, Pattaya Pattaya, ouais ouais Pattaya, Pattaya Pattaya, ouais ouais Pattaya, Pattaya Pattaya, ouais ouais Pattaya, Pattaya Pattaya!Writers AurĂ©lien Mazin, Dj Kore, Quentin Lepoutre, Kassimou Djae alonzo
Les plus belles chansons engagĂ©es sont celles qui n’en ont pas l’air. » (LĂ©o FerrĂ©, musicien, parolier et chanteur français, XXe s.) 2 DĂ©termine les diffĂ©rentes parties du poĂšme (« Demain dĂšs l’aube », de Victor Hugo), ses rimes et le nombre de pieds. Demain, dĂšs l'aube, Ă  l'heure oĂč Je partirai. Vois J'irai par la forĂȘt, j'irai par la montagne. c)
1La carriĂšre et l’Ɠuvre de Michel Sardou sont indissociables de l’image mĂ©diatique qui s’est cristallisĂ©e autour de ses opinions politiques, rĂ©elles ou supposĂ©es. Alors que ses plus grands succĂšs – Les Bals populaires, Le France, La Maladie d’amour, Les Lacs du Connemara – semblent souvent consensuels, ses chansons ont souvent Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©es de maniĂšre politique, que l’artiste y consente ou non. Son Ɠuvre et sa carriĂšre en ont Ă©tĂ© modifiĂ©es au point que Michel Sardou occupe Ă  plus d’un titre une place unique dans le domaine de la chanson. Il n’est pas seulement l’un des artistes français de sa gĂ©nĂ©ration qui a vendu le plus d’album et le plus de billets. Il est aussi l’un des rares Ă  ĂȘtre toujours perçu comme un homme de droite, quelles que soient les opinions fluctuantes qu’il professe dans les mĂ©dias. Le seul enfin Ă  avoir suscitĂ© des manifestations publiques hostiles de la part de militants gauchistes. Un bref rappel historique, mettant en rapport ces Ă©vĂ©nements avec la carriĂšre artistique et mĂ©diatique de Michel Sardou, nous semble donc nĂ©cessaire pour Ă©voquer les principaux virages idĂ©ologiques qui ont jalonnĂ© quarante annĂ©es de carriĂšre. Nous nous interrogerons ensuite sur les chansons elles-mĂȘmes. Analyser les idĂ©es qu’elles vĂ©hiculent ne vise pas Ă  les Ă©valuer, mais Ă  comprendre comment elles rĂ©ussissent Ă  fidĂ©liser un public de droite tout en continuant Ă  produire du consensus. Les Ɠuvres, parfois ambigĂŒes et souvent complexes, tĂ©moignent certes de convictions concernant la place de la France dans le monde et sa politique intĂ©rieure. Mais elles laissent Ă©galement percevoir un imaginaire personnel, forgĂ© entre autres choses par des discours idĂ©ologiques. C’est pourquoi des chansons qui semblent peu militantes seront Ă©galement Ă©tudiĂ©es, en particulier dans la derniĂšre partie de cette Ă©tude, consacrĂ©e Ă  l’évocation des mƓurs et des instituions. 1. La carriĂšre de Michel Sardou, la politique et les mĂ©dias 2Les premiĂšres annĂ©es de la carriĂšre de Michel Sardou se placent sous le signe de l’apprentissage et de la soumission Ă  la mode. Courant le cachet et prenant des cours de chant, il enregistre chez Barclay entre 1965 et 1967 des chansons qui tentent de profiter de la mode des hippies. Michel Fugain, qui Ă©crit ses premiĂšres musiques, n’a pas alors plus de cĂ©lĂ©britĂ© ni de personnalitĂ© que son interprĂšte. Les orchestrations folks – guitares, tambourins et harmonica – sont trĂšs datĂ©es. MĂȘme lorsque Michel Sardou rencontre Jacques Revaux, compositeur qui l’accompagnera pendant presque toute sa carriĂšre Ă  partir de 1967, le style musical ne change pas radicalement. Si la voix est dĂ©jĂ  agrĂ©able, les nasalisations et les accentuations brutales, qui rappellent respectivement Antoine ou Nino Ferrer, relĂšvent parfois du pastiche. Michel Sardou, toutefois, Ă©crit dĂ©jĂ  ses textes, qui sont en lĂ©ger dĂ©calage avec l’horizon d’attente associĂ© Ă  ces musiques. Il utilise les clichĂ©s associĂ©s aux beatniks et, sans ĂȘtre ouvertement parodique, reprend Ă  son compte les moqueries liĂ©es Ă  leur virilitĂ©. Le Madras ou Les Filles d’aujourd’hui proposent ainsi une critique des jeunes dans le vent » et peu virils, mais accompagnĂ©e d’une musique destinĂ©e Ă  les sĂ©duire. Les Beatniks dĂ©crit une vie de bohĂšme Ă  l’AmĂ©ricaine, qui n’a par ailleurs rien d’engageant mais exerce sans doute une certaine sĂ©duction sur un Michel Sardou rĂ©cemment mariĂ© Moi quand je les regarde Du haut de mes vingt ans J’ai parfois le cafard De vivre prudemment Mais quand ils sont partis En traĂźnant leurs savates Je continue ma vie Et renoue ma cravate. 3Les hippies existent alors politiquement en tant qu’opposants Ă  la guerre du Vietnam, une guerre que la France a perdue. En 1967, la premiĂšre version des Ricains – accompagnĂ©e d’une seule guitare, de chƓurs et d’harmonica – passe relativement inaperçue, mais est dĂ©conseillĂ©e » aux programmateurs de la radio nationale, ce qui suffit Ă  Eddy Barclay pour se sĂ©parer de Michel Sardou. La chanson, pro amĂ©ricaine, n’a rien pour plaire ni aux gaullistes, ni aux communistes. Si j’avais un frĂšre au Vietnam, titre pacifiste et Ă©lĂ©giaque qui prĂ©tend que la guerre n’est qu’un malentendu », n’a pas non plus de quoi satisfaire les deux camps, et le titre est vite oubliĂ©. 4Le premier succĂšs d’estime paru en France est enregistrĂ© en 1968 chez Trema, label naissant dont Jacques Revaux, principal compositeur de l’artiste, est l’un des fondateurs. America, America et Monsieur le PrĂ©sident de France font de Michel Sardou un chanteur Ă  contre-courant. Trente mille disques vendus, ce n’est qu’un succĂšs relatif pour celui qui va devenir une vedette en quelques mois au cours de l’annĂ©e 1970. Les succĂšs, en effet, s’enchaĂźnent. Les deux premiers, Les Bals populaires et J’habite en France, sont gentiment cocardiers. Les deux titres mĂȘlent percussions lourdes, cuivres clinquants et accordĂ©on, pour faire danser les foules. Il s’agit aussi de les faire trĂ©pigner et d’organiser des chorus, les paroles reprises par le public Ă©tant prĂ©cĂ©dĂ©es de longues syllabes Ă©tendues et de silence qui prĂ©parent un dĂ©foulement collectif. Tout aussi consensuelle et efficace est la critique des institutions, prĂ©sente en 1971 dans Le Rire du sergent, qui ressuscite le comique troupier. La politique reste prĂ©sente, mais elle s’efface derriĂšre les chansons d’amour Ă  succĂšs. En effet, malgrĂ© ses dĂ©nonciations de la sociĂ©tĂ© moderne abĂȘtissante Zombie Dupont et castratrice Les Villes de grande solitude, Interdit aux bĂ©bĂ©s, ses messages adressĂ©s aux chrĂ©tiens et aux institutions catholiques Tu es Pierre, Le CurĂ©, et sa critique persistante du militarisme La Marche en avant, on ne retient de l’album de 1973 que Les Vieux MariĂ©s, et surtout La Maladie d’amour. Le premier titre est un grand succĂšs, mais il est totalement Ă©clipsĂ© par le second, vĂ©ritable tube de l’étĂ©, et mĂȘme de l’annĂ©e 1973, qui vient rajouter plus d’un million d’albums aux quatre dĂ©jĂ  vendus par l’artiste entre 1970 et 1972. Je veux l’épouser pour un soir, slow de l’étĂ© 1974, est un succĂšs de moindre envergure, mais atteint quand mĂȘme les premiĂšres places des hit-parades. Cette rĂ©ussite permet Ă  Michel Sardou de rester Ă  la mode, de remplir rĂ©guliĂšrement l’Olympia, et d’enregistrer frĂ©quemment des albums, ce qui n’est pas accordĂ© Ă  tout le monde. L’artiste s’exprime de plus en plus souvent dans les mĂ©dias. Il affirme ĂȘtre une vedette populaire, et non un chanteur engagĂ©, ce que la critique idĂ©ologique, trĂšs prĂ©sente Ă  l’époque, associe Ă  un conservatisme. 5Je vais t’aimer, paru en 1975 sur l’album La Vieille, confirme le talent de l’interprĂšte pour les chansons d’amour. Mais l’évĂ©nement inattendu est le succĂšs du France, chanson consacrĂ©e au bateau devenu symbole d’un dĂ©clin national. Le titre, disque de platine, crĂ©e une polĂ©mique qui masque les chansons les plus violentes Le Temps des colonies, J’accuse et Je suis pour, qui rĂ©clame la peine pour un assassin d’enfant, vont ĂȘtre dĂ©couverts au fil de l’exploitation des 45 tours, suscitant des rĂ©actions de plus en plus violentes. La Manif, titre qui n’a pas Ă©tĂ© publiĂ© sur l’album, est une chanson particuliĂšrement virulente. Elle n’a pas eu de retentissement spectaculaire mais, malgrĂ© son absence de passage en radio, elle a Ă©tĂ© largement diffusĂ©e, car elle se trouve sur la face B du 45 tours consacrĂ© Ă  Je vais t’aimer. 6Les rĂ©actions d’indignation publique ne se produiront qu’à partir de l’annĂ©e 1976. La sortie du Temps des colonies, prĂ©vue pour mars, est annulĂ©e le texte, qui donne la parole Ă  un colon, a Ă©tĂ© pris au premier degrĂ© par un programmateur de radio. Le chauvinisme bon enfant des Bals Populaires et de J’habite en France engendre des soupçons de nationalisme lorsque Michel Sardou interprĂšte La Marseillaise le 14 juillet devant plus de cent mille spectateurs, auxquels s’ajoutent les camĂ©ras de FR3. Le titre sera repris la mĂȘme annĂ©e dans une compilation de ses Ɠuvres, rĂ©orchestrĂ©es en version symphonique. À cela s’ajoute, en octobre, une polĂ©mique liĂ©e Ă  la diffusion de Je suis pour, favorable Ă  la peine de mort. 7Le public est au rendez-vous et les salles sont plus que pleines. Mais lors d’une tournĂ©e en Belgique, au dĂ©but de l’annĂ©e suivante, des manifestations hostiles accompagnent ses concerts. Heurts entre les manifestants des comitĂ©s anti-Sardou » et les forces de l’ordre, alertes Ă  la bombe et autres manifestations de violence incitent le chanteur Ă  interrompre sa tournĂ©e. DĂšs lors, la rĂ©ception de son Ɠuvre va devenir pour l’artiste une prĂ©occupation majeure. Pour transformer son image d’artiste idĂ©ologue et rĂ©actionnaire, il modifie l’ensemble de son Ɠuvre et les discours mĂ©diatiques qui l’accompagnent. Tout commence par deux mois de silence, rompu par une interview donnĂ©e au Matin de Paris, publiĂ©e le 17 mai. Michel Sardou se dĂ©fend tour Ă  tour d’ĂȘtre sexiste, colonialiste, nationaliste, et mĂȘme de droite, affirmant qu’il est prĂȘt Ă  voter socialiste aux prochaines Ă©lections, pour voir changer le personnel politique au pouvoir, et parce que ras le bol, tout simplement ». Mais il ne se fait pas beaucoup d’illusions, et reviendra vite Ă  ses convictions premiĂšres. 8DĂšs lors, sa carriĂšre va reprendre avec autant voire davantage de succĂšs, mais des apparitions mĂ©diatiques et des discours de nature diffĂ©rente. Le contexte politique change souvent, entre 1977 et 2007, et le monde du spectacle Ă©volue aussi grandement. Michel Sardou, quelles que soient ses activitĂ©s, ne perd pas une occasion de cultiver une image de contestataire dĂ©goĂ»tĂ© de la politique, mais sans plus aller jusqu’à la provocation. Il se positionne relativement peu par rapport aux dĂ©bats nationaux des annĂ©es 80. Sa seule participation publique Ă  une manifestation concerne la dĂ©fense de l’école privĂ©e en 1984, et il dira par la suite avoir changĂ© d’opinion, dĂ©fendant moins l’école privĂ©e que la libertĂ© de choix des parents. La crĂ©ation des radios libres est pour lui l’occasion d’une courte carriĂšre d’animateur. Il confirme Ă  la fois son statut de vedette, suffisamment reconnue pour pouvoir prĂ©senter les disques des autres, et sa capacitĂ© Ă  attirer un public de droite, puisqu’il officie sur RMC. Il aime Ă  Ă©voquer ses amis du show-business – Bedos, puis Coluche, lui servant souvent Ă  prouver qu’il n’est pas politiquement sectaire. Il se dĂ©fend volontiers des accusations de machisme en comparant ses prestations scĂ©niques Ă  celles de Bernard Lavilliers, qui joue bien davantage que lui de son aspect machiste. 9L’argument est d’autant plus pertinent que les performances de Michel Sardou Ă©voluent lentement vers une forme d’épure dont rendent compte les nombreuses vidĂ©os enregistrĂ©es en public depuis le dĂ©but des annĂ©es 80. AprĂšs avoir essayĂ© tous les dĂ©guisements des annĂ©es 70, du col pelle-Ă -tarte au blouson de cuir, en passant par le costume Ă  paillettes, et mĂȘme quelques apparitions torse nu, Michel Sardou privilĂ©gie de plus en plus la sobriĂ©tĂ© prĂŽnĂ©e par son dĂ©funt pĂšre. Costume, et parfois cravate, accompagnent une rarĂ©faction progressive des gestes, qui donne aux rares mouvements de bras une grande expressivitĂ©. Si l’interprĂšte marche de plus en plus, ce n’est qu’en raison de l’agrandissement de la scĂšne, car les salles de spectacle offertes aux artistes sont de plus en plus grandes, et le public de Michel Sardou remplit rĂ©guliĂšrement le palais des sports de Bercy. Si la mauvaise humeur apparente du chanteur reste un clichĂ© journalistique, les chroniqueurs, au fil du temps, se rĂ©jouissent de le voir sourire entre les chansons ou sur ses affiches, puis de l’entendre communiquer avec ses musiciens, qu’il met toujours en Ă©vidence Ă  un moment ou Ă  un autre du concert. En 1998, il va jusqu’à plaisanter avec le public aux sujet des trente-cinq heures. Mais la discrĂ©tion reste le maĂźtre mot de son interprĂ©tation. Il laisse Ă  la musique le soin de transporter le public. Si ses chansons, comme le remarquaient les auteurs de Faut-il brĂ»ler Michel Sardou ?, accordent volontiers une place croissante Ă  la musique, ses concerts obĂ©issent Ă  la mĂȘme logique les derniĂšres Ɠuvres jouĂ©es devant le public offrent de larges plages musicales, souvent inspirĂ©es du rock progressif, galvanisant la salle grĂące Ă  des airs Ă  danser Les Bals populaires, La Java de Broadway, Afrique adieu ou Ă  des orchestrations Ă©piques Les Lacs du Connemara, Un roi barbare. 10La sobriĂ©tĂ© sur scĂšne s’accompagne, Ă  partir de 1986, d’une certaine discrĂ©tion mĂ©diatique, qui s’explique de plusieurs maniĂšres. La premiĂšre est l’allongement de la durĂ©e de crĂ©ation. À partir du milieu des annĂ©es 1980, les campagnes de promotion sont de plus en plus Ă©tudiĂ©es, et il est Ă©tabli qu’un album tous les deux ans permet d’optimiser les ventes. Si Michel Sardou s’occupe en tournant beaucoup et en multipliant les albums en public, les nouvelles chansons se font plus rares et moins polĂ©miques. La fin de sa collaboration avec Pierre DelanoĂ« l’explique en partie. Les discours journalistiques consacrĂ©s au chanteur sont assez rĂ©guliers, mais rĂ©pĂ©titifs et peu politisĂ©s. L’artiste Ă©tant reconnu et Ă©tiquetĂ©, il fait toujours l’objet de commentaires semblables libre » ou indĂ©pendant », plein de talent » et dotĂ© d’une belle voix », il ne saurait ĂȘtre consensuel, mais reste depuis vingt ans prĂ©sentĂ© comme un artiste populaire ». Si les journalistes parlent de moins en moins des Ă©vĂ©nements de 1977, ils mentionnent trĂšs souvent le fait que Michel Sardou sĂ©duit aussi un public qui ne partage pas ses idĂ©es politiques. 11Cet affadissement de la polĂ©mique s’explique sans doute par le passage du temps, qui rend anodine les chansons provocatrices et les isole de leur contexte. Certes, le rĂ©pertoire de Sardou, depuis 2000, est redevenu militant, et s’adresse Ă  un public de fidĂšles dans des chansons qui passent souvent peu en radio. Mais, parallĂšlement, le chanteur continue de se produire dans des Ă©missions rĂ©servĂ©es aux vedettes retransmission de la TournĂ©e des EnfoirĂ©s, Star AcadĂ©my, soirĂ©e d’élection de Miss France. Il n’y interprĂšte souvent que d’anciens succĂšs, politiquement anodins. Le contraste, pour qui Ă©coute attentivement les disques, peu sembler saisissant, mais ce procĂ©dĂ© est entretenu, avec plus ou moins de discrĂ©tion et d’habilitĂ©, depuis prĂšs de vingt ans. Depuis 1978, l’Ɠuvre de Michel Sardou rĂ©ussit Ă  transcender les clivages politiques, sans cesser de sĂ©duire un public de droite. Nous allons tenter, pour comprendre les raisons de sa rĂ©ussite, d’analyser les stratĂ©gies dĂ©ployĂ©es par le crĂ©ateur pour Ă©dulcorer son discours tout en le rendant aisĂ©ment dĂ©chiffrable. 2. Les chansons de Sardou et l’art du consensus a Politique Ă©trangĂšre, nationalisme et fatalisme 12L’entrĂ©e en politique de Michel Sardou se fait, nous l’avons dit, alors que le mouvement hippie influence toute la musique de variĂ©tĂ©s. Mais ses Ɠuvres ne commencent Ă  ĂȘtre rĂ©ellement diffusĂ©es qu’à partir de 1970, dans un contexte trĂšs diffĂ©rent. Si les premiĂšres chansons enregistrĂ©es chez Barclay ont Ă©tĂ© oubliĂ©es, il reste de cette Ă©poque un rĂ©pertoire Ă©voquant l’AmĂ©rique. Trois chansons paraissent sur le premier album du chanteur. America, America n’est porteuse que d’une idĂ©ologie implicite trĂšs Ă  la mode, qui Ă©voque l’American way of life et la ville de San Francisco. Mais Michel Sardou a des raisons plus politiques de dĂ©fendre le rĂȘve amĂ©ricain. Au dĂ©but des annĂ©es 1970, alors que le mythe d’une France rĂ©sistante fait place Ă  un discours d’historiens insistant sur la Collaboration, Les Ricains est une chanson polĂ©mique, qui ne mĂ©nage pas l’orgueil national Si les ricains n’étaient pas lĂ  Vous seriez tous en Germanie À parler de je ne sais quoi À saluer je ne sais qui. 13Le vous » n’est pas un nous » ; il s’adresse moins Ă  l’ensemble des Français qu’à ceux qui critiquent les pour leur engagement au Vietnam Bien sĂ»r les annĂ©es ont passĂ© Les fusils ont changĂ© de mains Est-ce une raison pour oublier Qu’un jour on en a eu besoin ? 14L’habillage musical, en 1970, est diffĂ©rent de celui de la premiĂšre version le titre s’ouvre et se ferme sur le bruit d’une foule acclamant Hitler, ce qui renforce l’aspect accusateur du couplet initial. Les notes de guitares et d’harmonica rĂ©sonnent moins, et les orgues sont plus prĂ©sents, renforçant le lyrisme et substituant Ă  l’aspect artisanal des musiques hippies la mise en Ă©vidence d’un travail d’orchestration trĂšs maĂźtrisĂ©. Le phĂ©nomĂšne est encore plus audible sur le titre Monsieur le PrĂ©sident de France, dont les couplets martiaux – accompagnĂ©s de cuivres et de tambours – alternent avec des refrains saturĂ©s de chƓurs lyriques supportant un texte violent Dites Ă  ceux qui brĂ»lent mon drapeau Qu’en souvenir de ces annĂ©es Ce sont les derniers des salauds. 15Le personnage interprĂ©tĂ© est le fils d’un ancien combattant amĂ©ricain, et la chanson se clĂŽt sur une musique de marche militaire amĂ©ricaine. Le contraste avec le titre prĂ©cĂ©dent indique clairement la volontĂ© de l’auteur de s’adresser Ă  la jeunesse issue du baby-boom, en opposant des AmĂ©ricains lĂ©gitimement fiers de leurs parents Ă  des Français qui les critiquent. L’aspect polĂ©mique de ces Ɠuvres sera occultĂ© par des titres plus fĂ©dĂ©rateurs, qui exaltent un sentiment national moins patriotique que cocardier, J’habite en France ou Les Bals populaires. Ce titre est le premier grand succĂšs de l’artiste. CoĂ©crit avec Vline Buggy, il est accompagnĂ© d’une musique de Jacques Revaux. Cette derniĂšre illustre efficacement, Ă  grands renforts de batterie, de trompettes et d’accordĂ©on, l’ambiance Ă©voquĂ©e par le texte, qui met en vedette l’ouvrier parisien » et l’orchestre » infatigable et folklorique. Au-delĂ  de ces clichĂ©s textuels, le refrain est particuliĂšrement habile. Il place en effet le personnage dans la position d’un auditeur de concert, alors que ses nombreuses rĂ©pĂ©titions incitent la salle Ă  faire chorus Mais lĂ -bas prĂšs du comptoir en bois Nous on n’danse pas On est lĂ  pour boire un coup On est lĂ  pour faire les fous Et pour se reboire un bon coup Et pas payer nos verres. 16La lourdeur des orchestrations met le public de bonne humeur, lui donne envie de danser tandis que le texte le conforte dans son rĂŽle d’auditeur semi-passif, qui s’amuse, mais n’danse pas ». L’efficacitĂ© de la chanson se mĂȘle Ă  des rĂ©fĂ©rences nationales, qui laissent penser que le personnage dĂ©crit est un français moyen, un ouvrier parisien » qui tente de ne pas payer son verre. Cette exaltation d’une gaitĂ© nationale est plus nettement affirmĂ©e dans J’habite en France, qui flatte le public de façon plus idĂ©ologique Mais voilĂ  j’habite en France Et la France c’est pas du tout c’qu’on dit Si les Français se plaignent parfois C’est pas d’lĂ  gueule de bois C’est en France qu’il y a Paris Mais la France c’est aussi un pays OĂč y’a quand mĂȘme pas cinquante millions d’abrutis. 17Les clichĂ©s textuels sont encore plus nombreux. Il s’agit en effet de confirmer ou d’infirmer – en les Ă©voquant tour Ă  tour – un certain nombre d’idĂ©es reçues concernant la France ou Paris, pour conclure sur un satisfecit peu original la France est un pays de sĂ©ducteurs. 18Cette bonne humeur fĂ©dĂ©ratrice, associĂ©e Ă  un amĂ©ricanisme moins consensuel, se poursuit jusqu’à la fin de la dĂ©cennie, la cĂ©lĂšbre Java de Broadway offrant un nouveau succĂšs indĂ©modable Ă  Michel Sardou, en 1977. La musique festive et orchestrale Ă©voque un jazz band qui jouerait un air de java. Rien n’a changĂ© dans le texte, si ce n’est qu’il autorise une diction sur un rythme ternaire il n’est question que de fĂȘtes dĂ©complexĂ©es, d’alcool et de filles que l’on regarde de loin, installĂ© au bar. 19Chanter la France et l’AmĂ©rique n’est cependant pas toujours simple. À partir de la seconde moitiĂ© des annĂ©es 1970, deux phĂ©nomĂšnes viennent inflĂ©chir le discours des chansons de Michel Sardou. D’une part, une prĂ©dilection pour la nostalgie et l’angoisse du dĂ©clin, qui atteint la France, L’AmĂ©rique et tout autre pays. D’autre part, un rapport aux Ă©trangers parfois ambigu. Cette Ă©volution du rĂ©pertoire a des causes multiples crise Ă©conomique qui popularise un discours sur le dĂ©clin du pays ; mort du pĂšre qui alimente l’angoisse d’une vedette parvenue au sommet ; changement de collaborateur, avec l’intervention longue et durable de Pierre DelanoĂ« dans les livrets Ă  partir de l’album intitulĂ© La Vieille. 20La fiertĂ© d’ĂȘtre Français n’est alors plus de mise. Le plus important succĂšs de cet album est en effet Le France, qui permet au chanteur de fĂ©dĂ©rer jusqu’aux ouvriers CGT du port du Havre, oĂč le bateau est mis Ă  quai. Cet hymne nostalgique, chantĂ© dans un contexte de crise des chantiers navals, exprime en effet un sentiment national Ne m’appelez plus jamais France » La France elle m’a laissĂ© tomber Ne m’appelez plus jamais France » C’est ma derniĂšre volontĂ©. 21Bien d’autres chansons viendront, avec plus ou moins de succĂšs, dĂ©plorer la baisse d’influence d’un pays qui perd peu Ă  peu ses ambitions internationales. Ces titres seront toutefois plus directement liĂ©s au contexte Ă©lectoral, aussi les Ă©tudierons-nous plus loin. Mais la crise française n’est, pour Michel Sardou que l’un des aspects d’un complet dĂ©senchantement du monde. MĂȘme son parti pris en faveur de la politique amĂ©ricaine n’y rĂ©siste pas, et l’évocation des USA ne renvoie plus qu’à un rĂȘve amĂ©ricain dĂ©senchantĂ©. Presque toutes les chansons consacrĂ©es aux pays Ă©trangers, thĂšme rĂ©guliĂšrement exploitĂ©, Ă©voquent d’ailleurs un rĂȘve de culture ou d’exotisme déçu Huit jours Ă  El Paso en 1978, Afrique Adieu en 1982, Exil Dylan en 1984, Le Paraguay n est plus ce qu ’il Ă©tait en 1988, Le VĂ©tĂ©ran et Mam ’selle Louisiane en 1990, L’AmĂ©rique de mes dix ans en 2000... Tous ces titres sont construits autour d’habillages musicaux caractĂ©ristiques des rĂ©gions, voire des Ă©poques Ă©voquĂ©es. Le dernier s’ouvre mĂȘme sur la mĂ©lodie des Ricains, comme si la nostalgie Ă©tait assumĂ©e jusqu’à l’auto-parodie. Les partitions de ces chansons permettent par ailleurs souvent de masquer le caractĂšre nĂ©gatif du propos en proposant une mĂ©lodie entraĂźnante. Sur le plan textuel, d’ailleurs, le pessimisme semble rarement dominant, car le pouvoir Ă©vocateur des mots crĂ©e un effet d’exotisme chez l’auditeur, alors mĂȘme que le personnage en dĂ©plore la disparition. Des chansons demeurĂ©es cĂ©lĂšbres, Afrique A dieu ou Les Lacs du Connemara, en tĂ©moignent. Les noms propres fortement connotĂ©s se succĂšdent, ainsi que les Ă©lĂ©ments de dĂ©cor, pour composer un paysage imaginaire Sur les Ă©tangs de Malawi La nuit rĂ©sonne comme un signal C’est pour une fille de Nairobi Qu’un tambour joue au SĂ©nĂ©gal. 22La musique qui accompagne de telles paroles, incitant Ă  la danse, rend plus difficile encore une attention soutenue, et le texte propose une accumulation d’images fortes. Cette utilisation efficace des termes Ă  connotations exotiques se fait au dĂ©triment de la narration, ce qui ajoute Ă  l’ensemble un mystĂšre propice Ă  la rĂȘverie. Les paroles des Lacs du Connemara, grand succĂšs bĂąti sur le mĂȘme principe, invitent moins Ă  une recherche des rĂ©fĂ©rences historiques qu’à une rĂȘverie appuyĂ©e sur des sonoritĂ©s Ă©trangĂšres Sean Kelly s’est dit Je suis catholique Maureen aussi L’église en granit De Limerick Maureen a dit oui. 23L’étranger apparaĂźt donc dans l’imaginaire de Michel Sardou comme un ailleurs, souvent dĂ©cevant, mais qui permet encore de satisfaire chez le public un dĂ©sir d’exotisme. Ce rapport au monde consensuel, qui a produit de grands succĂšs, est toutefois compliquĂ© par des chansons plus ambiguĂ«s. 24Si les pays Ă©trangers font rĂȘver, certains de leurs habitants, en effet, sont envisagĂ©s de maniĂšre plus problĂ©matique. Tout a commencĂ© en 1975, par un malentendu. Le Temps des colonies, paru sur l’album La Vieille, a créé une polĂ©mique en 1976. Le texte semble pourtant ne pouvoir ĂȘtre envisagĂ© qu’au second degrĂ© Pour moi monsieur rien n’égalait Les tirailleurs SĂ©nĂ©galais Qui mouraient tous pour la patrie Au temps bĂ©ni des colonies Autrefois Ă  Colomb-BĂ©char J’avais plein de serviteurs noirs Et quatre filles dans mon lit Au temps bĂ©ni des colonies. 25Il n’en reste pas moins que l’accompagnement musical, exotique et dominĂ© par les tams-tams, rappelle l’esthĂ©tique des chansons authentiquement colonialistes, frĂ©quentes dans la France d’avant-guerre. Le dĂ©but du refrain, on pense encore Ă  toi, O Bwana », chantĂ© par des choristes africaines Ă  l’accent prononcĂ©, reste d’un goĂ»t douteux. Si Michel Sardou n’a cessĂ© de communiquer dans les mĂ©dias pour dissiper les malentendus nĂ©s de cette chanson, il a longtemps continuĂ© Ă  l’interprĂ©ter sur scĂšne et Ă  la mettre sur ses compilations, comme si elle Ă©tait un symbole de la diabolisation dont il avait fait l’objet en 1976 et 1977. Le plus troublant est qu’en 1979 paraĂźt une autre chanson, dans laquelle la fiertĂ© d’ĂȘtre français s’accompagne d’un rapport mĂ©prisant vis-Ă -vis de l’étranger. 26Ils ont le pĂ©trole mais c’est tout est composĂ© sur le modĂšle des chansons chauvines prĂ©cĂ©dentes, mais les arabes y sont considĂ©rĂ©s avec agressivitĂ© Ils ont le pĂ©trole Mais ils n’ont que ça On a des idĂ©es Un gaspy futĂ© Un Martel Ă  Poitiers. 27Cette violence s’explique dans la chanson elle-mĂȘme par une anecdote biographique Cett’ chanson s’adresse A un brav’ garçon Qu’on appelle Altesse Un ami d’pension Quand ton puits s’ra sec... plus d’jus dans l’citron Plus personne Ă  La Mecque Viens Ă  la maison. 28Il n’en reste pas moins que le propos s’adresse plutĂŽt Ă  un public raciste qu’il s’agit de flatter, et ce d’autant plus que la mĂ©lodie en mode mineur et les orchestrations arabisantes ne peuvent encore une fois qu’évoquer l’esthĂ©tique des chansons coloniales. Cela suffirait du reste Ă  comprendre pourquoi l’Ɠuvre est tombĂ©e dans l’oubli. 29La plupart des chansons qui Ă©voquent les pays Ă©trangers et leurs habitants sont toutefois bien plus habiles. Le meilleur exemple en est Vladimir Ilitch, Ă©norme succĂšs de l’annĂ©e 1983. Son texte, malgrĂ© les Ă©lĂ©ments de couleur locale, est explicitement politique. Mais tout au long du texte, la critique du stalinisme se mĂȘle Ă  l’évocation de la misĂšre d’un peuple, qui semble justifier le communisme, ce qui satisfait un public de droite tout en dĂ©samorçant les critiques qui pourraient venir de la gauche Un vent de SibĂ©rie souffle sur la BohĂšme Les femmes sont en colĂšre aux portes des moulins Des bords de la Volga au delta du NiĂ©men Le temps s’est Ă©coulĂ© il a passĂ© pour rien Puisqu’aucun dieu du ciel ne s’intĂ©resse Ă  nous LĂ©nine relĂšve-toi Ils sont devenus fous. 30Musulmanes, paru en 1987, semble plus anodin. Le titre allie la beautĂ© d’un texte exotique Ă©voquant la blancheur des toits de GhardaĂŻa » en AlgĂ©rie, les forĂȘts du Liban », Le crĂ©puscule de Sanaa », ville situĂ©e au YĂ©men... Ă  une vision de la femme musulmane qui a peu Ă©voluĂ© depuis Pierre Loti, et produit de la compassion VoilĂ©es pour ne pas ĂȘtre vues CernĂ©es d’un silence absolu Vierges de pierre au corps de Diane Les femmes ont pour leur lassitude De jardins clos de solitude Le long sanglot des musulmanes. 31La musique n’est plus caricaturale mais Ă©pique, se prĂȘtant Ă  des dĂ©veloppements symphoniques qui la rendent encore plus efficace en concert. Mais cette esthĂ©tique parfaitement maĂźtrisĂ©e masque un contenu politique. Si les paroles peuvent renvoyer Ă  la situation dramatique du Liban, aucun message clair n’est dĂ©livrĂ©. En revanche, le vidĂ©o clip largement diffusĂ© Ă  l’époque raconte une autre histoire celle d’un pilote de l’AĂ©ropostale perdu dans le dĂ©sert et Ă©chappant Ă  des pillards grĂące Ă  la complicitĂ© de femmes voilĂ©es. Ce film d’aventure rĂ©sumĂ© Ă  trois minutes propose une vision archaĂŻsante, non des musulmanes, mais des arabes musulmans. Il est vrai que l’époque s’y prĂȘte, dans un contexte de montĂ©e du Front National, alors que VĂ©ronique Sanson renonce Ă  chanter sur scĂšne sa chanson intitulĂ©e Allah et que Salman Rushdie est contraint Ă  la clandestinitĂ©. 32Par la suite, les chansons qui Ă©voquent les pays Ă©trangers ne seront que d’innocentes Ɠuvres mĂȘlant nostalgie et exotisme. Elles seront peu exploitĂ©es, Michel Sardou ayant suffisamment de grands succĂšs de ce type Ă  insĂ©rer dans ses concerts Afrique Adieu, Les Lacs du Connemara et Musulmanes. Seul L’Oiseau Tonnerre, paru sur le dernier album, Ă©voque la spoliation des Indiens par les colons amĂ©ricains. Le texte n’est pas de Michel Sardou, et le sujet peu polĂ©mique, rien dans la chanson ne renvoyant mĂȘme implicitement Ă  la politique Ă©trangĂšre amĂ©ricaine. 33Il s’agit toutefois d’une exception, car si l’on considĂšre l’ensemble de l’Ɠuvre, l’évocation des pays Ă©trangers et de leurs habitants laisse souvent transparaĂźtre un propos idĂ©ologique. L’emploi de clichĂ©s n’a rien d’étonnant car il semble difficile d’évoquer un pays au cours des quelques minutes que dure une chanson sans utiliser d’images rĂ©ductrices. Mais Michel Sardou fait par ailleurs preuve d’une rĂ©elle originalitĂ©. Celle-ci rĂ©side dans l’habiletĂ© avec laquelle il associe rĂȘve amĂ©ricain et dĂ©fense des États-Unis, ou sentiment national et mĂ©pris pour les habitants des anciennes colonies. Cet aspect est compensĂ© par la vision du monde de l’artiste, qui associe la France et l’Étranger en plaçant la condition humaine sous le signe du dĂ©clin ; qui ressuscite le patriotisme ou l’exotisme le temps d’un chant du cygne. Mais cette optique conservatrice, voire rĂ©actionnaire, qui gĂ©nĂšre aisĂ©ment de la nostalgie, ne suffit pas Ă  rendre compte de la complexitĂ© politique de l’Ɠuvre. b Les commentaires sur la politique intĂ©rieure la permanence du pessimisme, entre colĂšre, victimisation et dĂ©tachement 34Contrairement Ă  ce qui se passait au temps de yĂ©yĂ©s, un chanteur qui devient une vedette dans les annĂ©es 70 est souvent contestataire ou engagĂ©. Michel Sardou n’échappe pas Ă  la rĂšgle, mais s’il se plaĂźt Ă  critiquer, son Ɠuvre ne soutient ouvertement aucun parti, et les textes qui ne sont pas l’expression d’une colĂšre sont volontiers interprĂ©tĂ©s sur un ton dĂ©sabusĂ©. Par ailleurs, si les idĂ©es politiques exprimĂ©es sĂ©duisent souvent un public de droite, l’artiste n’est pas hermĂ©tique aux Ă©volutions de la sociĂ©tĂ©, qui, depuis 1968, voit les idĂ©es libĂ©rales de gauche progresser en ce qui concerne les mƓurs, et les idĂ©es libĂ©rales de droite triompher sur le plan Ă©conomique. 35Pour son premier manifeste politique, datĂ© de 1972, Michel Sardou choisi de s’identifier Ă  Danton parlant devant ses juges, prophĂ©tisant les horreurs du ComitĂ© de Salut Public, et mĂȘme l’avĂšnement d’un tyran trĂšs semblable Ă  NapolĂ©on. NoyĂ© sous les allusions historiques, le texte ne revendique pas autre chose qu’un dĂ©sir de paix et de libertĂ©. Toutefois, alors que les espoirs rĂ©volutionnaires issus de 1968 s’essoufflent, et que LĂ©o FerrĂ© ou Colette Magny prennent leurs distances vis-Ă -vis d’une chanson purement militante, Danton peut ĂȘtre compris comme une dĂ©nonciation des rĂ©volutionnaires qui se rĂ©clament de Robespierre et des Jacobins. L’interprĂ©tation, qui oppose la voix de l’interprĂšte Ă  celle d’une foule sur un fond de musique martiale, fait de l’homme sensĂ© la victime du groupe. 36Cet imaginaire rĂ©volutionnaire est aussi exploitĂ© en 1980 dans le cadre d’une comĂ©die musicale intitulĂ©e Les MisĂ©rables. Michel Sardou enregistre alors À la volontĂ© du peuple, dont le personnage se dit prĂȘt Ă  mourir pour la libertĂ©. En 1989, Ă  la faveur des commĂ©morations du bicentenaire, le concert de Bercy s’achĂšve sur une fresque Ă©pique, Un jour la libertĂ©, dont le ton dĂ©sillusionnĂ© est habituel chez l’artiste mais qui tĂ©moigne des mĂȘmes idĂ©aux Pour proclamer les Droits de l’homme Je m’inscrirai aux Jacobins Mais comme je crois au droit des hommes Je passerai aux Girondins. 37Cela n’empĂȘche pas Michel Sardou, rĂ©volutionnaire dans ses aspirations Ă  la libertĂ©, de dĂ©fendre dans ces chansons le droit de propriĂ©tĂ©, ni de proposer une image voltairienne et conservatrice de la libertĂ© religieuse, comme dans cet extrait de Danton Les pauvres ont besoin de l’église C’est un peu lĂ  qu’ils sont humains BrĂ»ler leur Dieu est une bĂȘtise. 38Plus qu’un dĂ©sir de rĂ©volution, le discours politique chantĂ© par Michel Sardou traduit une insatisfaction perpĂ©tuelle. Celle-ci se manifeste d’abord de maniĂšre vĂ©hĂ©mente sur l’album La Vieille, paru en 1975. Il contient la plupart des textes qui ont valu des ennuis Ă  l’artiste, notamment Le Temps des colonies et Je suis pour, qui fait l’apologie de la peine de mort. On y trouve aussi une chanson trĂšs datĂ©e, W54, qui propose une vision orwellienne de la sociĂ©tĂ©, au son de musiques Ă©lectriques qui pastichent les films consacrĂ©s aux extra-terrestres. Sur un tel album, le titre J’accuse apparaĂźt comme une diatribe assenĂ©e au monde entier. Le rythme soutenu, la puissance des cuivres et des percussions, et la diction forte et trĂšs accentuĂ©e, sont au service d’un propos Ă©cologiste et antimilitarisme, mais un pacifisme affichĂ© avec autant de hargne a de quoi surprendre J’accuse les hommes d’ĂȘtre bĂȘtes et mĂ©chants BĂȘtes Ă  marcher au pas des rĂ©giments De n’ĂȘtre pas des hommes tout simplement. 39Les plus violentes et les plus polĂ©miques des chansons de cette Ă©poque ne cesseront d’ĂȘtre reprises et rĂ©enregistrĂ©es en public, avec ou sans commentaire d’accompagnement. Un seul de ces titres n’a pas rencontrĂ© de succĂšs. Il s’agit du plus politique, qui n’a pas Ă©tĂ© repris en album. La Manif s’adresse Ă  un public trĂšs politisĂ©, car il prĂȘte Ă  diverses catĂ©gories de manifestants, en particuliers des ouvriers, des immigrĂ©s et des fĂ©ministes, des propos caricaturaux de ce type Mais dans le contexte actuel De l’ùre industrielle On n’veut plus travailler. 40Seule l’absence de succĂšs de ce titre, passĂ© inaperçu, explique qu’il n’ait pas Ă©tĂ© reprochĂ© Ă  Michel Sardou. Quelques mois aprĂšs sa parution, les violences subies par l’interprĂšte l’ont incitĂ© Ă  plus de prudence. 41Sur l’album suivant, sa critique de la sociĂ©tĂ© prend la forme d’une Ă©lucubration au ton et au rythme lĂ©gers. Une attention aiguĂ« au texte, Ă  laquelle la forme de la chanson n’incite pas, semble indiquer que Michel Sardou brĂ»le aussi bien ce qu’il a adorĂ© que le reste, aussi bien le gouvernement que l’opposition, critiquant La gouver-ne-men-ta-lo-manie L’intellec-tualo-gaucho-manie L’amĂ©ricano-anglo-manie-manie. 42La chanson n’ayant pas eu de succĂšs, l’artiste en revient Ă  des Ɠuvres plus violentes, qu’il maĂźtrise mieux. On a dĂ©jĂ  donnĂ©, coĂ©crit en 1978 avec Claude Lemesle, s’en prend une nouvelle fois aux rĂ©volutionnaires, Ă  tous ces poings tendus », et aux conservateurs, Ă  ceux qui sont en place parce que papa y Ă©tait ». Il est Ă  mettre en parallĂšle avec la dĂ©ception que Michel Sardou dit avoir Ă©prouvĂ© Ă  propos de ValĂ©ry Giscard d’Estaing. Pierre DelanoĂ« a quant Ă  lui aidĂ© l’interprĂšte Ă  Ă©crire La DĂ©bandade en 1984, quelques mois avant la fin du programme commun, qui annonce la fin d’autres illusions. La chanson ressemble aux prĂ©cĂ©dentes, avec sa diction forte et heurtĂ©e, accompagnĂ©e de musique orchestrale et imposante, mais le texte ne vise personne explicitement. Comme dans Vladimir Ilitch, paru l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente, il emploie ironiquement un vocabulaire de gauche Rigolez pas, mes camarades / La dĂ©bandade / C’est pour demain », pour dĂ©noncer le malaise d’une sociĂ©tĂ© dirigĂ©e par la gauche. Mais Michel Sardou, Ă  partir de 1985, semble se lasser de la politique et, s’il chante encore rĂ©guliĂšrement la dĂ©cadence, voire une apocalypse imminente, dans des chansons telles que Les Derniers jours de Pearl Harbour, il s’agit moins de politique que de nostalgie et de pessimisme. 43Ce dernier sentiment est alimentĂ© par les dĂ©boires du chanteur qui aime Ă  se prĂ©senter en victime dĂšs le dĂ©but de sa carriĂšre. AssassinĂ©s, vilipendĂ©s, acculĂ©s au suicide, les personnages incarnĂ©s par Michel Sardou de 1970 Ă  1975 – Danton chansons Ă©ponymes, Johnny Halliday Le PhĂ©nix ou des victimes anonymes Je vous ai bien eu, Le prix d’un homme – mettent soigneusement en scĂšne leur Ă©limination et l’ostracisme dont ils sont victimes. Ce fantasme, largement alimentĂ© par les mĂ©saventures qu’a connues Michel Sardou en 1977, n’a pas Ă©tĂ© sans consĂ©quence. À partir des annĂ©es 80, il commente sur scĂšne l’impact qu’ont eu ses chansons les plus contestĂ©es, et il en Ă©crit quelques-unes pour rĂ©pondre Ă  ses dĂ©tracteurs. D’abord On rĂ©trĂ©cit, en 1978, dans laquelle il assume violement son discours sur le dĂ©clin de la France Traitez-moi de ce que vous voudrez Facho... nazi... phalo... pĂ©dĂ© Et plus je tendrai l’autre joue Les hĂ©ros ne sont plus parmi nous J’ai dĂ» me tromper de rendez-vous On rĂ©trĂ©cit on rĂ©trĂ©cit. 44Puis J’avais pas la tĂȘte assez dure et La Haine, enregistrĂ©es en 1978 et 1980, rĂ©ussissent le paradoxe d’ĂȘtre des chansons Ă  la musique et Ă  l’interprĂ©tation virulente et Ă©pique alors qu’elles dĂ©noncent la violence, dont la victime implicite est l’interprĂšte lui-mĂȘme. Enfin, Mauvais homme paru en 1981 donne la parole Ă  un misanthrope solitaire. Le titre est interprĂ©tĂ© Ă  la maniĂšre de Johnny Halliday, avec un mĂ©lange d’élĂ©gie et d’orchestrations grandioses. Le sujet s’épuise ensuite d’autant plus vite que Michel Sardou ne produit plus de chansons ouvertement politiques entre 1985 et 1994, se contentant de reprendre ses vieux succĂšs engagĂ©s et de les commenter sur scĂšne. Comme ses albums, ses chansons militantes se rarĂ©fient et se nuancent. 45Selon que vous serez etc, etc s’en prend aux dysfonctionnements de la justice et des mĂ©dia, et fustige les politiciens corrompus, thĂšmes qui n’ont pas cessĂ© depuis d’ĂȘtre Ă  la mode. Mon dernier rĂȘve sera pour vous, consacrĂ© au fisc, est plus marquĂ© idĂ©ologiquement. Si l’on en croit le ton de l’interprĂ©tation et l’accompagnement musical, la colĂšre semble avoir fait place au dĂ©goĂ»t et Ă  la dĂ©sillusion. Au cours des annĂ©es 2000, cependant, Michel Sardou redevient polĂ©mique. Il affiche un pessimisme serein et dĂ©tachĂ©, Ă©nonçant ses idĂ©es sans avoir l’air de se faire d’illusions. Ainsi renoue-t-il avec la fiertĂ© affichĂ©e d’ĂȘtre français, sur un rythme plus lent que J’habite en France, qui se prĂȘte moins Ă  la danse, mais davantage au chorus et aux claquements de mains. Il est vrai que le contenu de Français est plus sĂ©rieux et plus nuancĂ© Parce qu’ils ont dĂ©cidĂ© d’ĂȘtre une rĂ©publique, Bien que toutes leurs idĂ©es se perdent en politique. Mais parce que l’un d’entre eux a dit cett’phrase immense Ma libertĂ© s’arrĂȘte oĂč la vĂŽtre commence »... J’aime les Français, Tous les Français, MĂȘme les Français que je n’aime pas. 46Il faudra encore quelques annĂ©es pour que Michel Sardou revienne vraiment Ă  la chanson engagĂ©e son album intitulĂ© Hors-format, paru en 2006, est, s’il faut en croire le rĂ©sultat des derniĂšres Ă©lections, dans l’air du temps. Le thĂšme de la dĂ©cadence nationale, le moins nouveau, est illustrĂ© par Concorde, un fleuron de notre industrie nationale qui aura connu un destin parallĂšle Ă  celui du France, sans que la chanson Ă©ponyme ait le mĂȘme succĂšs. C’est aussi sous le signe de la dĂ©cadence que se place Les Villes hostiles, chanson consacrĂ©e aux banlieues qui s’ouvre sur ces mots C’était mon quartier autrefois Plus rien n’existe tout a changĂ© MĂȘme ma rue je ne la retrouve plus On a dĂ» reconstruire dessus. 47La chanson la plus ouvertement politique, sur laquelle s’est faite la promotion de l’album, est un mĂ©lange de pessimisme et d’affirmation polĂ©miques. Les couplets Ă©voquent nombre de sujets volontiers abordĂ©s par la droite, rappelant aux immigrĂ©s qu’il faut respecter ceux qui sont venus longtemps avant toi », revendiquant la valeur travail il faut se prendre en charge / Et pas charger l’État », critiquant les droits acquis » Il faudra bien qu’on en oublie / Sous peine de n’plus / Jamais avoir de droits ». Mais ce programme Ă©lectoral, accompagnĂ© d’une musique de plus en plus dansante, est tempĂ©rĂ© Ă  la fois par un dernier couplet pessimiste et par un refrain dĂ©calĂ©. Le dernier couplet ne s’applique que dans un contexte de dĂ©faite Ă©lectorale qui n’a pas eu lieu pour le public de Michel Sardou Admettons enfin vous et moi Que nous sommes tous des hypocrites. La vĂ©ritĂ© ne nous plait pas Alors on a le pays qu’on mĂ©rite. 48Quant au refrain, il exprime un pessimisme dĂ©sabusĂ© Et puis allons danser Pour oublier tout ça Allons danser. Personne n’y croit. 49De fait, Michel Sardou affirme sur la plage suivante, par ailleurs trĂšs autobiographique, son profond dĂ©tachement Toutes mes exigences, Mes combats, mes dĂ©fiances, Ces parfums mĂ©langĂ©s De femmes et de fumĂ©e Ces Ă©tranges passions. Demain d’autres Ă  ma place Viendront et feront face Pour les provocations. Je n’suis plus un homme pressĂ©. 50Pour la premiĂšre fois depuis prĂšs de vingt ans, Michel Sardou assume clairement ses convictions de droite, mais en tempĂ©rant ses affirmations par un dĂ©faitisme dont il est dĂ©sormais coutumier. AprĂšs plusieurs annĂ©es de gouvernement de droite, le pessimisme qui lui faisait annoncer le dĂ©clin de la France semble avoir atteint ses limites et minĂ© jusqu’aux convictions de l’interprĂšte. Il n’est pas dit que la partie militante de son public le suive sur ce terrain-lĂ . Mais Michel Sardou partage avec elle des valeurs qui ne se limitent pas Ă  des convictions Ă©lectorales. Il propose en effet Ă  ses auditeurs une vision particuliĂšre des mƓurs de notre sociĂ©tĂ©. La critique des institutions, toujours consensuelle, s’y mĂȘle Ă  un grand conservatisme. 3. Michel Sardou et la sociĂ©tĂ© critique des meurs et des institutions a Sabre, goupillon et institution scolaire, l’individu face Ă  la hiĂ©rarchie 1 N’ayant par rĂ©pondu Ă  l’appel, il a Ă©tĂ© emmenĂ© de force vers sa caserne pour un service militaire d ... 51La principale originalitĂ© de Michel Sardou en la matiĂšre est son discours sur trois institutions l’armĂ©e, l’Église catholique et l’école. Le premier est traitĂ© de maniĂšre relativement attendue, puisque Le Rire du sergent s’inscrit dans la tradition du comique troupier. Mais si ce titre a permis Ă  l’artiste de solder ses comptes avec un service militaire mouvementĂ©1, il ne l’empĂȘche pas de tĂ©moigner d’un profond respect pour les anciens combattants. C’est le cas, nous l’avons vu, lorsqu’il rend hommage aux soldats amĂ©ricains qui ont libĂ©rĂ© la France. C’est Ă©galement vrai dans Verdun, oĂč le personnage lutte contre l’oubli des civils, dans une chanson Ă©lĂ©giaque. Michel Sardou associe toutefois le respect du soldat au mĂ©pris de la hiĂ©rarchie militaire et des gradĂ©s. Il l’exprime dans deux chansons au thĂšme semblable mais au traitement trĂšs diffĂ©rent. La Marche en avant donne la parole Ă  un discours d’officier dont le ridicule va jusqu’à l’invraisemblance Nous sommes le trois fĂ©vrier Ce sera un beau jour fĂ©riĂ© Les fonctionnaires nous bĂ©niront Allez sonnez clairons La marche en avant. 52L’ensemble n’a pourtant rien de comique. La musique martiale fortement contrastĂ©e qui accompagne le texte rend la plaisanterie sinistre, lorsque l’interprĂšte Ă©voque les malheurs des soldats. La chanson est toutefois beaucoup moins efficace que La Bataille enregistrĂ©e en 2000. Dans ce titre, les orchestrations qui rappellent la musique militaire sont mises au service d’une fresque Ă©pique de plus de cinq minutes, au cours de laquelle un soldat Ă©voque les diverses Ă©tapes d’une bataille terrifiante. Le rĂ©sultat, particuliĂšrement efficace, fait que l’auditeur ne peut que s’identifier au fantassin, et faire siennes ses derniĂšres paroles, d’un pacifisme violent tu sais c’que j’en fais de ta mĂ©daille ? ». 53L’humble victime a donc toujours raison contre l’institution, ce qui n’a rien d’étonnant quand on connait l’individualisme farouche de Michel Sardou, qui est aussi celui de sa gĂ©nĂ©ration. Mais ce point de vue est plus original lorsqu’il s’agit de composer des chansons sur l’Église catholique qui ne lui soient pas hostile. Si l’on excepte un ironique Merci Seigneur enregistrĂ© au tout dĂ©but de sa carriĂšre en 1967, Michel Sardou n’a jamais rien chantĂ© d’anticlĂ©rical. Au contraire, en 1973, il enregistre Tu es Pierre, vĂ©ritable adaptation en chanson d’un extrait de l’Évangile, la rencontre de Pierre et de JĂ©sus. MalgrĂ© la modernitĂ© anachronique du vocabulaire, le rythme allĂšgre des couplets et les chƓurs du refrain en font une chanson pour curĂ© Ă  guitare. 54Le CurĂ©, enregistrĂ© sur le mĂȘme album, adopte une forme plus classique au service d’un discours plus Ă©tonnant. Tout l’orchestre, oĂč dominent tantĂŽt les violons tantĂŽt les percussions, est convoquĂ© pour jouer l’une des mĂ©lodies les plus efficaces de Jacques Revaux. Si les couplets insistent sur la solitude d’un prĂȘtre de campagne, les refrains chantent sur un rythme plus entraĂźnant un plaidoyer pour la fin du cĂ©libat des prĂȘtres ah mon dieu, si l’on Ă©tait deux ». Bien avant que les polĂ©miques n’envahissent la vie de Michel Sardou, cette chanson lui a valu des inimitiĂ©s dans son propre camp. Elle demeure unique en son genre, car les chansons qui ne sont pas bien-pensantes On ira tous au Paradis de Michel Polnareff, par exemple sont Ă  l’époque hostiles au catholicisme. De plus, Michel Sardou a rapidement fait profil bas en enregistrant J’y crois, une chanson en forme de confession accompagnĂ©e d’une musique doloriste. Tout en affichant un certain doute quant au dogme MĂȘme si ça n’est pas vraiment celui / Que tous les prophĂštes avaient promis » la foi empreinte de culpabilitĂ© qu’il confesse plus qu’il ne la revendique tĂ©moigne d’une Ă©ducation chrĂ©tienne Je suis un trĂšs mauvais chrĂ©tien J’y crois lorsque j’en ai besoin. 55Qui est dieu ?, enregistrĂ© l’annĂ©e suivante, n’apporte pas d’autre rĂ©ponse Ă  cette question existentielle que Dieu, c’est le temps », et la chanson n’a pas d’intĂ©rĂȘt, si ce n’est de permettre Ă  Michel Sardou de chanter en duo avec son fils de cinq ans. Le sujet n’est plus guĂšre abordĂ© ensuite, Le CurĂ© n’apparaissant que sporadiquement sur les compilations. Il faut attendre 1990, et le texte d’Au nom du pĂšre, coĂ©crit avec Didier Barbelivien pour que l’artiste parle Ă  nouveau de religion. Il n’est plus alors question de foi, malgrĂ© un refrain en forme de gospel festif. RythmĂ© par des AllĂ©luia », la chanson Ă©voque les agissements des missionnaires chrĂ©tiens, depuis l’arrivĂ©e des Espagnols jusqu’à la sĂ©grĂ©gation raciale aux États-Unis. La musique noire et les chƓurs des refrains ne peuvent dĂšs lors ĂȘtre compris que de maniĂšre ironique, du moins jusqu’au couplet final, oĂč le message chrĂ©tien rĂ©apparaĂźt, tempĂ©rĂ© par un attachement profond aux choses d’ici-bas. Au nom du PĂšre Tu es quelqu’un FrĂšre de ton frĂšre De ton prochain Quel que soit l’endroit D’oĂč l’on vient AllĂ©luia Tu es nĂ© l’enfant d’une femme Aux seins sucrĂ©s au ventre calme Paix Ă  ses cendres et Ă  son Ăąme AllĂ©luia AllĂ©luia. 56Si la foi n’est pas remise en cause, la religion est donc finalement envisagĂ©e, comme l’armĂ©e, du point de vue de l’individu qu’elle opprime. Sa critique des institutions et du passĂ© de l’Église catholique permet Ă  Michel Sardou de s’adresser Ă  un public de tradition chrĂ©tienne qui partage l’essentiel de ses idĂ©es modernistes. Le doute et la critique de la rigiditĂ© du Vatican sont en effet largement rĂ©pandus parmi les catholiques français. 57L’artiste est plus polĂ©mique lorsqu’il Ă©voque l’école. Il est vrai qu’il est le seul Ă  oser s’aventurer sur ce terrain. Les chanteurs engagĂ©s Ă  gauche savent que les enseignants constituent une bonne partie de leur public, ce qui incite Ă  la prudence. Le Surveillant gĂ©nĂ©ral, Ă©crit en 1972 Ă  partir de mauvais souvenirs de pension, reste consensuel puisqu’il ne s’attaque qu’aux internats. Mais en 1978, alors que Michel Sardou sort Ă  peine de plusieurs mois de polĂ©miques Ă©prouvantes, il enregistre Monsieur MĂ©nard, consacrĂ© Ă  un professeur maltraitĂ© par ses Ă©lĂšves. Le texte est portĂ© par un personnage violent C’était un jour en terminale Pour une histoire assez banale J’ai cru qu’il allait me frapper Alors j’ai cognĂ© le premier J’ai donnĂ© un grand coup de tĂȘte Pour frimer devant les copains Je lui ai cassĂ© les lunettes Ils sont pas marrants les gamins. 58Certes, cet usage massif de la premiĂšre personne fait que le personnage et le malaise qu’il suscite peuvent sembler anecdotique, privant le propos de toute portĂ©e gĂ©nĂ©rale. Il n’en reste pas moins que parler de l’école de cette façon ne s’était encore jamais fait en chanson. 59L’histoire ne dit pas si les anciens collĂšgues de Michel Sardou, qui a Ă©tĂ© professeur quelques mois, ont apprĂ©ciĂ©. L’Ɠuvre n’a, quoi qu’il en soit, pas eu une grande carriĂšre. Par contre, Les Deux Ă©coles, paru en 1984, dans un contexte de manifestation en faveur de l’école privĂ©e, aura un Ă©norme succĂšs. Le texte, conçu par Pierre DelanoĂ« comme un manifeste pour l’école libre, est rendu plus neutre par l’interprĂšte, qui renvoie dos Ă  dos les deux modĂšles Ă©ducatifs. De fait, ce n’est pas le discours polĂ©mique qui a fait le succĂšs de la chanson, car une phrase telle que j’ai fait les deux Ă©coles et ça n’a rien changĂ© » n’a de quoi satisfaire personne. L’Ɠuvre doit son succĂšs Ă  son refrain, particuliĂšrement dansant, qui Ă©voque une succession de particularitĂ©s rĂ©gionales et prouve une fois de plus le talent avec lequel Sardou sait susciter la nostalgie. Le seul texte de Sardou que les enseignants ont mal acceptĂ© ne parle que peu de l’école. Il s’agit du Bac G, qui, en dĂ©pit de son titre, parle surtout du dĂ©sespoir de la jeunesse de 1992 Vous passiez un bac G Un bac Ă  bon marchĂ© Dans un lycĂ©e poubelle L’ouverture habituelle Des horizons bouchĂ©s Votre question Ă©tait faut-il dĂ©sespĂ©rer ? 60C’est d’ailleurs ce ton dĂ©sespĂ©rĂ© qui vaut Ă  la chanson d’ĂȘtre rĂ©guliĂšrement reprise par son auteur depuis quinze ans, tandis que l’image de l’école ne cesse de se dĂ©grader. Mais le systĂšme Ă©ducatif, comme l’Église et l’armĂ©e, font moins l’objet de discours que d’anecdotes dont la portĂ©e est plus ou moins gĂ©nĂ©rale. Cela permet Ă  Michel Sardou d’exprimer des critiques parfois virulentes, tout en lui laissant le loisir de s’abriter derriĂšre des personnages qu’il incarne, sans forcĂ©ment leur ressembler. 61Mais ce dispositif, qui fonctionne bien pour critiquer la sociĂ©tĂ©, n’est pas toujours utilisable dans toutes les chansons ayant trait aux mƓurs, la premiĂšre personne du singulier, presque obligatoire, incite le public Ă  confondre l’interprĂšte et son discours. Le je » lyrique et impersonnel qui porte le texte, en particulier dans les chansons d’amour, n’est pas un personnage suffisamment construit pour permettre Ă  Michel Sardou de s’en Ă©loigner radicalement. Et il est vrai que ses chansons en apparence anodines semblent nous renseigner sur sa vision particuliĂšre des rapports humains. b Évolution des mƓurs une tolĂ©rance qui exclut le fĂ©minisme 62Dans les annĂ©es 70, il s’est vu violemment reprocher son sexisme. Cette accusation se fonde sur l’image de la femme vĂ©hiculĂ©e par ses chansons. Les chansons parlant d’amour se prĂȘtent Ă  d’infinies variations, mais quelques grandes tendances se dĂ©gagent de l’ensemble du rĂ©pertoire, dont certaines ont des sources biographiques. Michel Sardou se sent aussi lĂ©gitime pour fustiger les femmes qui piĂšgent les hommes par un mariage La Corrida n ’aura pas lieu, en 1971, Vive la mariĂ©e en 71, Bonsoir Clara en 72, le cas inverse Ă©tant envisagĂ© en 1970 dans Quelques mots d’amour, que pour condamner les pĂšres dĂ©missionnaires qui abandonnent leurs enfants Merci pour tout, 82. Attention les enfants dangers, 88 À cet aspect moralisateur s’ajoute une vision conservatrice et une morale chrĂ©tienne, qui font que la femme a pour tĂąche essentielle de faire des enfants Ă  son mari Tu m’as donnĂ© de beaux enfants / Tu as le droit de te reposer maintenant » dĂ©clare l’homme dans Les Vieux mariĂ©s, et d’autres chansons y font Ă©cho, notamment Un enfant. Aux discours de sĂ©ducteur interprĂ©tĂ©s de maniĂšre virile Je veux l’épouser pour un soir, par exemple s’ajoute une vision trĂšs catholique du pĂ©chĂ© de chair, souvent associĂ©e pour la femme Ă  la peur et Ă  la douleur. MĂȘme un succĂšs en apparence aussi anodin et consensuel que La Maladie d’amour en porte la marque, n’associant la sexualitĂ© fĂ©minine qu’à la souffrance et Ă  la reproduction Elle fait chanter les hommes et s’agrandir le monde Elle fait parfois souffrir tout le long d’une vie Elle fait pleurer les femmes elle fait crier dans l’ombre Mais le plus douloureux c’est quand on en guĂ©rit. 63Les opposants Ă  Michel Sardou n’ont donc eu besoin que d’un peu de mauvaise foi pour lui reprocher d’interprĂ©ter un personnage qui fantasme un viol Dans les villes de grandes solitude, en 1975. 64Il faut attendre le dĂ©but des annĂ©es 80, pĂ©riode Ă  laquelle les femmes libĂ©rĂ©es sont devenues un thĂšme incontournable en chanson, pour que Michel Sardou fasse machine arriĂšre. Être une femme, sans cesse repris depuis, est restĂ© dans toutes les mĂ©moires, mĂȘme s’il est souvent connu Ă  tort sous le titre de Femme des annĂ©es 80. Il a cependant Ă©tĂ© trĂšs vite amputĂ© de son couplet introducteur, qui transfĂšre sur l’interprĂšte toutes les qualitĂ©s viriles du personnage Dans un voyage en absurdie Que je fais lorsque je m’ennuie J’ai imaginĂ© sans complexe Qu’un matin je changeais de sexe Que je vivais l’étrange drame D’ĂȘtre une femme. 65Si la femme se doit d’ĂȘtre forte, Michel Sardou la confine dans un rĂŽle plus traditionnel. Il persiste et signe en 1984, en crĂ©ant avec Une femme, ma fille, la version fĂ©minisĂ©e d’un cĂ©lĂšbre poĂšme de Kipling Si tu lui donnes l’enfant qu’il te prie de lui faire Comme un cadeau du ciel comme un fruit de la terre Si tu remplis son cƓur au fil de chaque jour De ta tendre chaleur et de tes mots d’amour Si tu peux l’écouter quand il chante trop haut Et chanter avec lui pour que ce soit moins faux ... Si tu sais tout cela Comme les milliards de femmes qui l’ont fait avant toi Et si dans son bonheur tu vois le tien qui brille Ce jour-lĂ  tu seras une femme ma fille ma fille. 66Il ne faut pas s’étonner que cette chanson Ă  contre-courant ait eu peu de carriĂšre. Marie Jeanne, en revanche, a Ă©tĂ© un grand succĂšs, prouvant une fois de plus que l’artiste excelle dans le pessimisme. La chanson dresse en effet un bilan trĂšs mitigĂ© de la libĂ©ration fĂ©minine, Ă©voquant des femmes qui ont renoncĂ© Ă  leurs rĂȘves de jeunes filles. 67L’écoute du rĂ©pertoire complet de Michel Sardou assigne donc Ă  la femme un rĂŽle prĂ©cis et rĂ©actionnaire, mais cela va de pair, individualisme oblige, avec une tendresse particuliĂšre pour certains comportements marginaux. 68Cette tolĂ©rance ne s’applique pas qu’au personnage du CurĂ©, et peut aussi bien concerner une prostituĂ©e. L’Autre femme, comme l’indiquent ses orchestrations trĂšs datĂ©es Ă  base d’orgue et de batteries, est créée au dĂ©but des annĂ©es 80. PrĂšs d’un siĂšcle aprĂšs que ce thĂšme a fait son apparition en chanson, Michel Sardou innove peu, mais fait la synthĂšse de tous les topoĂŻ accumulĂ©s sur le sujet. Il n’évite que celui de la prostituĂ©e amoureuse, hĂ©ritĂ© de Piaf, prĂ©fĂ©rant Ă©voquer une femme libĂ©rĂ©e Ă©levant seule son enfant. Pour le reste, les thĂšmes des diffĂ©rents couplets sont empruntĂ©s Ă  un rĂ©pertoire classique, qui va de FerrĂ© Ă  Brassens, en passant par Reggiani. Les difficultĂ©s du mĂ©tier, le rĂŽle de sƓur de charitĂ© » des prostituĂ©es, l’errance affective de leur client, et l’affirmation selon laquelle la prostituĂ©e n’est pas plus immorale que certaines femmes volages ou mariĂ©es par intĂ©rĂȘt, rien de tout cela n’est nouveau. Une telle tolĂ©rance a pourtant de quoi surprendre son public, d’autant que Michel Sardou dĂ©fend le titre en concert avec une grande rĂ©gularitĂ©. Cela ne l’a pourtant pas empĂȘchĂ©, sur son dernier album, d’enregistrer Valentine day, un titre dont l’action se situe dans le passĂ©, pour introduire un stĂ©rĂ©otype rĂ©trograde. Il s’agit en effet, en Ă©voquant les filles qui allĂšrent peupler les colonies amĂ©ricaines, de chanter les amours vĂ©nales sur un rythme insouciant et joyeux, qui dĂ©responsabilise les hommes. Ce type de discours, qui associe bonheur de l’homme et prostitution, n’avait pas Ă©tĂ© illustrĂ© en chanson depuis Les petites femmes de Pigalle de Serge Lama, titre dĂ©jĂ  misogyne pour son Ă©poque. Le contexte fĂ©ministe des annĂ©es 1970, auquel on sait que Michel Sardou est peu sensible, avait jusque lĂ  fait disparaĂźtre ce type de rĂ©pertoire. 69En revanche, la tolĂ©rance pour l’homosexualitĂ© masculine semble croĂźtre avec le temps. S’il est, de ce point vue, en phase avec la sociĂ©tĂ©, Michel Sardou est plutĂŽt rĂ©actionnaire par rapport au milieu de la chanson. En effet, alors que les annĂ©es 70 ont vu naĂźtre et prospĂ©rer des chansons tolĂ©rantes – Ă  la suite de Comme ils disent de Charles Aznavour créé en 1971 – il affichait durant la mĂȘme pĂ©riode un mĂ©pris virulent. AprĂšs avoir moquĂ© Le Rire du sergent, et dĂ©noncĂ© l’homosexualitĂ© latente des pensionnats dans Le Surveillant gĂ©nĂ©ral, il a employĂ© le terme pĂ©dĂ© » comme une injure dans J’accuse. Mais l’évolution de la sociĂ©tĂ© a fini par l’influencer et, en 1990, il a enregistrĂ© Le PrivilĂšge. L’homosexualitĂ© y est abordĂ©e par le biais de l’aveu Ă  la mĂšre, ce qui permet d’esquiver les questions d’amour ou de vie de couple D’abord je vais lui dire Maman Je ne veux plus dormir en pension Et puis je glisserai lentement Sur les ravages de la passion. 70Les procĂ©dĂ©s employĂ©s – orchestrations Ă  base de piano et de guitare, usage de la premiĂšre personne, vocabulaire affectif, hyperboles – permettent une forme d’identification de l’auditeur au personnage. Le texte du refrain, toutefois, reste imprĂ©gnĂ© des prĂ©jugĂ©s des annĂ©es 70, qui font de l’homosexualitĂ© une maladie mentale et une source de culpabilitĂ© plutĂŽt qu’un privilĂšge » Est-ce une maladie ordinaire Un garçon qui aime un garçon ? 71La tolĂ©rance qu’affiche Michel Sardou pour les individus marginaux qui vivent leur libertĂ© sexuelle est donc aussi grande que peut l’ĂȘtre celle d’un homme qui revendique son appartenance Ă  une droite catholique. Conclusion le succĂšs d’un Français rĂąleur 72À l’écoute de l’ensemble du rĂ©pertoire, les contradictions apparentes que Michel Sardou revendique souvent laissent apparaĂźtre une grande cohĂ©rence. MotivĂ©e par l’individualisme forcenĂ© d’un homme qui s’est forgĂ© seul un destin de vedette, sa vision du monde manifeste une grande mĂ©fiance vis-Ă -vis de la sociĂ©tĂ© et de ses institutions, et une insatisfaction chronique Ă  l’égard de la politique. Cet Ă©tat d’esprit, qui existe aussi chez des chanteurs de gauche, explique la violence de ses diatribes militantes. Ses opinions de droite sont moins fondĂ©es sur des options Ă©conomiques que sur des options morales s’il est tolĂ©rant envers la marginalitĂ©, il conserve une image de la femme et de la famille trĂšs rĂ©trograde, issue d’une Ă©ducation catholique. Joints Ă  son pessimisme et Ă  son angoisse du dĂ©clin, l’évolution de la sociĂ©tĂ© en matiĂšre de mƓurs et la situation Ă©conomique lui fournissent nombre d’occasions de crĂ©er des chansons en accord avec son goĂ»t prononcĂ© pour la dĂ©ploration. 73Bien sĂ»r, ces opinions n’expliquent pas le succĂšs de Michel Sardou. Celui-ci s’appuie d’abord sur une voix et des prestations scĂ©niques trĂšs travaillĂ©es, d’une sobriĂ©tĂ© efficace. Sur des collaborateurs ensuite, qu’il s’agisse de compositeurs et d’auteurs de grand talent – parmi lesquels Jacques Revaux, Pierre DelanoĂ«, Didier Barbelivien et Michel Fugain –, ou d’une multitude d’orchestrateurs qui permettent Ă  l’artiste de renouveler son univers sonore. Sur des apparitions mĂ©diatiques rĂ©guliĂšres dans des Ă©missions consensuelles, enfin, qui lui assurent une grande visibilitĂ©, et lui permettent de tenter d’étouffer d’éventuelles polĂ©miques. 74Mais, dans la chanson politique, on ne peut prĂȘcher qu’à des convaincus, et si Michel Sardou sĂ©duit, c’est parce qu’il est en phase Ă  la fois avec un public de droite et avec un autre plus dĂ©politisĂ© et dĂ©sillusionnĂ©. RĂąleurs et conservateurs, plus pessimistes pour la sociĂ©tĂ© que pour leur situation personnelle, constatant avec une relative bienveillance une Ă©volution des mƓurs Ă  laquelle ils semblent peu participer, les personnes Ă  qui s’adressent les chansons de Michel Sardou ressemblent fort Ă  une image du Français moyen hĂ©ritĂ©e des annĂ©es 1970. Ils sont issus d’une France peuplĂ©e de blancs catholiques n’apprĂ©ciant des Ă©trangers, en particuliers des arabes, que leur caractĂšre exotique. Michel Sardou est leur seul porte-parole dans le domaine de la chanson française. Mais si l’artiste touche un public plus large, authentiquement populaire, c’est parce qu’il sait fĂ©dĂ©rer tous ceux – et ils sont nombreux depuis l’époque du France – qui conservent un attachement profond Ă  leur pays et le dĂ©sir ambigu de se lamenter continuellement sur son dĂ©clin.
Troisans ! C'est le temps qu'il a fallu attendre depuis le lancement de YouTube RED aux États-Unis jusqu'au lancement de YouTube Premium en France. C'est
Sur Gainsbourg ou Gainsbarre, on nous raconte toujours les mĂȘmes histoires la destruction de ses toiles, sa rencontre avec Boris Vian, France Gall, Brigitte Bardot, Jane Birkin, sa version controversĂ©e de la Marseillaise», l’incendie du billet de 500 francs. Ce qu’on sait moins, c’est le rĂŽle primordial que la littĂ©rature − et particuliĂšrement celle du XIXe siĂšcle − a jouĂ© dans sa vie comme dans son Ɠuvre. Dans ses PensĂ©es», Gainsbourg Ă©crivait pourtant Je vais essayer de rejoindre Rimbaud, je veux l’approcher... Un jour je le retrouverai, quelque part en Abyssinie, oĂč il faisait le trafic des armes et de l’or...» En s’inspirant continuellement des poĂštes et Ă©crivains qu’il admirait Baudelaire, Poe, Benjamin Constant, Flaubert, Huysmans, Gainsbourg a rĂ©ussi son alchimie du verbe» il a changĂ© son art mineur» en art majeur et transmutĂ© la chanson en poĂ©sie. La preuve en paroles et suite aprĂšs la publicitĂ© Comme dit si bien Verlaine
 Verlaine le dit si bien qu’il faut le réécrire. Je suis venu te dire que je m’en vais» est Ă  la fois l’un des titres les plus connus de Gainsbourg et le meilleur exemple d’une chanson qui n’est pas tout Ă  fait la sienne. Alors qu’elle met en place un principe de dĂ©coupages et de collures» mes textes ne sont que collures», disait-il du poĂšme de Verlaine Chanson d’automne», le titre est une trouvaille typique de l’auteur qui excelle dans l’art du paradoxe pensons par exemple Ă  Souviens-toi de m’oublier». Le dĂ©but de la chanson naĂźt de la fin du poĂšme car c’est au quinziĂšme vers seulement sur dix-huit qu’on lit Et je m’en vais». Si Chanson d’automne» traite de la nostalgie et de la douleur liĂ©e au temps qui passe, Gainsbourg change les codes il n’est plus question d’automne, ou alors de l’automne comme saison mĂ©taphorique des amours fanĂ©es qu’il faut laisser balayer par le vent. Sa version devient un monotone monologue entre un je» et un tu», un homme et une femme qui reprend les larmes Ă  son compte. Seul un vers est utilisĂ© explicitement Comme dit si bien Verlaine/Au vent mauvais». En citant le nom du poĂšte, Gainsbourg revendique clairement son hĂ©ritage poĂ©tique. Le couplet suivant Ă  gauche est celui qui se rapproche le plus de Verlaine Ă  droite Tu t'souviens des jours anciens et tu pleuresTu suffoques, tu blĂȘmis Ă  prĂ©sent qu'a sonnĂ© l'heureDes adieux Ă  jamaisOui je suis au regretDe te dire que je m'en vaisOui je t'aimais, oui, mais Tout suffocantEt blĂȘme, quandSonne l'heure,Je me souviensDes jours anciensEt je pleureLa suite aprĂšs la publicitĂ© Mais Gainsbourg change de pronom personnel et inverse les deux strophes. OphĂ©lie "opheeling" de Shakespeare Ă  Gainsbourg en passant par Rimbaud L’exemple prĂ©cĂ©dent est le parangon de la réécriture Gainsbourg s’approprie le poĂšme de Verlaine et reprend son vocabulaire. Avec OphĂ©lie», l’ambition est tout autre. Le personnage provient de la piĂšce de Shakespeare, Hamlet». Fille de Polonius et sƓur de LaĂ«rte, OphĂ©lie est amoureuse de Hamlet qui feint de ne pas l’aimer en retour. Lorsqu’il tue Polonius par erreur, OphĂ©lie devient folle et on la retrouve noyĂ©e dans un ruisseau. Dans la piĂšce, toute la question est de savoir si sa noyade est un accident ou un suicide. C'est devenu un vĂ©ritable thĂšme pictural et littĂ©raire, quand Rimbaud rĂ©dige Ă  son tour, en 1870, un poĂšme intitulĂ© OphĂ©lie». Un siĂšcle plus tard, en 1971, Gainsbourg Ă©crit la NoyĂ©e». Son dĂ©fi est alors de proposer une nouvelle lecture de l’histoire et surtout d’arriver Ă  passer aprĂšs Rimbaud. Curieusement, le mot noyĂ©e» n’était pas prĂ©sent chez le poĂšte. Son OphĂ©lie semblait avoir Ă©tĂ© victime d’un accident Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emportĂ©!». En choisissant pour titre la NoyĂ©e», Gainsbourg privilĂ©gie la thĂšse du suicide et se rapproche davantage de la version shakespearienne. Créée pour le film d’Abraham Polonsky, Le Roman d’un voleur de chevaux», la chanson n’est interprĂ©tĂ©e qu’une seule fois par Gainsbourg en 1972 et n’est disponible Ă  la vente qu’en 1994. Bien qu’inconnue du grand public, elle est l’une des plus poignantes de son rĂ©pertoire et la musique renforce le sentiment de dĂ©sespĂ©rance qui Ă©mane des suite aprĂšs la publicitĂ© Mais Gainsbourg ne s’arrĂȘte pas lĂ  en 1990, il signe une nouvelle version pour Vanessa Paradis. Cette fois, la musique est pop-rock et enlĂšve Ă  la situation de la belle OphĂ©lie» sa dimension dramatique. Pour obtenir d’un garçon qu’il l’aime autant qu’elle l’aime, la chanteuse explique qu’elle voudrait prendre la place de cette fascinante hĂ©roĂŻne. L’écriture est moderne et caractĂ©ristique de Gainsbourg Des traces de cent/Pour cent c’est lĂ  le sang/Comme celui d’OphĂ©lie/Se ronger les sangs/À quoi bon les san-/Glots dans l’ennui». Cependant, on trouve deux rĂ©fĂ©rences Ă  la version de Rimbaud. D’une part, Gainsbourg utilise le dĂ©cor de la nuit» comme faisait le poĂšte; d’autre part, alors que Rimbaud Ă©crit Les nĂ©nuphars froissĂ©s soupirent autour d’elle» et Ă©voque les lys», les saules» et les roseaux», Gainsbourg fait allusion aux nĂ©nuphars» et aux plantes rares». La suite aprĂšs la publicitĂ© "Élisa" la chercheuse de poux En 1969 sort la cĂ©lĂšbre chanson Élisa», dans laquelle Gainsbourg rĂ©clame Ă  une jeune femme de lui inspecter le cuir chevelu. Il est trĂšs probable que cette idĂ©e lui soit venue d’un poĂšme de Rimbaud intitulĂ© Les chercheuses de poux». Le poĂšte y dĂ©crit le rituel de deux grandes sƓurs charmantes» on ignore si elles sont religieuses ou sƓurs de sang qui tuent les poux cachĂ©s dans la tĂȘte d’un enfant». La mort des poux donne alors lieu Ă  une scĂšne placĂ©e sous le signe de l’excitation des sens et du plaisir toutes proportions gardĂ©es Ă  la fois sadique Il Ă©coute chanter leurs haleines craintives/Qui fleurent de longs miels vĂ©gĂ©taux et rosĂ©s/Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives/Reprises sur la lĂšvre ou dĂ©sirs de baisers»; et masochiste L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses/Sourdre et mourir sans cesse un dĂ©sir de pleurer». Adorateur de Rimbaud, Serge Gainsbourg a nĂ©cessairement lu ce poĂšme. On peut imaginer que ce tableau lui plaĂźt. Si Élisa» n’a jamais Ă©tĂ© revendiquĂ©e comme une réécriture des Chercheuses de poux», elle est l’exemple mĂȘme d’une lecture digĂ©rĂ©e qui a permis Ă  l’auteur d’inventer, au sens premier de dĂ©-couvrir, un thĂšme littĂ©raire dĂ©coiffant. LĂ  oĂč Rimbaud use et abuse de qualificatifs Avec de frĂȘles doigts aux ongles argentins», leurs doigts fins, terribles et charmeurs», leurs doigts Ă©lectriques et doux» et leurs ongles royaux», Gainsbourg Ă©conomise ses mots Élisa, ÉlisaÉlisa saute-moi au couÉlisa, ÉlisaÉlisa cherche-moi des poux,Enfonce bien tes ongles,Et tes doigts dĂ©licatsDans la jongleDe mes cheveux Lisa La figure enfantine ne disparaĂźt pas tout Ă  fait puisque la chasse aux poux prend la forme d’un jeu d’enfants qui ont treize, quatorze ans Ă  [eux] deux». La vĂ©ritĂ©, c’est qu’Élisa est une jeune femme qui joue Ă  la coiffeuse avec un homme qui a deux fois son Ăąge Tes vingt ans, mes quarante/Si tu crois que cela/Me tourmente/Ah non vraiment Lisa». Certainement suscitĂ© par la rime en [ente], le verbe tourmenter fait cependant Ă©cho au premier vers de Rimbaud Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes».La suite aprĂšs la publicitĂ© Le culte du cargo, de Heredia Ă  Melody Nelson Pour l’écriture des deux sonnets dont est composĂ©e Cargo culte», la chanson finale de l’Histoire de Melody Nelson», Gainsbourg s’est ouvertement inspirĂ© de la poĂ©sie de JosĂ©-Maria de Heredia, l’un des maĂźtres du mouvement parnassien. Il l'avait confiĂ© Ă  Patrick ChomprĂ© et Jean-Luc Leray, alors journalistes pour France-Culture Il y a parfois une prosodie qui est d’une telle sophistication qu’elle ne peut se mettre en mĂ©lodie [...] le sonnet, je pense que c’est ce qu’il y a de plus pur dans la prosodie, dans la rigueur de la poĂ©sie, et ce qui m’a subjuguĂ©, c’est tout simple, c’est Heredia "Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal", etc. Je commence Ă  aborder la poĂ©sie dans son Ă©tat pur et rigoureux. Donc c’est ici un tournant vers qu’il cite est extrait du poĂšme Les ConquĂ©rants», dans lequel Heredia narre le voyage de Conquistadors espĂ©rant des lendemains Ă©piques». Le voyage de Melody, lui, n’est pas Ă  destination de l’AmĂ©rique elle veut revoir le ciel de Sunderland», ville d’Angleterre dont elle est originaire. Cargo culte» est une version pessimiste voire dĂ©sespĂ©rĂ©e du poĂšme qui transforme les ConquĂ©rants en des naufrageurs naĂŻfs armĂ©s de sarbacanes». Le culte du cargo fascine Gainsbourg, son narrateur finit par s’identifier aux sorciers» eux prient le ciel de leur envoyer des marchandises, lui pour que les cieux lui rendent [s]es amours dĂ©risoires». La suite aprĂšs la publicitĂ© Tout cela n'empĂȘche pourtant pas que Gainsbourg se soit aussi inspirĂ© du Bateau ivre». La premiĂšre phrase de la chanson commence par Je sais moi des sorciers qui invoquent les jets». Elle rappelle la rĂ©pĂ©tition prĂ©sente au huitiĂšme quatrain du poĂšme de Rimbaud Je sais les cieux crevant en Ă©clairs, et les trombes/Et les ressacs et les courants je sais le soir». Et dans le second sonnet, Melody est comme rĂ©ifiĂ©e, son corps devient un bateau Ă©garĂ© OĂč es-tu Melody et ton corps disloquĂ©Hante-t-il l’archipel que peuplent les sirĂšnesOu bien accrochĂ©e au cargo dont la sirĂšneD’alarme s’est tue, es-tu restĂ©e Au hasard des courants as-tu dĂ©jĂ  touchĂ©Ces lumineux coraux des cĂŽtes guinĂ©ennesOĂč s’agitent en vain ces sorciers indigĂšnesQui espĂšrent encore en des avions brisĂ©sLa suite aprĂšs la publicitĂ© Gainsbourg est ici au sommet de son art. DerriĂšre les mots s’est tue, es», on peut entendre s’est tuĂ©e». Mais la mort de Melody, trop douloureuse pour le narrateur, n’est jamais exprimĂ©e directement. "Initials un texte palimpseste L’une des chansons mythiques de Gainsbourg trouve son origine Ă  la fois chez Edgar Allan Poe et chez Baudelaire. Le premier couplet Ă  gauche s’inspire librement de la premiĂšre strophe du poĂšme le Corbeau» de Poe Ă  droite - et d’ailleurs traduit en français par Baudelaire Une nuit que j’étaisÀ me morfondreDans quelques pubs anglaisDu cƓur de Londres Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je mĂ©ditais, faible et fatiguĂ©,La suite aprĂšs la publicitĂ© Parcourant l’Amour Mon-Stre de PauwelsMe vint une visionDans l’eau de Seltz Sur maint prĂ©cieux et curieux volume d’une doctrine oubliĂ©e,Pendant que je donnais de la tĂȘte, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement,Comme de quelqu'un frappant doucement, frappant Ă  la porte de ma chambre. Pour dĂ©marrer sa chanson, Gainsbourg ne reprend pas la traduction de Baudelaire mais il est Ă©tonnant de constater qu’un poĂšme des Fleurs du mal» commence par ces mots Une nuit que j’étais prĂšs d’une affreuse Juive». La fameuse construction syntaxique qui ouvre Initials est donc une rĂ©miniscence du poĂšme XXXII» de Spleen et IdĂ©al». Et ce n'est pas tout. Le reste de la chanson contient des souvenirs plus ou moins flous d'au moins trois autres poĂšmes du recueil Hymne Ă  la Beauté», Parfum exotique» et Les Bijoux». ComparonsLa suite aprĂšs la publicitĂ© Jusques en haut des cuissesElle est bottĂ©eEt c’est comme un caliceÀ sa beautĂ© Tu contiens dans ton Ɠil le couchant et l’aurore ;Tu rĂ©pands des parfums comme un soir orageux ;Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphoreQui font le hĂ©ros lĂąche et l’enfant courageux. Hymne Ă  la beauté», v. 5-8 Le calice Ă  sa beauté» n'est-il pas une image voisine de celle créée par Baudelaire au troisiĂšme vers avec et ta bouche une amphore»? ContinuonsLa suite aprĂšs la publicitĂ© Elle ne porte rienD’autre qu’un peuD’essence de GuerlainDans les cheveux GuidĂ© par ton odeur vers de charmants climats,Je vois un port rempli de voiles et de mĂątsEncor tout fatiguĂ©s par la vague marine,Pendant que le parfum des verts tamariniers,Qui circule dans l’air et m’enfle la narine,Se mĂȘle dans mon Ăąme au chant des mariniers. Parfum exotique», v. 9-14 L’essence de Guerlain portĂ©e par Brigitte Bardot est bien le parfum exotique qui la guide vers le port d’AlmĂ©ria, au grand dam de Serge Gainsbourg. De façon plus Ă©vidente, deux couplets de la chanson font immĂ©diatement penser aux Bijoux» de BaudelaireLa suite aprĂšs la publicitĂ© À chaque mouvementOn entendaitLes clochettes d’argentDe ses poignetsAgitant ses grelotsElle avançaEt prononça ce mot AlmĂ©ria La trĂšs-chĂšre Ă©tait nue, et, connaissant mon cƓur,Elle n’avait gardĂ© que ses bijoux sonores, Tandis que des mĂ©daillesD’impĂ©ratorFont briller Ă  sa tailleLe bronze et l’orLe platine lui graveD’un cercle froidLa marque des esclavesÀ chaque doigt Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueurQu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des suite aprĂšs la publicitĂ© Cette chanson s’avĂšre un vĂ©ritable palimpseste dont les diffĂ©rentes strates se rĂ©vĂšlent Ă  mesure qu’on l’écoute, le tout Ă©tant renforcĂ© par l’emprunt du thĂšme principal Ă  DvorĂĄk. Initials devient, sous la plume de Gainsbourg, la symphonie d’un nouveau monde sans Brigitte Bardot. "Le poinçonneur des Lilas" et autres "Correspondances" Initials n’est pas la seule chanson Ă  reprendre le thĂšme des bijoux sonores». En tĂ©moigne cet extrait de Couleur café» Alors j’entends murmurer/Tous tes bracelets/Jolis bracelets/À tes pieds ils se balancent». Gainsbourg partage les fantasmes de Baudelaire liĂ©s au fĂ©minin les bijoux, les cheveux, les odeurs. Il a parsemĂ© son Ɠuvre de rĂ©fĂ©rences aux Fleurs du Mal». Ainsi, LĂŠtitia, plus connue sous l’épellation de Elaeudanla TeĂŻtéïa», est comparĂ©e Ă  une fleur bien maladive» et dans l’Alcool», il est question de fleurs horribles» dans une chambre Mes illusions donnent sur la courDes horizons j’en ai pas lourdQuand j’ai bossĂ© toute la journĂ©eIl m’reste plus pour rĂȘverQu’les fleurs horribles de ma chambreLa suite aprĂšs la publicitĂ© Cette chanson − sorte de PoĂšme de l’Alcool», Ă  la maniĂšre du PoĂšme du Haschich» de Baudelaire − donne Ă  entendre la suite des aventures du poinçonneur des Lilas» qui sous son ciel de faĂŻence [ne] voit briller que les correspondances». Et s’il s’agissait d’un discret clin d’Ɠil au poĂšme de Baudelaire, Correspondances»? AprĂšs tout, le poinçonneur est un lecteur Pour tuer l’ennui j’ai dans ma veste/Les extraits du Reader Digest». N'en doutons plus, Gainsbourg est imprĂ©gnĂ© de la mĂ©lancolie dĂ©crite par Baudelaire, et l’Anthracite» achĂšve de le montrer Mais prends garde ma petiteÀ mon humeur anthraciteJ’arracherai animalLe cri et les fleurs du malFleurs de serre fleurs mauditesÀ la nuit noir anthracite Subtilement, il glisse les Fleurs du mal» dans son texte, comme il le fera ensuite dans Sorry Angel» avec À rebours», de Huysmans Le compte avait commencĂ©/À rebours/Était-ce vertige dĂ©veine/Qui sait».La suite aprĂšs la publicitĂ© Un dernier exemple enfin, peut ĂȘtre empruntĂ© aux Onze Mille Verges» d’Apollinaire qui, dans son roman Ă©rotique, met en exergue le distique fameux d’Alphonse Allais» La trĂ©pidation excitante des trains nous glisse des dĂ©sirs dans la moelle des reins Gainsbourg, imbibĂ© de cet ouvrage, nous sert un fond de sidĂ©rodromophilie dans Scenic railway», et reprend quatre vers pour la route dans Harley Davidson» Quand je sens en chemin les trĂ©pidations de ma machine, il me monte des dĂ©sirs dans le creux de mes reins » Joseph Ginzburg, le pĂšre de Serge, pensait que le mot poĂšte Ă©tait un qualificatif trop conventionnel» pour son fils, qu’il aurait fallu qu’on invente un nouveau mot pour lui». Et il est vrai que cette Ă©tiquette ne colle pas avec le personnage. Gainsbourg confiait lui-mĂȘme que la poĂ©sie dans son Ă©tat pur n’a pas besoin d’un apport musical», ajoutant avec sa spontanĂ©itĂ© lĂ©gendaire C’est lĂ  oĂč ça me fait chier parce que j’aime la musique». La musique qu’il aime, justement, c’est − comme en littĂ©rature − celle du XIXe il reprend Beethoven dans PoupĂ©e de Cire, PoupĂ©e de Son», adapte Chopin et Brahms dans Lemon Incest», Jane B.» et Baby alone in Babylone». En faisant remarquablement du neuf avec du vieux, il devient rĂ©inventeur professionnel. Il faut ĂȘtre absolument moderne», Ă©crivait Rimbaud. Si Gainsbourg l’a compris? Affirmatif. S’il a rejoint son maĂźtre? No suite aprĂšs la publicitĂ© ChloĂ© Thibaud PensĂ©es, provocs et autres volutes, par Serge Gainsbourg, Le Cherche Midi, 193 p., 13 euros. Les Manuscrits de Serge Gainsbourg, par Laurent Balandras, Textuel, 400 p., 49,70 euros. Gainsbourg, par Gilles Verlant, Albin Michel, 774 p., 30 euros. En relisant Gainsbourg, par ChloĂ© Thibaud, bleu nuit Ă©diteur, 144 p., 14 euros.
Allezon part, on mets les voiles Allez on part, on met les voiles On va s'offrir une autre étoile On quitte la terre aujourd'hui Pour visiter la galaxie. Refrain 1, 2, tout est paré 3, 4,
Posts Archive Viens, on met les voiles, on part camper sur les Ă©toiles. Patti bukowski More you might like “Savais-tu qu'un cactus avait une fleur ? Au milieu des pics se cache un cƓur.”― Oxmo Puccino Mais il ne pleurait pas. Chose bizarre, il Ă©tait trop dĂ©primĂ©, trop blessĂ©, pour pleurer. Comme si Katherine avait emportĂ© ce qui pleurait en Green “J'ai longtemps pensĂ© que nous vivions dans un asile Ă  ciel ouvert, avec du recul j'ai dĂ©couvert qu'on est tous de la mĂȘme planĂšte, mais pas du mĂȘme monde, votre dimension n'est pas nette, la mienne est profonde, en plongĂ©e constante, vu qu'Ă  la surface l'apparence trompe.”― Oxmo Puccino i can’t unfeel your paini can’t undo what’s donei can’t send back the rainbut if i could,i Script You can go the distance You can go the mileYou can walk straight through hell with a script What am I supposed to do when the best part of me was always you?And what am I supposed to say when I’m all choked up and you’re ok?-The Script “J'ai longtemps pensĂ© que nous vivions dans un asile Ă  ciel ouvert, avec du recul j'ai dĂ©couvert qu'on est tous de la mĂȘme planĂšte, mais pas du mĂȘme monde, votre dimension n'est pas nette, la mienne est profonde, en plongĂ©e constante, vu qu'Ă  la surface l'apparence trompe.”― Oxmo Puccino 7angelx My energy isn’t for everyone. And that’s intentional. Tu les traites comme s’ils avaient un coeur comme le tiens mais, tout le monde ne peut pas avoir ta douceur et ta tendresse. Tu ne vois pas la personne qu’ils sont, tu vois la personne qu’ils ont le potentiel d’ĂȘtre. Tu donnes et tu donnes jusqu’à ce qu’ils extirpent tout de toi et te laissent Kaur citation Peut-ĂȘtre que je ne mĂ©rite pas de belles choses parce que je paie pour des pĂ©chĂ©s dont je ne me souviens Kaur citation
Parolesde la chanson On Met Les Voiles par Alonzo Kore, Alonz', yeah Mamé Au quartier c'est la merde, oui viens on s'fait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici
12 janvier 2007 5 12 /01 /janvier /2007 1805 Commentaire des chansons La plupart des chansons marquĂ©es en gras sont visibles dans cette rubrique et sont accompagnĂ©es des partitions que vous pouvez tĂ©lĂ©charger gratuitement. 1. En Lorraine, il y a de vastes vergers. Les arbres de ces vergers regorgent de fruits dorĂ©s comme des soleils. La prune reine de Lorraine c’est la mirabelle ».2. Les mariniers, les Ă©clusiers ! Cela me rappelle mes trĂšs jeunes annĂ©es, lorsque je travaillais aux Ă©cluses dans la vallĂ©e de Cayenne » entre Messein et RichardmĂ©nil. C’était pendant les vacances scolaires, je remplaçais les Ă©clusiers en congĂ©s. Le reste de l’annĂ©e, j’apprenais le mĂ©tier de marinier dans un LycĂ©e professionnel. Mes premiers pas dans le mĂ©tier, m’ont menĂ©s non pas sur un plat-bord, mais sur le bajoyer d’une Ă©cluse. J’étais novice Ă  l’écluse ».3. A bien observer les capitaines, leurs gestes au quotidien ne sont pas trĂšs variĂ©s. PlutĂŽt rĂ©pĂ©titifs, limitĂ©s et restreins. En effet, tenant d’une main le macaron », et de l’autre le litron, car en pĂ©niche, on ne risque pas de faire des excĂšs de vitesse, de griller un stop 
chanson des capitaines.4. Puis je me suis embarquĂ©. Et lĂ , j’ai connu la vie Ă  bord et le travail du matelot. Je devrais dire l’art du matelotage. Car le matelot doit savoir tout faire Ă  bord et ce, de l’étrave Ă  l’étambot ».chanson du matelot.5. J’ai dĂ©couvert les charmes de la vie Ă  bord, des chemins de l’eau, et des paysages des abords des riviĂšres, mais aussi la duretĂ© de ce mĂ©tier et les conditions de travail des garçons des riviĂšres ».6. Les gens d’à terre » nous voyant passer, s’imaginent que notre vie se rĂ©sume Ă  se laisser glisser en douce sans rien faire sur canaux et riviĂšres. Mais dans nos pĂ©niches », Mesdames, Messieurs
7. Une chanson des mariniers de Loire dit y a pas de gens plus drĂŽles que sont les mariniers »  Les bateaux attirent les belles dames. Reste Ă  les faire monter Ă  bord, pour cela, il vaut mieux s’y prendre gaiement que timidement, comme dans la chanson Gaiement marinier ».8. Il s’en passe des choses sur les riviĂšres et leurs abords ! Sur les chemins de halage, les promeneuses Ă©chappaient rarement Ă  la vigilance et l’intĂ©rĂȘt des mariniers qui les voyait dĂ©jĂ  Ă  leur bord, au fil de l’eau ».9. Pour le plaisir des sens, il y a la bonne cuisine et la bonne cuisiniĂšre. En mer, on fait la moule mariniĂšre, en riviĂšre, on fait l’amour mariniĂšre ».10. Les annĂ©es ont passĂ©es, la batellerie a changĂ©e, s’est transformĂ©e, s’est adaptĂ©e et ce qui Ă©tait, n’est plus. Voici de mĂ©moire de mariniers Le temps de la batellerie ».11. Alors j’ai dĂ©barquĂ© pour faire musicien. "Scottish" 12 “ Sur le canal de l’Est ” c’est plus comme Le long de la riviĂšre », j’ai rencontré 14. Sur les bord de l’üle, sur les bords de l’eau J’ai un bateau ».15. AprĂšs une escale de plusieurs annĂ©es, je suis retournĂ© Ă  bord. Cela a commencĂ© avec une chanson intitulĂ©e HĂ© ho ! du bateau ! »16. C’est bien d’avoir un bateau. Encore faut il qu’il soit en Ă©tat, et non sujet aux avaries » . Pour parer Ă  ce flĂ©au, il faut possĂ©der un bon batardeau ou, avoir de la couenne de Beaucoup de familles mariniĂšres ont dĂ©barquĂ©es, pour d’autres, les hommes sont restĂ©s Ă  bord laissant femmes et enfants Ă  terre. A leur retour, ils avaient toujours Grand soif ».18. Puis vint le moment du dĂ©part. Je passerai la riviĂšre ».19. Sur un bateau on ne fait pas semblant, il ne faut pas avoir les pieds dans le mĂȘme sabots ou entretenir son poil dans la main car Quand on est marinier » on l’est pas pour de faux !20. Le refrain de la chanson suivante commence par Sur le quai du port Ste-Catherine », alors que les scĂšnes Ă©voquĂ©es se dĂ©roulent sur le quai voisin le quai St-Georges . L’exigence de l’écriture en a dĂ©cidĂ©e autrement afin de faciliter la rime. Oyez donc !21. En vous promenant sur le quai St-Georges, vous pourrez peut-ĂȘtre y rencontrer un personnage qui vous dira Bonjour, moi c’est Gillou ! Alors ! Vous le trouvez comment mon bateau ? ou bien il est pas beau mon bateau ?!? » C’est sĂ»r qu’il est beau car le gars a bien travaillĂ© pour l’amĂ©nager et le restaurer. Il peut donc en ĂȘtre fier et chanter Mon bateau c’est "l’Alicante" pour moi c’est la plus charmante »  Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 28 dĂ©cembre 2006 4 28 /12 /dĂ©cembre /2006 1645 Oh hisse ! Cap’tain’ Monfils. Oh hisse ! Cap’tain’ Monfils. Oh hisse ! Cap’tain’ Monfils Bienv’nu Ă  bord, Cap’ain’ Victor. bis Oh hisse ! Cap’tain’ MonfilsQuittons le port, Cap’ain’ Victor. bis Oh hisse ! Cap’tain’ MonfilsHors du corps mort...Vir’ Ă  tribord
Met l’cap au Nord
Souquez plus fort
Dedans, dehors
Point de remords
Cachons l’ trĂ©sor
On roule sur l’or
On est d’accord
L’or nous dĂ©vore
Cent mille sabords
Le vent nous mord
Coquin de sort
Quand est-ce qu’on dort ?
Chantons encore
On vous adore, Cap’ain’ Victor. Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ© Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 22 dĂ©cembre 2006 5 22 /12 /dĂ©cembre /2006 1559 La femme du capitaine La femme du capitaine Le seul maĂźtre Ă  bord, c’est le capitaine ! sauf quand sa femme est lĂ . Adaptation d'une chanson du rĂ©pertoire traditionnel . Quand ma femm’ lav’ le bateau, mon mat’lot lui tient le seau. Et moi l’Cap’taine, le maĂźtre Ă  bord, je tiens la barre coquin de sort. Quand ma femm’ va-t-amarrer, mon mat’lot est Ă  cĂŽtĂ©. Et moi l’Cap’taine, le maĂźtre Ă  bord, j’occupe les gosses coquin de sort. Quand ma femm’ sonne le dĂźner, mon mat’lot est attablĂ©. Et moi l’Cap’taine, le maĂźtre Ă  bord, j’met les assiettes coquin de sort. Quand ma femm’ se sert du vin, mon mat’lot en est d’jĂ  plein. Et moi l’Cap’taine, le maĂźtre Ă  bord, j’suis Ă  la flotte coquin de sort. Quand ma femm’ mange ses p’tits pois, mon mat’lot en prend deux fois. Et moi l’Cap’taine, le maĂźtre Ă  bord, j’lĂšche la casserole coquin de sort. Quand ma femm’ prend son dessert, mon mat’lot lui s’en ressert. Et moi l’Cap’taine, le maĂźtre Ă  bord, j’fais la vaisselle coquin de sort. Quand ma femm’ a d’la paresse, mon mat’lot la pousse aux fesses. Et moi l’Cap’taine, le maĂźtre Ă  bord, j’astique les cuivres coquin de sort. Quand ma femm’ va prendr’ son bain, mon mat’lot aussi prend l’sien. Et moi l’Cap’taine, le maĂźtre Ă  bord,j’suis dans les chiottes coquin de sort. Quand ma femm’ se met au lit, mon mat’lot s’y met aussi. Et moi l’Cap’taine, le maĂźtre Ă  bord, j’tiens la chandelle coquin de sort. Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ© Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 26 octobre 2006 4 26 /10 /octobre /2006 1346 Dans la barque Ă  Dujonc Dans la barque Ă  Dujonc. BourrĂ©e 3 temps Paroles et musique Rohan Dans la barqu’à Dujonc, l’on y rame, l’on y la barqu’à Dujonc l’on y rame z’à reculons. bisL’on y rame, l’on y rame, dans an la-a barqu’à Dujonc. L’on y rame, l’on y rame, l’on y ra-a-me z’ Ă  reculons. Dans la barqu’à Dujonc, il y a cannes, z’il y a la barqu’à Dujonc, il y a cann’ z’et Hameçons. bisIl y a cannes, z’il y a cannes, dans an la-a barqu’à Dujonc. Il y a cannes, z’il y a cannes, il y a cann’ z’ et Hameçons. Dans la barqu’à Dujonc, l’on appĂąte, l’on la barqu’à Dujonc, l’on appĂąte le gardon. bisL’on appĂąte, l’on appĂąte, dans an la-a barqu’à appĂąte, l’on appĂąte, l’on appĂą-Ăąte le gardon. Dans la barqu’à Dujonc, l’on y ferre, l’on y la barqu’à Dujonc, l’on y ferre le goujon. bisL’on y ferre, l’on y ferre, dans an la-a barqu’à y ferre, l’on y ferre, l’on y fe-erre le goujon. Dans la barqu’à Dujonc, l’on Ă©caille, l’on la barqu’à Dujonc, l’on Ă©ca-aille le poisson. bisL’on Ă©caille, l’on Ă©caille, dans an la-a barqu’à Ă©caille, l’on Ă©caille, l’on Ă©ca-aille le poisson. Dans la barqu’à Dujonc, l’on y chante, l’on y la barqu’à Dujonc, l’on y chante z’ Ă  pleins poumons. bisL’on y chante, l’on y chante, dans an la-a barqu’à Dujonc. L’on y chante, l’on y chante, l’on y chant’ z’ Ă  pleins poumons. Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ© Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 25 octobre 2006 3 25 /10 /octobre /2006 1619 Le temps de la batellerie Le temps de la batellerie partoche Il est rĂ©volu le temps oĂč les hommes tiraient les chalandsle sang aux pieds, le dos courbĂ©, meurtris Ă  force de tirer. Sur les chemin de halage, habillĂ©s de leur attelagesont arrivĂ©s les chevaux, pour faire avancer les bateaux. La voile ou la godille sont encore sur les embarcationsavant la mĂ©canisation des moyens de propulsions. La vapeur a eu ses heures de gloire, de liesse et de malheursce fut une rĂ©volution, vive l'industrialisation. Et puis c'est au tour du diesel de donner aux bateaux des ailes,des hĂ©lices surpuissantes, robustes et endurantes. La voile ou la godille ont disparuent des embarcations,avec la mĂ©canisation des moyens de propulsions. Enfin arrive le GPL, au temps venu du logiciel,la navigation c'est fini, les chargements roulent en semi. L'Ă©clusier est congĂ©diĂ©, l'Ă©cluse est automatisĂ©e,le fret est sur la voie fĂ©rrĂ©e, le marinier va chĂŽmer. La clartĂ© des eaux d'antan fait place aux rejets polluantsqui gangrĂšnent les canaux les fleuves les riviĂšres les ruisseaux. Ainsi fini la profession des gens de la navigation,on dit " c'est ça l'Ă©volution " et vive la modernisation. Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ© Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 12 octobre 2006 4 12 /10 /octobre /2006 1451 Le passeur du printemps Le passeur du printemps La Marge / Margot, soyez la bienvenue, je n’avais personne Ă  passerLa brise enfin est revenue nous pouvons dĂ©s lors traverser. Appuyez-vous sur moi ma blonde, nous en avons pour un instant,Ne craignez point le flux de l’onde tout ira bien l’amour aidant. Refrain Venez Margot dans ma nacelle, ma voile s’enfle au grĂ© des vents,au grĂ© des vents. Allons tous deux ma toute belle, l’amour attend, l’amour attend,l’amour appelle. Je suis le passeur du printemps, du printemps. J’ai cassĂ© ma rame mignonne, pour vous passer plus mollement,Sur l’eau ma barque s’abandonne, le vent souffle plus fortement. Ciel, dit Margot, quelle imprudence, qu’avez-vous fait passeur ?J’ai peur ! Il me faut une rĂ©compense pour accoster dit le passeur. Refrain 
 Le canot en pleine dĂ©rive, s’en allait au grĂ© du entendait sur l’autre rive, comme un faible Ă©cho babillard. De doux baisers de lĂšvres franches, le bruit charmant se rĂ©pĂ©tait,Puis cachĂ©s tous deux sous les branches, dans un soupir le passeur disait 
 Refrain 
 Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 12 octobre 2006 4 12 /10 /octobre /2006 1215 La chanson qui dĂ©range La chanson qui dĂ©range Paroles et musique Rohan Histoire vrai ! Cette scĂšne s'est passĂ©e lors d'une fĂȘte nautique. Les hautes instances de VNF prĂ©sentes, Ă©taient invitĂ©es Ă  se pavoiser sur une petite vedette de plaisance. J'Ă©tais Ă  bord pour agrĂ©menter le voyage de chansons bateliĂšres. Tout allait bien jusqu'au moment oĂč j'ai chantĂ© un de mes titres "Le temps de la batellerie" dans lequel je dĂ©cris l'Ă©volution de la batellerie depuis le halage Ă  la bricole, jusqu'au dĂ©clin du transport sur les petits gabarits. La rĂ©flexion ne s'est pas faite attendre... " Vous ne devriez pas chanter cela "... "Contrairement Ă  ce que vous pensez alors que je ne fais que restitiuer des tĂ©moignages d'authentiques mariniers qui savent de quoi ils causent... le mĂ©tier se porte bien" alors que ma chanson n'Ă©voque pas le grand gabarit "D'ailleurs on embauche sur le RhĂŽne" j'vois pas l'rapport ! J'ai eu droit Ă  la leçon de morale, au recadrage, Ă  la dĂ©magogie,au discours prĂ©sidentiel de vitrine dont je me fous royalement etc... Quand il a fallu accoster pour ramener la vedette Ă  son lieu d'amarrage, ce fut une toute autre histoire. Le monsieur en question aprĂšs 3 essais ratĂ©s, nous a quand mĂȘme prĂ©cisĂ© que son permis ne datait pas d'hier... Il a fallu que ce soit un touriste sur le chemin, qui rĂ©ceptionne l'amarre pour haler le bateau jusqu'Ă  la berge. MoralitĂ© Ă  la fin de la chanson C’est Ă  bord d’une vedette de plaisancequ’embarqua ce monsieur de la capitaine cĂ©da sa place au macaron,et m’invita Ă  entonner une chanson. Monsieur le prĂ©sident des voies de France oĂč l’on naviguen’a pas apprĂ©ciĂ© ma chanson. Si j’avais quelque chose Ă  dire, je ne m’adresserais pas Ă  ceux qu’oncroit compĂ©tent, mais c’est bien pire de le chanter Ă  ceux qu’on de prĂ©sident, que le nom. Car contrairement Ă  ce que vous pensez » me dit-il, le transport par la voie d’eau n’est pas en baisse
On embauche sur le RhĂŽne » !!! le mĂ©tier se porte bien » ! Ma chanson, tout ce qu’elle dit, ça n’est pas moi qui le pense,la fin du petit gabarit et le chĂŽmage, je sais, ça chanson, emprunte des phrases que mon transmis les prĂ©sent, un hĂ©ritage, qu’ils m’ont chargĂ© de restituer. Mais Monsieur le prĂ©sident des voies de France oĂč l’on naviguen’a pas apprĂ©ciĂ© ma chanson. Si j’avais quelque chose Ă  dire... Ma chanson, c’est un tĂ©moignage de la vie des gens des voyages,de ceux qui ont sillonnĂ© les eaux, les fleuves, les riviĂšres, les chanson, elle parle du temps oĂč les hommes tiraient les chalands,de l’industrialisation et de son Ă©volution. Monsieur le prĂ©sident des voies de France oĂč l’on naviguen’a pas apprĂ©ciĂ© ma chanson. Si j’avais quelque chose Ă  dire... Ma chanson, c’est le miroir de tous les gens de ce terroir,de tous ceux qui ont naviguĂ© depuis qu’ils sont chanson Ă©veil les enfants Ă  c’qu’on n’leur apprend pas Ă  l’école,sur la vie des gens des chalands, le savoir-faire, le halage Ă  la bricole. Monsieur le prĂ©sident des voies de France oĂč l’on naviguen’a pas apprĂ©ciĂ© ma chanson. Si j’avais quelque chose Ă  dire... Ma chanson, c’est aussi un hommage au peuple des rives et des eaux,et se garde bien d’ fair’ du tapage avec c’ui qui sort d’un chanson elle vous dit m... ĂȘme, que si vous dĂ©sirez plus d’informations,adressez-vous Ă  ceux lĂ  mĂȘme qui connaissent la chanson. Monsieur le prĂ©sident des voies de France oĂč l’on naviguen’a pas apprĂ©ciĂ© ma chanson. Et quand on est prĂ©sident des voies de France oĂč l’on navigue,pour Ă©viter les commĂ©rages, on rĂ©ussi au moins son accostage. J'ajoute que, mĂȘme le grand gabarit est en difficultĂ© car fin 2005, je naviguais sur la Seine et j'entendais Ă  la phonie les mariniers qui se plaignaient du manque de diversitĂ© dans les chargements, la dĂ©localisation des entreprises riveraines, du coĂ»t des amĂ©nagements qu'ils doivent effectuer sur leur bateau pour s'adapter aux chargements etc... A ce propos voir l'article " Coup de gueule " dans le menu Ă  la rubrique les potins d'Ă  bord Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ© Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 12 octobre 2006 4 12 /10 /octobre /2006 1151 Le parlĂ© des Chie_en_l'eau Le parlĂ© des chie-en-l’eau. Paroles Rohan Le parlĂ© des mariniers est si particulier qu’il peux prĂȘter Ă  rireLeur vocabulaire n’est pas trĂšs universitaire pour ce qu’ils ont Ă  direPas besoin d’érudition sur le plan donc ces expressions empruntĂ©es Ă  leur jargon. Mets ton nez derriĂšre ma fesse, Ă©tale ton ceint sur ma biteSurtout pas de maladresses marinier, quand tu t’agites ». Mets ton nez derriĂšre ma fesse, Ă©tale ton ceint sur ma biteQuel plaisir quand ton avant, tout Ă  mon arriĂšre s’invite ». Il y a longtemps les mariniers naviguaient des boĂźtes Ă  fumier »Pour loger Ăąnes et chevaux tout au milieu de leur espĂ©rer la fortune il faut bouffer de la lune » Faire brĂ»ler son matelas » car Ă  la veille » restera. Les haleurs dans le Berry, sont des ramasseurs de persil »Et bien qu’ils ne soient pas en deuil, sur l’eau promĂšne leur cercueil ».Pour dĂ©fricher le chemin, le haleur tenait dans sa mainCet engin appelĂ© braquemard », aussi connu sous le nom de goyard ». Si l’on pisse Ă  la peau du bord », c’est pour Ă©pargner les les gars des canaux sont surnommĂ©s les chie-en-l’eau ».A Dunkerque, les bateliers ne quittant jamais leur contrĂ©e, Par ce terme un peu familier, se sont fait appelĂ©s les becs-salĂ©s ». Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ© Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 11 octobre 2006 3 11 /10 /octobre /2006 1222 Fanchon d'Arzon Fanchon d’Arzon partoche Paroles & musique ROHAN Les mat’ lots de ce bĂątimentQue dire que dire Ă  dix brasses de l’üle bisSont des matelots mĂ©ritants, Ă  dix brasses de l’üle, fais gaffe au jusantSont des matelots mĂ©ritants Ă  dix brasses de l’üle Pendant des mois sur l’ocĂ©an
 Se sont brisĂ©s au cabestan
Les mat’ lots de ce bĂątiment
 Ont bien mĂ©ritĂ©s du bon temps
 Cap sur le golf’ du Morbihan
Nous nous mĂ©fierons des courants
Mouillerons Ă  Port Navalo
 Boir’ un coup dans un caboulot
 Peut-ĂȘtre y verrons nous Fanchon
Fanchon, dam, quel joli nom
C’est la plus jolie fille d’Arzon
 Qui fait chavirer la raison
 Par une soirĂ©e de printemps
 Quand nous Ă©tions adolescents
 M’a -z- allongĂ© de sur un banc
 Le soleil Ă©tait au couchant
 Elle fit glisser son corsage
 Moi qui Ă©tait garçon trĂšs sage
M’a dĂ©voilĂ©e deux beaux seins blancs
Et le reste tout en suivant N’y avait point de plus doux prĂ©sage
Pour y perdre mon pucelageEt tout ce que m’a fait Fanchon
ça n’est pas dit dans la chanson ParlĂ© Et tout ce que m’a fait Fanchon ?!!? Vous aimeriez le savoir ! ??!Tiens comme c’est bizarre !!! ChantĂ© J’ crois bien qu’ j’ai perdu la mĂ©moireĂ  10 brasses de l’üle, fais gaffe au jusantJ’ crois bien qu’ j’ai perdu la mĂ©moireĂ  10 brasses de l’üle. Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ©. Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 11 octobre 2006 3 11 /10 /octobre /2006 1204 La chanson du crevettier La chanson du crevettier partoche Paroles et musique ROHAN De bon matin au levĂ© eh ! la crevette djĂ© djĂ© bisJ’la pĂȘcha abondamment la crevette la crevetteJ’la pĂȘcha abondamment la crevette gaiement bis J’y descendis les casiers eh ! la crevette djĂ© djĂ© bisPour y enfermer dedans la crevette la crevettePour y enfermer dedans la crevette gaiement bis Pis je revins relevĂ© eh ! la crevette djĂ© djĂ© biset embarquer promptement la crevette la crevette et embarquer promptement la crevette gaiement bis AprĂšs m’y fallut trier eh ! la crevette djĂ© djĂ© biset la rangĂ©e joliment la crevette la crevetteet la rangĂ©e joliment la crevette gaiement bis Je la vendis au marchĂ© eh ! la crevette djĂ© djĂ© bisc’est ma femm’ qu’a eu l’argent la crevette la crevettec’est ma femm’ qu’a eu l’argent la crevette gaiement bis Ell’en a eu tout son souhait eh !...M’y fit ben passer mon temps Elle me dit mon gabier eh !... tes bourses sont ben gonflĂ©es Ma tirelir’est vidĂ©e eh !.. .qu’y metteras tu dedans ? J’y metterai tout ton souhait eh !...j’t’y gĂąterai longuement Empli moi de ta gaĂźtĂ© eh !... donne moi contentement Viens mon amant au plus prĂ©s eh !...rĂ©jouis-moi goulĂ»ment Quand j’y approcha le nez eh !...ça m’ rappelait vaguement Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ© Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches
computationnelsdans la chanson Analyse de la musique VI – Les formes de la musique populaire (partie IV) Moreno Andreatta Equipe ReprĂ©sentations Musicales IRCAM / CNRS UMR 9912 / Sorbonne UniversitĂ© IRMA & GREAM, UniversitĂ© de Strasbourg. Focus sur le changement d’axes dans la gĂ©nĂ©ration des Tonnetze 3 4 7 5. Focus sur le changement La belle LĂ©opoldine Hugo, le jour de sa communion. Un visage juvĂ©nile, un port altier... La fille de Victor Hugo espĂ©rait, elle aussi, vivre de ses Ă©crits. Peinture de Auguste de ChĂątillon en 1836. Victor Hugo est un auteur prolifique, qui a explorĂ© quasiment tous les genres le roman, le théùtre et la poĂ©sie. Chef de file du mouvement romantique, il revendique une complĂšte libertĂ© dans l'art et s'insurge face aux rĂšgles classiques qui Ă©touffent le processus crĂ©atif. Son gĂ©nie est d'avoir rĂ©ussi Ă  ĂȘtre le tĂ©moin d'une Ă©poque et la voix d'une nation Ă  travers des oeuvres littĂ©raires aujourd'hui mondialement reconnues. Du cĂŽtĂ© de la poĂ©sie, Hugo est trĂšs attachĂ© au lyrisme. Il use d'une grande sensibilitĂ© romantique Ă  la nature, au temps et voit le poĂšte comme un ĂȘtre capable de dĂ©chiffrer les choses cachĂ©es du monde. Demain, dĂšs l'aube...» est l'un des plus cĂ©lĂšbres poĂšmes de Victor Hugo. Il est publiĂ© en 1856 dans le cĂ©lĂšbre recueil poĂ©tique Les Contemplations » et n'a, originellement, pas de titre. PoĂšme XIV de Pauca meae » Quelques vers pour ma fille, il figure dans le quatriĂšme livre des Contemplations. L'origine de ce poĂšme L'origine de ce poĂšme est malheureusement assez tragique. Victor Hugo s'inspire, ici, d'une histoire vraie et personnelle pour crĂ©er ces quelques vers. Le 4 septembre 1843, Charles Vacquerie, le mari de LĂ©opoldine Hugo la fille de Victor Hugo doit se rendre Ă  Caudebec pour un rendez-vous important. Il s'y rend avec son oncle et son cousin Pierre et Arthur Vacquerie en canot de course. Si LĂ©opoldine dĂ©clina la premiĂšre invitation, elle finit par s'y rendre avec eux. Malheureusement, sur la route de retour, les 4 membres de la famille furent surpris par un tourbillon de vent qui fĂźt complĂštement chavirer le bateau. LĂ©opoldine, son mari, l'oncle et le cousin Vacquerie sont morts dans ce tragique accident. Cette Ă©preuve fut terrible pour Victor Hugo qui Ă©tait profondĂ©ment attachĂ© Ă  sa jeune fille. Cette douleur, il la sublime dans le prĂ©sent poĂšme. Dates Actions 28 aoĂ»t 1824Naissance de LĂ©opoldine Hugo. Elle est la fille aĂźnĂ©e de Victor Hugo et d'AdĂšle Foucher. 15 fĂ©vrier 1843 TrĂšs courtisĂ©e pour sa beautĂ© et son intelligence, LĂ©opoldine finit par Ă©pouser Charles Vacquerie. Mais ce mariage n'aura pas eu le temps de perdurer... 4 septembre 1843Les deux amants, accompagnĂ©s de deux membres de la famille de Charles, finissent noyĂ©s aprĂšs un accident en canot. L'Ă©preuve du deuil est terrible Ă  supporter pour Victor Hugo et AdĂšle Foucher... Les meilleurs professeurs de Français disponibles4,9 70 avis 1er cours offert !5 85 avis 1er cours offert !4,9 117 avis 1er cours offert !5 39 avis 1er cours offert !4,9 56 avis 1er cours offert !5 38 avis 1er cours offert !5 38 avis 1er cours offert !4,9 17 avis 1er cours offert !4,9 70 avis 1er cours offert !5 85 avis 1er cours offert !4,9 117 avis 1er cours offert !5 39 avis 1er cours offert !4,9 56 avis 1er cours offert !5 38 avis 1er cours offert !5 38 avis 1er cours offert !4,9 17 avis 1er cours offert !C'est partiLa structure du poĂšme Demain, dĂšs l'aube, Ă  l'heure oĂč blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forĂȘt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixĂ©s sur mes pensĂ©es, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbĂ©, les mains croisĂ©es, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyĂšre en fleur. La forme Demain, dĂšs l'aube » est un poĂšme composĂ© de trois strophes de quatre vers chacune. Ces vers sont composĂ©s de 12 pieds, ce sont donc des alexandrins ternaires trimĂštres romantiques et binaires en rimes croisĂ©es ABAB. Cet effet stylistique crĂ©e un rythme Ă  la lecture le lecteur doit respecter la ponctuation, avec des cĂ©sures qui divisent le vers en deux hĂ©mistiches. La tonalitĂ© À la lecture de ce poĂšme, vous ressentirez trĂšs certainement une profonde tristesse. Le champ lexical de la solitude et de la douleur est omniprĂ©sent, on y voit Hugo seul face au monde et Ă  sa peine. L'atmosphĂšre gĂ©nĂ©rale est aussi celle de l'obscuritĂ© forĂȘt », campagne », nuit », soir »... L'ambiance est morose, mĂȘme l'espace semble ĂȘtre empli de chagrin. Les procĂ©dĂ©s stylistiques vus en cours de francais mettent en lumiĂšre cette tristesse incontrĂŽlable. Les rimes croisĂ©es jouent sur le sens des mots le verbe "tomber" du vers 9 renvoie Ă  la "tombe" du vers 11... La chute renvoie Ă  la mort. L'analyse du poĂšme Passons dĂ©sormais Ă  l'analyse du poĂšme. On distingue trois strophes diffĂ©rentes, chacune agissant comme un nouveau tournant dans le rĂ©cit. En quoi ce poĂšme sublime-t-il les retrouvailles entre Hugo et sa fille LĂ©opoldine ? I. Un long voyage vers oĂč ? L'indication temporelle Le premier vers fait rĂ©fĂ©rence au dĂ©part imminent du narrateur. Ce dĂ©part, il l'annonce en trois temps diffĂ©rents Demain » 2 syllabes dĂšs l'aube » 2 syllabes Ă  l'heure oĂč blanchit la campagne » 8 syllabes Par lĂ , le narrateur introduit son intention de partir et l'annonce avec l'heure et le moment exact oĂč il le fera. Ce voyage ne se terminera qu'au vers 9, lorsque la journĂ©e se termine l'or du soir qui tombe ». Ainsi, ce voyage dure une journĂ©e entiĂšre et se dĂ©roule sans aucune interruption. L'indication spatiale La nature prend une place importante au sein du poĂšme. Hugo attache une certaine importance Ă  rĂ©vĂ©ler le paysage, sans pour autant s'attarder sur les dĂ©tails de celui-ci. Cela donne lieu Ă  une Ă©numĂ©ration assez sommaire des lieux qu'il dĂ©passe la campagne », la forĂȘt », la montagne ». Dans les deux premiĂšres strophes, le paysage semble donc assez sauvage, bien que les Ă©lĂ©ments que nous ayons Ă  disposition restent vagues. À partir de la strophe 3, un changement de paysage s'opĂšre Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur ». En citant une commune normande, Hugo ancre le poĂšme dans le rĂ©el. Fini la campagne et la forĂȘt, nous sommes dĂ©sormais face Ă  l'eau. Ce chemin aux mille paysages agit Ă©galement comme un symbole celui de l'homme prĂȘt Ă  affronter vents et marĂ©es pour retrouver celle qu'il aime... Et qu'il a tragiquement perdue. La petite commune normande de Harfleur, lieu citĂ© par Hugo dans son cĂ©lĂšbre poĂšme Demain, dĂšs l'aube... ». La dĂ©termination du voyageur Le voyageur indique son intention de se mettre en mouvement grĂące Ă  plusieurs verbes d'action conjuguĂ©s au futur simple Je partirai » J'irai » Je marcherai » J'arriverai » L'itinĂ©raire est clairement Ă©noncĂ© et chaque verbe marque l'Ă©volution de celui-ci, du dĂ©part jusqu'Ă  l'arrivĂ©e. À chaque strophe se trouve ces verbes qui marquent une nouvelle Ă©tape on retrouve je partirai » et j'irai » dans la premiĂšre strophe, qui indiquent l'intention du mouvement ; je marcherai » qui souligne la mise en mouvement ; et enfin j'arriverai » qui traduit la fin de l'action et le but rĂ©alisĂ©. Cette rĂ©pĂ©tition de verbe a pour effet de souligner la dĂ©termination sans faille du voyageur, qui a dĂ©jĂ  intellectualisĂ© les diffĂ©rentes Ă©tapes et qui sait pertinemment oĂč il va. II. L'expression des sentiments alliance des registres lyriques et pathĂ©tiques Demain, dĂšs l'aube... » est un poĂšme rĂ©digĂ© Ă  la premiĂšre personne, premiĂšre personne qui s'oppose continuellement au pronom personnel tu ». Dans le cas prĂ©sent, Victor Hugo investit le Je » et LĂ©opoldine est le Tu ». Pour le poĂšte, il est question de s'adresser directement Ă  sa fille dĂ©funte le poĂšme devient un prĂ©texte pour lui parler, pour se livrer Ă  elle. Ce dessein est Ă  proprement parler lyrique, l'auteur cherche Ă  exprimer ses sentiments Ă  travers le texte. Mais quels sont les sentiments que nous retrouvons le plus tout au long du poĂšme ? La solitude Ce voyage est celui d'un pĂšlerin, seul face au chemin qu'il dĂ©cide d'emprunter. Cette solitude se traduit Ă  plusieurs moments dans le texte et est un thĂšme romantique celui du moi profond confrontĂ© Ă  ses sentiments et, notamment, Ă  sa mĂ©lancolie. LĂ©opoldine et son mari, Charles Vacquerie, dessinĂ©s par la mĂšre de LĂ©opoldine, AdĂšle Foucher, en 1843. Les deux amants resteront, Ă  jamais, insĂ©parables... Ici, le champ lexical de l'absence est omniprĂ©sent loin de toi » sans rien » aucun » seul » Cela traduit la solitude totale du poĂšte et le vide qu'il ressent au fond de lui suite Ă  la disparition de sa fille. MĂȘme l'univers semble avoir disparu Hugo est livrĂ© Ă  lui-mĂȘme dans ce drame. Mais cette solitude a un effet bien plus tragique puisqu'elle mĂšne Ă  la dĂ©personnalisation du narrateur inconnu » De plus, le poĂšte est complĂštement indiffĂ©rent au monde extĂ©rieur, il est seul dans sa bulle Je marcherai les yeux fixĂ©s sur mes pensĂ©es Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit ... Triste, et le jour sera pour moi comme la nuit Il ne fait plus la diffĂ©rence entre les paysages, ne se soucie plus du temps ni de l'espace. Sa solitude est totale. La tristesse Cette solitude s'accompagne d'une tristesse voire d'une rĂ©elle souffrance du narrateur. Face Ă  cela, le lecteur ne peut qu'Ă©prouver de la compassion pour Hugo c'est toute la force du registre pathĂ©tique. La douleur est ici physique et morale, elle est omniprĂ©sente, omnipotente, elle englobe littĂ©ralement le poĂšte Seul, inconnu, le dos courbĂ©, les mains croisĂ©es / Triste Le rejet du mot Triste » au vers suivant a pour effet d'accentuer la douleur ressentie. Par ailleurs, cette tristesse se lit Ă©galement dans le procĂ©dĂ© stylistique employĂ© celui de l'accumulation. La juxtaposition des mots, sĂ©parĂ©s par une virgule, renforce le poids de la douleur. III. La mort n'est pas une fin mais un renouveau Entre prĂ©sence et absence le dialogue avec la mort prend vie La mort de sa fille LĂ©opoldine, ĂągĂ©e seulement de 19 ans, a bouleversĂ© la vie d'Hugo. Cet Ă©vĂšnement a eu pour consĂ©quence de faire rĂ©flĂ©chir l'auteur au sujet de la mort, au sujet de l'aprĂšs. Comment continuer un dialogue avec un ĂȘtre dĂ©funt ? Comment parvenir Ă  trouver une prĂ©sence dans l'absence ? Dans ce poĂšme, Victor Hugo joue avec les pronoms je » et tu » afin de rendre son interlocutrice vivante et prĂ©sente, d'oĂč la confusion parfois sur l'intention de ce poĂšme. À la premiĂšre lecture, on pourrait penser que le narrateur parle d'une femme aimĂ©e et se prĂ©pare pour une rencontre amoureuse. En rĂ©alitĂ©, ce poĂšme est entiĂšrement destinĂ© Ă  sa fille, qu'il cherche Ă  retrouver. Pour rendre Ă  LĂ©opoldine toute sa prĂ©sence, Hugo utilise le prĂ©sent d'actualitĂ© LĂ©opoldine est bien rĂ©elle, il pourrait presque la toucher. Serait-ce de sa part un dĂ©ni ? L'une des Ă©tapes du deuil ? Possible... De plus, la jeune fille brille par sa prĂ©sence en ce que tout ce qui a autour du narrateur est inconsistant. Les paysages et le temps n'ont strictement aucune importance, aucune valeur seul compte ce tu » Ă  qui un je » omniprĂ©sent s'adresse sans relĂąche. Quand bien mĂȘme le narrateur ne s'adresse pas directement Ă  la jeune fille, il ne pense qu'Ă  elle. La nĂ©gation, trĂšs prĂ©sente dans ce texte, marque cet aspect il n'y a qu'elle, en rĂ©alitĂ© et dans ses pensĂ©es. Ainsi, se rĂ©vĂšle Ă  nous une contradiction dĂ©routante les paysages sensibles sont niĂ©s alors que bien prĂ©sents et l'insensible est rĂ©vĂ©lĂ© alors que fonciĂšrement absent. C'est toute la force des mots pouvoir faire revivre les morts. Immortelle LĂ©opoldine ? Le dernier vers constitue une analyse Ă  lui seul. Victor Hugo utilise deux images trĂšs symbolique le houx et la bruyĂšre. Le houx vert ne perd jamais sa couleur, il reste intacte toute l'annĂ©e. Il est reconnu pour porter bonheur. La bruyĂšre est, quant Ă  elle, toujours en fleur. Elle vit perpĂ©tuellement et ne meurt jamais. GrĂące Ă  ces deux images, Victor Hugo souhaite cĂ©lĂ©brer la vie Ă©ternelle de sa fille. LĂ©opoldine demeura immortelle, dans son esprit et dans ses Ă©crits. GrĂące Ă  ce rĂ©cit, lyrique et romantique, sa fille ne pourra jamais ĂȘtre oubliĂ©e. L'Ă©ternitĂ© de l'homme passe indĂ©niablement par la postĂ©ritĂ© des Ă©crits. Conclusion Epitaphe de la tombe oĂč reposent LĂ©opoldine et son mari, Charles. Ici, Victor Hugo viendra dĂ©poser le houx vert et la bruyĂšre toujours en fleur... Ce poĂšme est une vraie dĂ©claration d'amour Ă  LĂ©opoldine Hugo, tragiquement disparue. Pour Victor Hugo, cela va bien au-delĂ  d'une simple expression de ses sentiments il livre, ici, une incantation. Il souhaiterait pouvoir la voir Ă  nouveau, la tenir dans ses bras. Pour cela, il est prĂȘt Ă  tout, Ă  commencer par entamer ce voyage pour la retrouver. Paysages, sentiments, solitude, nature les thĂ©matiques romantiques sont toutes rĂ©unies. Toutefois, l'auteur offre ce poĂšme d'une façon pudique il n'y a pas d'Ă©panchement, juste de la sincĂ©ritĂ©, de l'amour et l'expression intime de la douleur de son deuil. Pour Hugo, il n'est pas question de tout montrer mais de suggĂ©rer la peine, la souffrance, le manque. À l'image de sa fille, Hugo a choisi de rester dans une rĂ©serve touchante mais puissante. Ce plein d'Ă©motions que l'on lit entre les lignes, nous donne l'envie de continuer Ă  lire les Ă©crits de ce gĂ©nie et de dĂ©couvrir, un peu plus, l'homme qu'il Ă©tait. Plongez-vous sans attendre dans ce poĂšme, ode aux retrouvailles espĂ©rĂ©es.
\n\n\n allez on part on met les voiles chanson
eE1a1it.
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